Karl Rahner, le théologien qui a signé la capitulation face au monde

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On n’en finit pas de mesurer les effets de la théologie erronée de Karl Rahner. L’observatoire international sur la doctrine sociale de l’Eglise « Cardinale Van Thuân » a publié au début de juillet une chronique hispanophone du dernier livre de Stefano Fontana, La nuova Chiesa di Karl Rahner (« La nouvelle Eglise de Karl Rahner, le théologien qui a enseigné comment se rendre au monde »). Ce texte sur la capitulation face à la mondanité vient heureusement compléter des articles similaires comme celui traduit depuis l’italien en avril dernier par le site benoit-et-moi et montrant comment le théologien jésuite a profondément influencé les récents synodes sur la famille.
 
Le nouvel article, signé Silvio Brachetta, éclaire de manière particulièrement intéressante le véritable renversement qu’a opéré la théologie de ce penseur allemand, en partant du constat déjà fait en 1980 par le cardinal Giuseppe Siri dans Getsemani : l’évêque de Gênes y montrait comment Rahner a inventé « le concept du surnaturel non gratuit » qui se trouve à la racine de ses erreurs théologiques.
 

Le monde selon Karl Rahner

 
Brachetta résume : pour Rahner, le surnaturel est « nécessairement » lié à la nature humaine, mais si cela était vrai la grâce ne serait plus gratuite, ne serait pas un don, et ne pourrait être acceptée ou rejetée librement par l’homme. La gratuité obligatoire en quelque sorte. A partir de là la foi devient inutile dès lors que Dieu fait déjà partie de l’homme que celui-ci le veuille ou non, notait le cardinal Siri.
 
Le livre de Fontana cherche à montrer que cette idée s’est répandue bien au-delà de l’esprit du théologien hétérodoxe, contaminant une grande partie de la théologie de ces 60 dernières années. « Il semble avoir gagné », souligne Fontana, rappelant qu’à l’université pontificale du Latran, peu après la clôture du concile Vatican II, une enquête auprès des séminaristes y faisant leurs études révélait que la majorité d’entre eux tenait Rahner pour le plus grand théologien catholique de tous les temps, loin devant saint Thomas d’Aquin et saint Augustin.
 
Le présupposé central de la philosophie de la théologie de Rahner se résume à une méthode assumée sous le nom du « transcendantal moderne » : dans la modernité, on ne conçoit plus une relation directe avec la réalité à connaître, mais on estime que l’homme voit le monde travers des lentilles dont il ne peut se libérer. C’est une vision qui modifie ou limite l’objet de la connaissance rendant impossible toute certitude, toute conclusion à son sujet, qu’il s’agisse d’une chose matérielle ou de Dieu lui-même.
 

Karl Rahner, le théologien du « trou de la serrure »

 
Dans cette optique, chaque théologien regarde par son propre « trou de la serrure ». Pour Fontana, celui de Rahner se résumerait ainsi : « Dieu se révèle dans l’obscurité qui précède et entoure le trou de la serrure » – et encore, de manière « athématique », privée de contenu. Ce qui devient intéressant dès lors, c’est ce qui se trouve au-delà du trou de la serrure : le monde de l’expérience et des paroles humaines, dont la relation avec la vérité ne peut qu’être équivoque, faite de doutes et d’incertitudes, puisque des critères de jugement se trouvent en-deçà de la serrure, là où je me trouve et là où se trouve Dieu mais où règnent le silence et l’obscurité. Ce qui aboutit à un subjectivisme total.
 
La gnoséologie de Rahner rappelle celle de Kant mais plus encore celle d’Heidegger pour qui l’homme s’interrogeant sur l’être se trouve à l’intérieur du problème et ne peut pas avoir une connaissance d’un objet qui ne soit pas en même temps une connaissance subjective. « Il s’agit d’une reddition inconditionnelle face à l’opinion, au point de vue personnel. Si en outre, le sujet est défectueux, il va également rendre défectueux l’objet, le monde, Dieu, mon expérience dans le monde, la vérité du monde et celle de Dieu », observe Silvio Brachetta.
 
