Le grand perdant des élections législatives de vendredi-samedi en République tchèque, c’est le parti social-démocrate ČSSD du premier ministre sortant Bohuslav Sobotka. Avec 7,27 % des voix (15 sièges sur 200 à la nouvelle Chambre des députés), contre plus de 20 % des voix aux deux élections précédentes et plus de 30 % dans les années 2000, on peut même parler d’une véritable déroute. Les communistes, avec 7,76 % des voix (15 sièges), ont eux aussi enregistré leur plus mauvais résultat depuis la séparation de la Tchéquie et de la Slovaquie. Le grand vainqueur de ces élections, c’est le parti « populiste » ANO d’Andrej Babiš, avec 29,24 % des voix (78 sièges). Théoriquement, il pourrait s’assurer une très courte majorité avec le seul parti nationaliste SPD du Tchéco-Japonais Tomio Okamura, qui a obtenu 10,64 % des voix (22 sièges).
C’est d’ailleurs le seul parti à ne pas avoir d’emblée rejeté une coalition sous la direction du milliardaire Andrej Babiš accusé de fraude aux subventions européennes, ce qui avait poussé Sobotka à présenter la démission de son gouvernement, où Babiš était ministre des Finances, au président Miloš Zeman en mai dernier. Babiš refuse toutefois pour le moment l’éventualité d’une coalition avec les nationalistes du SPD qui voudraient organiser un référendum pour la sortie de l’UE.
Virage à droite en République tchèque ?
Mais malgré les déclarations des uns et des autres, Zeman a rapidement confié à Babiš la mission de former un gouvernement. On dit que les deux hommes s’entendent bien, et ils sont pareillement virulents contre les politiques d’immigration de l’UE et contre l’islamisation. Il est question d’un accord tacite avec le président en vertu duquel l’ANO ne présentera pas de candidat contre le social-démocrate Zeman à la prochaine élection présidentielle en janvier 2018.
Si d’autres partis parmi les neuf entrés à la Chambre des députés (un record) acceptent finalement de participer au gouvernement d’Andrej Babiš, une coalition de droite est envisageable avec le parti conservateur ODS (11,32 % des voix, 25 sièges), ou alors une coalition de gauche, ou droite-gauche, y compris avec les « Pirates » libéraux-libertaires et européistes qui ont créé la surprise en se plaçant troisièmes derrière l’ODS et juste devant le SPD avec 10,79 % des voix et 22 sièges.
Après la victoire du parti ANO d’Andrej Babiš aux élections, rien n’est encore joué
Tout est possible, y compris un gouvernement minoritaire, et la seule certitude aujourd’hui, c’est que la Tchéquie continuera de s’opposer à Bruxelles sur la question des quotas de migrants. Andrej Babiš a déjà annoncé vouloir renforcer l’action du Groupe de Visegrád en cherchant de nouveaux alliés au sein de l’UE, à commencer par l’Autriche. Il ne cache pas non plus son opposition à l’adoption de l’euro et a déclaré dans le passé attacher une grande importance à la défense de l’identité nationale tchèque, sans aller jusqu’à souhaiter la sortie de son pays de l’UE ou de l’OTAN.
Il faudra toutefois attendre de connaître la composition du futur gouvernement avant de parler d’un virage à droite de la Tchéquie. Et même si l’on assiste à la formation d’une coalition impliquant l’ANO et l’ODS ou le SPD, le « virage à droite » ne devrait concerner que l’attitude face à Bruxelles en matière d’immigration, d’euro et de souveraineté nationale. La Tchéquie est un des pays les plus sécularisés d’Europe. Contrairement à la Slovaquie dont elle s’est séparée en 1993, et contrairement aux autres pays d’Europe centrale et orientale, la Tchéquie est très majoritairement athée et agnostique. Et elle est aussi moins conservatrice que ses voisins. Le SPD ressemble plus au PVV du Néerlandais Geert Wilders qu’au FPÖ autrichien, et il ne parle quasiment que d’immigration, d’islam et de démocratie directe à la suisse. L’ANO regroupe des gens aux opinions variées et Andrej Babiš lui-même n’hésite pas à changer d’avis s’il le faut. Seul l’ODS peut être qualifié de libéral-conservateur du fait de son libéralisme économique et de son conservatisme sociétal, mais sans que ce conservatisme soit enraciné dans les valeurs chrétiennes. C’est ainsi, par exemple, qu’il est opposé au « mariage gay » (la Tchéquie a déjà les unions civiles ouvertes aux duos unisexes) mais pas à l’avortement.