Amoris Laetitia n’en finit plus de générer tensions et controverses, bien au-delà des « Dubia » originelles dont deux des signataires sont décédés depuis septembre 2017. Dans une introduction préfacière au livre d’essais honorant le cardinal Müller à l’occasion de son 70ème anniversaire et du 40ème anniversaire de son ordination sacerdotale, le pape émérite Benoît XVI salue celui qui a « défendu les traditions claires de la foi » et gardé tout en même temps « l’esprit du pape François ».
Une position à l’équilibre subtil, voire confus, mais tout à fait fidèle aux prises de positions successives du cardinal Müller, récemment congédié de son haut poste à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, qui persiste à ne pas voir d’hérésies dans l’Exhortation post-synodale mais plaide pour une « discussion » (pastorale ?) avec ceux qui demandent un éclaircissement…
Le cardinal Müller… « dans l’esprit du pape François » ?
C’est un article en italien publié par le nouveau service d’information du Vatican, qui cite les mots élogieux du pape Benoît XVI. « Votre mandat de cinq ans à la Congrégation pour la Doctrine de la foi a expiré, vous n’avez plus de bureau spécifique, mais un prêtre et plus certainement un évêque et un cardinal ne sont jamais simplement à la retraite ». Benoît XVI ne rentre pas dans la polémique qui a désigné la main, au demeurant évidente, du pape François dans cette éviction toute politique.
Plus, il fait se rejoindre les deux hommes : « Vous avez défendu les traditions claires de la foi, mais dans l’esprit du pape François, vous avez essayé de comprendre comment elles peuvent être vécues aujourd’hui ».
Formule largement ambivalente, qui accorde à la sacro-sainte « pastorale » un rôle aux limites indéterminées, à l’instar des interprétations très libérales des évêques de Buenos Aires et de Malte, tout en reconnaissant le bien-fondé de l’insistance du cardinal Müller à interpréter Amoris Laetitia de manière stricte : à savoir, ceux qui vivent dans l’adultère ne peuvent recevoir la sainte communion, en vertu de la discipline éternelle de la sainte Église concernant la réception des sacrements.
De quoi noyer le poisson et se noyer tout court.
A propos d’Amoris laetitia, le cardinal Müller marche sur des œufs
La position du cardinal Müller reflète pourtant parfaitement cette ambivalence, cette posture « entre deux chaises ».
Vis-à-vis du pape François d’abord. Certes, il s’est plaint de son éviction non explicitée, en juin dernier (« en tant qu’évêque, on ne peut pas traiter les gens de cette manière »), mais il a toujours protesté de sa fidélité indéfectible. Et refuse catégoriquement d’être placé à la tête d’un mouvement anti-Bergoglio sur le sujet.
De même, à propos d’« Amoris Laetita », il a soulevé la crainte d’un schisme, dans un entretien accordé au quotidien italien, Le Corriere della Sera, le 26 novembre dernier. « Les autorités de l’Église, cependant, doivent écouter qui émet des demandes sérieuses ou des réclamations justes ; non l’ignorer ou, pire, l’humilier. Autrement, sans le vouloir, on court le risque d’une lente séparation qui pourrait déboucher sur un schisme d’une partie du monde catholique, désorientée et déçue ». Cet été, il a redit son incompréhension devant le refus papal de la discussion et a accusé les conseillers théologiques du pape François de lui donner de piètres conseils.
Cependant, le cardinal s’escrime à ne s’attacher à aucun opposant, à n’être le moteur d’aucune démarche, quelle qu’elle soit. Ainsi, dans sa longue introduction au livre du théologien italien (et ami) Rocco Buttiglione, Ripostes amicales aux critiques d’Amoris Laetitia, il s’est inscrit en faux sur les revendications de la Correctio Filialis qui parle des « hérésies » que peut générer le chapitre VIII d’Amoris laetitia : il parle d’interprétation « controversée »…
Ces failles inhérentes essentielles qu’on ne veut pas voir
« Il s’agit de la façon pastorale d’aider les personnes qui se trouvent dans des situations conjugales très difficiles et qui ont souvent des conditions tragiques dans leur famille, et comment on peut les conduire sur un chemin de perspicacité, de discernement et de conversion, à la fin de laquelle il peut également y avoir la pleine réconciliation avec Dieu et l’Église dans le sacrement de pénitence, et ensuite la pleine participation au sacrifice eucharistique avec la communion sacramentelle. »
Ainsi donc, tout en maintenant le principe de la discussion, il ne remet aucunement en cause l’objet originel de la controverse, les failles inhérentes essentielles de l’Exhortation qui ont généré ces incompréhensions et servent une dialectique nocive.
Elles sont pourtant bien là. Le 31 décembre encore, trois évêques du Kazakhstan, ont officiellement averti que « l’admission des fidèles soi-disant ‘divorcés et remariés’ à la Sainte Communion, qui est la plus haute expression de l’unité du Christ, l’Épouse avec son Église, signifie en pratique une manière d’approuver ou de légitimer le divorce, et en ce sens une sorte d’introduction du divorce dans la vie de l’Église ».
La « vieille garde » de Benoît XVI
Le refus papal, jusqu’à maintenant, de la clarification doctrinale, témoigne bel et bien de la volonté du maintien du principe d’interprétation, vecteur logique de confusion et de confusion grave. Le cardinal Müller ne va pas jusque-là. Ce qui n’étonne guère finalement : il avait apporté sa voix au rapport final synodal du groupe germanophone, écrit par les cardinaux Schönborn et Kasper.
Et pourtant, lui, comme le cardinal Raymond Burke, ont été évincés de leur hautes charges, ou placés à des postes inoffensifs comme le cardinal Robert Sarah. Lors de son message de Noël à la Curie romaine, le pape François s’est plaint amèrement des prélats qu’il a licenciés, « corrompus par l’ambition ou la vaine gloire », « qui se déclarent eux-mêmes martyrs du système », « au lieu de réciter un mea culpa », comme le rappelait LifeSite…
Plutôt, sans doute, encore trop « vieille garde » pour le très progressiste pape François – trop proches de Benoît XVI.