Le billet
Brexit, Trump, primaires, présidentielle : l’électeur orphelin des sondages

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La réponse au referendum sur le Brexit devait être non, Trump devait être éliminé dès les primaires, Fillon figurait un mauvais troisième homme : cela fait longtemps que les sondages se trompent et nous trompent, mais là ils exagèrent. Aussi l’électeur reste-t-il incertain pour la présidentielle, comme orphelin de ses prescripteurs favoris.
 
Il ne faut rien exagérer : les sondages sont aussi une mesure de l’opinion. A preuve, les publicitaires en commandent, et même les politiques, qu’ils analysent avec leurs conseillers. Cependant, ce n’est pas nouveau mais cela s’était accentué lourdement ces dernières années, c’est devenu principalement un moyen d’influencer l’électeur, suivant la méthode que rappelait naguère Thierry Ardisson dans son émissionTout le monde en parle : tout le monde en parle, alors tout le monde en parle, on pense que tout le monde pense comme cela, alors tout le monde pense comme cela, c’est inévitable. Le troupeau suit la brebis de tête, les étourneaux se rassemblent sur l’arbre en piaillant pour se compter et savoir qui ils sont.
 

Naguère, les sondages orientaient la conscience et le vote de l’électeur

 
Ainsi les sondages étaient-ils une façon d’emmener l’électeur vers le vote utile. Sans doute Poisson dit-il des choses agréables aux oreilles catholiques, mais chacun sait que Juppé sera élu (variante, parmi les candidats sérieux, seul Fillon prend tant soit peu en compte les revendications de Sens commun). Sans doute le Brexit pourrait-il rendre une marge d’indépendance à la Grande-Bretagne, mais les sondages sont formels : le « stay » l’emportera. Et ainsi de suite, même si Trump gagne les primaires il n’a aucune chance d’être président, ni les partisans du non à la constitution européenne de 2005 de l’emporter, etc.
 
Le problème, qui se voit comme le nez au milieu de la figure dans les exemples choisis, est que la méthode, qui eut payé, ne paye plus du tout. Et cela commence à se voir, à se dire, à se commenter. L’électeur comprend qu’on se moque de lui, il en conçoit de l’humeur, il a des poussées d’acné populiste, mais ça ne l’avance pas : il n’a plus sa lanterne magique, il ne sait plus qui va gagner, il ignore au secours de quelle victoire voler, bref, il se trouve orphelin de cette sorte de conscience extérieure à lui, d’oracle scientifiquequi lui indiquait le chemin, lui dictait son vote.
 

Le Brexit, Trump et les primaires l’ont déboussolé

 
Le moment est pathétique, et dangereux ; que va-t-il faire ? Se blottir à l’abri des ailes des volatiles qui le trompent, comme cela s’est vu lors de la présidentielle autrichienne ? Sans doute, las des mensonges du système, l’électeur autrichien fut-il tenté de voter populiste, mais il en fut dissuadé par la peur que lui en inspire ledit système et se réfugia sur son candidat, ce qui fait que les menteurs ont profité de leur turpitude. Mais c’était un cas limite, facile, où l’on pouvait brandir l’épouvantail néonazi dans un deuxième tour à deux candidats, comme avec Le Pen en 2002.
 
Rien de tel ne se dessine pour la présidentielle française, et d’abord pour la deuxième des primaires, celle de la gauche. Ils sont sept, dont au moins quatre indépartageables : en dehors des sondages, qu’est-ce qui permet à l’électeur de distinguer les chances de Peillon, Montebourg, Valls, Hamon, et, pour beaucoup de Français, de faire la différence entre leurs programmes, leurs personnalités – sinon peut-être les consignes de parti ?
 

L’électeur orphelin, juge désorienté d’une présidentielle aléatoire ?

 
C’est encore pire pour la présidentielle elle-même. On nous dit que la majorité des Français croient que Fillon sera élu, mais ce sont les sondages qui le disent, et l’électeur ne le répète que parce que d’autres sondages lui serinent depuis des mois que le vainqueur de la primaire de droite affrontera Marine Le Pen au deuxième tour et gagnera facilement.
 
Mais Fillon n’est pas sûr d’être au deuxième tour, si Bayrou et MAM se présentent et si Macron marche. Et Marine non plus : enferrée dans sa stratégie de deuxième tour, qui consiste à inclure des propositions de gauche pour s’opposer à un concurrent de droite, elle risque de perdre le premier en ne rassemblant pas sa droite. Surtout si, admonestée par les loges et poussée par son instinct de survie, la gauche s’unit pour sauver les meubles. Le premier tour de la présidentielle risque donc d’être un coup de bonneteau dont pourraient sortir, de résultats beaucoup plus serrés que prévus, deux candidats inattendus. Privé de sa foi dans les sondages, l’électeur orphelin dans le paysage dévasté de ses représentations politiques va-t-il se trouver forcé de voter avec sa raison et ses convictions ? Quel drame en perspective ! Vivement que les sondages retrouvent du crédit !
 

Pauline Mille