L’oligarchie a même réussi à imposer ses vues au peuple suisse. Comme en France avec le traité de Lisbonne, voté par les députés contre le référendum souverain opposé à la constitution européenne, les parlementaires fédéraux suisses viennent de revenir sur le vote du peuple en faveur d’une limitation drastique de l’immigration de main d’œuvre en provenance de l’Union européenne. Vendredi le Conseil des Etats – sénat dans lequel chaque canton est représenté à parité – a voté pour une nouvelle loi n’imposant aucun quota d’immigration par 24 voix contre 5 et 13 abstentions. Le Conseil national – chambre basse représentant le peuple – a suivi en ratifiant la loi par 98 voix contre 67 et 33 abstentions. Pourtant, une votation populaire fédérale de février 2014, organisée à l’initiative de l’UDC, le parti souverainiste suisse (SVP en allemand) imposait au pouvoir l’instauration desdits quotas. La Suisse s’est inclinée devant l’UE au mépris de ses propres citoyens.
La démocratie représentative aura donc humilié la démocratie directe, un apanage pourtant essentiel du consensus suisse. Car la loi adoptée n’a plus grand-chose à voir avec celle ratifiée par le peuple. Elle exclut tout quota, n’organisant qu’un contrôle essentiellement symbolique de l’immigration intra-européenne. La Suisse, qui ne fait pas partie de l’UE, a passé une série impressionnante d’accords bilatéraux qui l’inclut dans les marchés uniques des biens, des capitaux et des personnes. En dénonçant la libre circulation des travailleurs, la confédération se serait exposée à des mesures de rétorsion du Moloch bruxellois, en particulier avec un rétablissement de limites sur les échanges commerciaux. Une dénonciation par l’UE des accords bilatéraux, affirment les avocats de la nouvelle loi, aurait pénalisé le commerce, la recherche et les jeunes gens suivant des études hors de Suisse.
Les quotas d’immigration avaient été décidés par référendum
La nouvelle loi se contente d’assurer une préférence d’embauche en faveur des chômeurs suisses sur les chômeurs étrangers, sans qu’il soit même établi que ce recul suffira à l’Union européenne. Adrian Amstutz, conseiller national UDC, largement élu dans le canton de Berne, estime que le parlement fédéral suisse a littéralement capitulé devant les pressions de Bruxelles et qu’il a violé la constitution qui impose la prééminence des lois votées par référendum. Son parti se prépare donc à lancer une nouvelle proposition d’initiative populaire pour exiger la rupture des accords bilatéraux avec l’UE sur la libre circulation des personnes. Avec 68 conseillers nationaux sur 200, l’UDC et ses alliés constituent le premier groupe de la chambre basse fédérale loin devant les socialistes (43), les libéraux-radicaux qui longtemps dominèrent la vie politique (33), les démocrates-chrétiens (30)…
Dans le détail, la nouvelle loi oblige les employeurs à publier leurs propositions d’embauches dans les agences d’emploi et à accepter un entretien avec les demandeurs suisses, sous peine d’une amende de 40.000 francs suisses (37.200 euros). Mais le texte est bardé d’exceptions. D’abord, cette contrainte de priorité ne vaut pas pour les professions, les branches professionnelles ou les régions géographiques dans lesquelles le taux de chômage est supérieur à la moyenne nationale. Ensuite, les employeurs n’auront pas à se justifier s’ils refusent un postulant de nationalité suisse.
La capitulation du parlement suisse devant l’UE
La décision des parlementaires a soulevé un tollé dans une partie de la presse suisse, historiquement moins soumise que son homologue française. « La question de sa conformité à la constitution doit être posée », écrit le quotidien romand de référence, Le Temps. Plus franc, le quotidien zurichois Tages Anzeiger, pourtant maqué au centre-gauche, dénonce « une capitulation », estimant que le vote parlementaire « ne doit pas constituer le point final sur la question ». « La chambre a capitulé en décidant d’une solution qui ne permet pas une régulation indépendante de l’immigration ; quiconque dit le contraire mène l’opinion en bateau », écrit son chroniqueur politique Daniel Foppa. Dans la Berner Zeitung, l’éditorialiste Peter Meier s’indigne que la votation populaire « ait été délibérément ignorée » et que le parlement ait pris une décision « qui n’a rien à voir avec son mandat constitutionnel ».