Cette théologie n’a rien à voir avec la connaissance imparfaite que les philosophies classiques ont bien perçue et identifiée, sans jamais tomber dans l’erreur de penser que l’homme ne pouvait pas atteindre la vérité. Le classique situe le critère du jugement sur le monde bien au-delà du cosmos et accepte l’aide d’un Dieu qui se révèle et qui parle, dépassant les limites de la phénoménologie.
 

Capitulation face au monde puisque le temps est supérieur à la vérité !

 
Avec Rahner, c’est au fond la métaphysique qui disparaît, et avec elle tous les contenus liés au concept de nature, d’essence et de substance. Au bout du compte, vient l’impossibilité de concevoir une nature humaine et chez Rahner comme chez Heidegger avant lui, cet existentialisme mène à dire que « l’homme n’a pas de nature dans la mesure où il est un être historique ». Dans cette logique, l’être se fluidifie et se transforme sans cesse dans le temps et dans l’histoire, ce qui rend évidemment inopérante la loi naturelle et impossible tout discours en relation avec le surnaturel. Et ce aussi bien pour l’histoire sacrée que pour l’histoire profane.
 
Partant de ce point de vue, Rahner a suivi les suggestions de la théologie protestante du XXe siècle en vue de la « déshellénisation » du christianisme afin de le purger des catégories de la philosophie grecque. On évacue la doctrine qui permet de discerner le temps présent, c’est la praxis qui se voit attribuer le primat absolu et toute conclusion de la pensée se devrait de suivre le devenir historique. Doctrine, dogme, enseignement : tout est dès lors absorbé par l’historicisme, tout est en relation avec les époques et coutumes ; et d’ailleurs tout peut être remis en question et évoluer, y compris la Révélation. Celle-ci se réalise dans l’immanence de l’histoire et elle ne doit jamais être tenue pour achevée, voilà le sens de la théologie de Rahner dégagé par Fontana.
 

Le théologien Karl Rahner fait suite à Kant, Heidegger, Hegel

 
Ce faisant, à la suite du protestantisme, cette théologie prive la foi des catégories rationnelles et s’oppose – à la manière d’une antithèse – à la raison. Et chaque homme, où qu’il se trouve, se situe à égale distance de la Révélation et de la vérité. Dans ce contexte, l’Eglise enseignante et l’évangélisation deviennent inutiles – et les hommes sont tous chrétiens, qu’ils le sachent ou non. A partir de là, il n’y a plus lieu de gouverner d’enseigner ou de sanctifier qui que ce soit, mais de se mettre à l’écoute du non-croyant et de l’accueillir.
 
Voilà le fond réel des priorités que beaucoup d’évêques fixent à l’action pastorale, observe Brachetta, ce qui va de pair avec la dévaluation du thomisme et la promotion du dialogue à n’importe quel prix – sans compter la recherche du consensus, de préférence en utilisant le langage du monde.
 
On ne sera pas surpris par le rappel du fait que le cardinal Kasper, qui joua un rôle tellement proéminent lors des synodes sur la famille, est de formation totalement rahnerienne, épousant son rejet maçonnique du dogme selon l’acception traditionnelle du mot. Kasper pense qu’il faut « considérer le dogme comme intermédiaire entre la parole de Dieu et la situation de vie de la communauté chrétienne ». De vérité définitive, le dogme devient dès lors « une simple expression linguistique qui doit se plier face à la situation réelle de la personne et des perceptions historiques modifiées ».
 
Et c’est bien ainsi que le modernisme nous vend aujourd’hui l’idée d’une vérité qui ne cesse de changer et d’exigences qui varient selon les circonstances et les temps : on peut s’étonner avec Brachetta et Fontana de ce que Rahner n’ait jamais été condamné – il était expert au Concile à la demande de Jean XXIII. La crise que nous vivons aujourd’hui a des racines profondes.
 

Jeanne Smits