Après avoir atteint 16.700 euros les 17 et 18 décembre, record historique, le Bitcoin était hier en léger repli à 16.100 euros. C’est le second repli du cours de cette monnaie virtuelle en un mois, après une chute autour du 8 décembre. Il valait alors 12.800 euros. Fin août sa valeur s’établissait à 3.300. Sa hausse en quatre mois atteint 390 %… et 1.800 % en un an. Et cela sans le moindre rapport avec la valeur produite par l’économie réelle. Une bombe financière. Le phénomène est étrange, les médias étalant complaisamment l’envolée du cours et nourrissant par là-même l’appétit spéculatif de petits investisseurs tentés par l’économie casino. Une addiction dont on sort toujours à ses dépens. C’est ce que soulignent un nombre croissant de voix, de Copenhague à Singapour, tandis que l’Union européenne s’apprête à pister le blanchiment d’argent via la « pyramide » Bitcoin – elle représente déjà 600 milliards de dollars – et que des voix s’élèvent pour dénoncer le coût énergétique de la gestion des monnaies virtuelles.
Lars Rohde : « Il ne faudra pas venir se plaindre si ça tourne mal »
Dernier en date et après son confrère français, le gouverneur de la banque centrale du Danemark a vivement mis en garde lundi contre les dangers de la monnaie virtuelle. « On devrait se tenir à l’écart du Bitcoin, c’est mortel » a prévenu Lars Rohde. « Ce n’est pas un marché régulé, il ne relève pas de la responsabilité des autorités », insiste-t-il avant de prévenir : « Il ne faudra pas venir se plaindre si ça tourne mal. »
Mais voilà : le monde virtuel dans lequel baigne toute une génération noyée dans internet, semble imperméable à toute raison – et à toute honnêteté. Il accouche d’une finance virtuelle aux aspects délirants, qui infecte la finance classique avec le récent lancement de contrats à terme en Bitcoins. Au risque qu’une explosion du Bitcoin ne contamine l’économie toute entière.
L’Union européenne va lister les propriétaires de Bitcoins
Dimanche, le ministre français des Finances a fait savoir que son pays proposerait au G20 de créer une régulation de la monnaie virtuelle l’année prochaine. Les Etats de l’Union européenne ont convenu la semaine dernière de règles plus strictes pour empêcher le blanchiment d’argent sale, en particulier issu de la gigantesque économie des drogues ou nourrissant le terrorisme. Ce contrôle, étrangement tardif, s’appuiera sur une base de données listant les propriétaires de Bitcoins.
Le Bitcoin, partiellement anonyme, est utilisé pour esquiver le fisc comme pour financer le crime. La réglementation avalisée vendredi par les ministres de l’UE exigera des plateformes d’échange qu’elles appliquent des règles strictes de collecte des identités et signalent toute activité suspecte. Cette décision prendra la forme d’un amendement à la quatrième directive sur le blanchiment d’argent et inclura « un registre central d’identités des utilisateurs et des adresse de comptes ».
On veut dissuader les Européens d’utiliser la monnaie fiduciaire mais le Bitcoin anonyme prospère !
Alors que les autorités et l’industrie numérique tentent par tous les moyens de dissuader les Européens d’utiliser la monnaie fiduciaire, pièces et billets, trop anonyme pour un système rêvant d’imposer un contrôle permanent des échanges, le Bitcoin en est une caricature : ses détenteurs ne sont pas contraints de décliner leur véritable identité et peuvent se livrer à toutes les transactions frauduleuses, de la vente de drogue au marché noir en passant par le terrorisme, sans avoir à convoyer la moindre valise de billets. Et quand on sait que la valeur cumulée des Bitcoins au cours actuel atteint 600 milliards de dollars, on mesure les trafics que pourra révéler la nouvelle régulation européenne, si elle est effectivement appliquée.
Reste la question de fond sur la valeur intrinsèque de cette crypto-monnaie. Pour l’autorité monétaire de Singapour, référence dans le monde financier, le Bitcoin n’a tout simplement aucune valeur propre et devrait finir par s’effondrer dans le sang et les larmes dès que les spéculateurs prendront conscience qu’ils ne peuvent plus retirer leur argent.
« Le Bitcoin n’a aucune valeur intrinsèque » mais à 600 milliards de dollars, il peut se transformer en bombe financière bien réelle
Une sorte de « bank running » – quand les déposants veulent simultanément retirer leurs avoirs – à l’échelle planétaire. Responsable de la finance numérique à l’Autorité monétaire de Singapour (MAS), Sopnendu Mohanty explique : « Le Bitcoin n’a aucune valeur intrinsèque naturelle. Pouvez-vous acheter une maison avec ? Il vaut peut-être 18.000 dollars, mais ce que je veux savoir c’est comment on peut le convertir en monnaie fiduciaire. Le risque survient au moment de la conversion. »
Certes, les médias rapportent des exemples de vraies transactions en Bitcoins, comme deux achats récents de maisons en Angleterre. Mais il s’agit de « coups » qui ne résistent pas à l’analyse. Ils ne résolvent pas la contradiction fondamentale portée par ces crypto-monnaies : sont-elles des actifs spéculatifs ou des monnaies stables ? En aucun cas elles ne peuvent être les deux à la fois. Par ailleurs, plus la valeur du Bitcoin s’envole, plus la tentation de piratage des plateformes d’échange s’aiguise. « Ce n’est qu’une question de jours pour qu’une grosse vente se trouve gravement compromise », écrit Ambrose Evans-Pritchard dans le Daily Telegraph.
Economies d’énergie ? La consommation énergétique des plateformes du Bitcoins équivaut à celle du Danemark
Quant au coût physique du Bitcoin, il serait considérable. « Sa consommation énergétique est gigantesque », affirme Alex de Vries, du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers), « Si nous l’utilisions à l’échelle mondiale, il tuerait la planète ». Les exploitants de plateformes consommeraient déjà chaque jour l’équivalent de l’énergie du Danemark et, souvent situés en Chine, utilisent donc de l’électricité issues de centrales à charbon. L’un des exploitants, situé en Mongolie, dispose de 21.000 machines abritées dans sept bâtiments alimentés en énergie issue du charbon facturée 4 centimes par kWh !