Vingt-trois Etats-membres de l’Union européenne ont annoncé lundi un pacte « historique » pour resserrer leurs liens en matière de défense. Menés par la France et l’Allemagne, dont les conceptions divergent en matière d’intégration des politiques militaires de l’Europe, ces pays ont créé le PESCO (Permanent structured cooperation) qui lie ses signataires autour de projets de défense – principalement des financements de matériels -, leur enjoint d’augmenter leurs dépenses militaires et les engage à participer aux interventions. Le Royaume-Uni, qui quittera l’UE en 2019, n’est pas signataire. Danemark, Irlande, Portugal et Malte, bien que membres de l’UE, refusent de signer. Ce Pacte, brandi comme une victoire par Macron, est en fait marqué par la vision allemande d’une coopération large mais peu contraignante, marquant l’échec de la vision française d’une union militaire réduite mais puissante.
Le PESCO : 6 milliards d’euros pour des investissements dans de gros équipements
Ce pacte s’accompagne d’un budget commun de 6 milliards d’euros pour des achats de matériels, en particulier ceux nécessitant de gros investissements tels les avions de transport militaires, d’un compte destiné à financer des opérations et d’un financement provenant de l’UE pour les dépenses de recherche. Ce projet était souhaité par le président français, l’européiste Emmanuel Macron. Fin septembre, ce dernier avait plaidé pour un approfondissement de l’Europe de la Défense avec force commune d’intervention, budget de Défense commun et doctrine commune pour agir « en complément de l’OTAN ». Le Commissaire européen aux affaires étrangères, Federica Mogherini a déclaré que « voici un an la plupart d’entre nous et le reste du monde considéraient encore un tel traité comme impossible à conclure ».
Les partisans de cette nouvelle politique commune affirment que ce PESCO mettra un terme aux défaillances européennes apparues lors de l’intervention en Libye en 2011, quand les Européens ont dû s’appuyer sur les forces aériennes et les munitions américaines. Trois ans après, l’affaire du rattachement de la Crimée à la Russie, précédé d’un référendum, a favorisé la thèse d’une défense européenne. L’élection de Donald Trump a pesé dans le même sens, le nouveau président ayant jugé l’OTAN « obsolète » et demandant à ses alliés d’en faire davantage pour assurer leur défense. Bien qu’il ait depuis assuré l’Alliance atlantique de son soutien, les doutes sont demeurés à Bruxelles.
L’ironie de Boris Johnson, les divergences entre le groupe de Visegrad et Bruxelles
Le Royaume-Uni, qui a entamé de longue date une coopération militaire avec la France, avait historiquement marqué son scepticisme à propos d’une Europe de la défense. Alors que le pays va quitter l’UE, son ministre des Affaires étrangères Boris Johnson a manifesté un soutien prudent et quelque peu ironique au Pacte en affirmant « qu’il y a beaucoup de promesses dans cette idée, et que nous les soutenons ». Le Brexit a aussi probablement favorisé la constitution de cette alliance militaire continentale, situation stratégique que Londres n’a pourtant de tout temps jamais vue d’un bon œil. L’adhésion de la Pologne à ce PESCO marque quant à elle la volonté de Varsovie, malgré ses divergences politiques croissantes avec la politique immigrationniste, multiculturaliste et libertaire imposée par les caciques de Bruxelles, de se constituer des garanties face aux tentations hégémoniques de la grande puissance continentale que constitue la Russie.
Mais, malgré ses objectifs ronflants, ce Pacte risque de se trouver confronté aux mêmes écueils que les précédentes tentatives de coopération militaire. Les Européens ont été critiqués jusqu’ici tant par les Etats-Unis que par l’Otan pour leur approche « chauvine » des questions de défense, favorisant les fabricants nationaux et ciblant leurs investissements en armements dans une optique politicienne.
Comment faire une Europe de la défense alors qu’elle affiche deux conceptions contraires : chrétienne et multiculturaliste
Le PESCO, s’il impose à chacun de ses Etats-membres d’augmenter ses dépenses militaires, ne répond pas à l’exigence d’une allocation de 2 % du PIB à la défense à l’horizon 2020, objectif fondamental de l’OTAN. Il restera aussi à accorder ses signataires sur l’opportunité d’opérations communes. Or le Pacte impose la règle de l’unanimité. Nul doute que les points de vue risquent de diverger rapidement entre un groupe de Visegrad (Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie) qui privilégie la défense territoriale et culturelle d’une Europe chrétienne, et la France, la Belgique ou l’Allemagne de Mme Merkel qui affichent une conception multiculturaliste et « ouverte » de l’espace européen conçu comme un laboratoire du monde « sans frontières ». On notera l’absence de Malte, située sur les routes maritimes des migrations africaines vers l’Europe, et du Danemark, dont le gouvernement libéral minoritaire est soumis à la forte pression du parti populaire (nationaliste) et du parti conservateur.
Macron voulait un groupe réduit pour intervenir, Sigmar Gabriel un groupe élargi pour faire des économies
Pire : Paris et Berlin ont des conceptions divergentes du pacte. Macron souhaitait un groupe réduit de nations favorisant de grands projets, y compris des interventions à l’étranger comme en Libye ou au Mali. L’Allemagne au contraire concevait le groupe le plus large possible pour des entreprises plus modestes. La vision allemande l’a emporté. Frédéric Mauro, expert auprès du Parlement européen, se dit « profondément sceptique » sur la forme finale du pacte, le jugeant « à des années lumières » du concept de défense prévu dans les traités européens et estimant que « cela n’a aucune chance de marcher ».
Ce PESCO pourra au moins engendrer des économies d’échelle. Le ministre fédéral allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel commente, sans illusions : « Je crois qu’une coopération européenne dans la défense permettra surtout d’économiser de l’argent alors que nous affichons en Europe la moitié des dépenses de défense des Etats-Unis mais seulement 15 % de leur efficacité ». Ou comment vendre sa souveraineté pour un plat de lentilles ?