Comme cela, au moins, les choses sont claires. S’exprimant en sa qualité de secrétaire pour les relations avec les Etats – autrement dit, de ministre des Affaires étrangères – du Saint-Siège, Mgr Paul Richard Gallagher a dit au cours d’une conférence organisée par l’Université pontificale grégorienne tout le bien qu’il pensait de la Chine actuelle et de sa place dans le monde contemporain. Si la Chine communiste de Xi Jinping, de plus en plus fermement maintenue sous la férule de son président, secrétaire général du Parti et chef des forces armées, cherche à asseoir sa domination mondiale, on peut dire qu’elle a trouvé un allié. L’archevêque-diplomate, Mgr Gallagher, a clairement fait comprendre que l’Eglise catholique n’a pas peur du nouveau leadership global de la République populaire de Chine.
Ses propos viennent compléter l’ahurissante déclaration de Mgr Manuel Sanchez Sorondo affirmant que la Chine est le pays qui met le mieux en œuvre la doctrine sociale de l’Eglise.
L’Eglise catholique s’accommode du leadership global de la Chine, selon le « ministre des Affaires étrangères » du Saint-Siège
La conférence internationale organisée par la Grégorienne portait précisément sur le thème de la Chine : « Christianisme en Chine. Impact, interaction et inculturation. » La conférence inaugurale prononcée par Mgr Gallagher dans le cadre de l’université de la Piazza della Pilotta, à Rome, visait à donner le cadre des critères que respecte la diplomatie vaticane dans son approche du « monde chinois » à ce moment précis de l’histoire où Pékin et le Saint-Siège tentent par voie de négociation de « résoudre peu à peu les problèmes et les points de souffrance qui rende la condition de l’Eglise catholique dans la République populaire de Chine anormale », pour reprendre les termes de La Stampa.
En clair : la persécution des catholiques fidèles à Rome ne cesse de s’accentuer tandis que le Saint-Siège accorde de plus en plus de crédit à l’Eglise patriotique chinoise sous contrôle du Parti.
L’Eglise catholique n’a donc pas peur du leadership global de la Chine, a assuré Mgr Gallagher, en raison de son « universalisme » et de « son ouverture naturelle à tous les peuples ». L’Eglise peut au contraire « contribuer en tant que force d’inspiration morale et spirituelle au grand effort de dialogue entre la Chine et le monde contemporain », grâce précisément « à la communauté catholique chinoise » qui est « pleinement intégrée » dans la dynamique historique actuelle vécue par le peuple chinois.
Pas un mot de critique ni d’hostilité, a noté La Stampa. De la part d’un diplomate, on pourrait dire que cela n’a rien d’étonnant. Mais de là à faire un hommage appuyé à l’action internationale de la Chine et à son rôle croissant dans les institutions internationales, il y a tout de même un pas. Gallagher a salué « la vision du monde originale de la Chine et son patrimoine inestimable de culture et de civilisation » alors que toutes les structures de l’Etat sont soumises au Parti communiste dont les membres sont contraints de professer l’athéisme.
Mgr Paul Richard Gallagher n’a pas peur du leadership mondial de la Chine
La Chine « se voit aujourd’hui comme un carrefour du développement, grâce aux projets importants comme la Nouvelle route de la soie » ; elle « adopte une nouvelle approche vis-à-vis des équilibres existants dans les relations internationales et consolide également sa présence dans les pays en développement », a expliqué le prélat sans l’ombre d’une critique. Il a au contraire vanté les programmes par lesquels la Chine « donne un nombre considérable de citoyens la possibilité de sortir de la pauvreté ».
Et de souligner que le mot-clef de ces développements est la « sinisation » qui cherche à renforcer l’identité chinoise sur le plan économique, politique et culturelle, à travers un modèle qui veut imprimer des « caractéristiques chinoises » à la globalisation. Ce fameux « socialisme à caractéristiques chinoises » qui constitue la Pensée de Xi Jinping ? Autrement dit, cette déclinaison du marxisme-léninisme qu’est le « communisme de marché » ?
Mgr Gallagher s’est tourné vers l’histoire des jésuites en Chine pour éclairer le présent, expliquant comment les fils de saint Ignace avaient travaillé à mieux connaître la culture chinoise afin d’implanter dans l’Empire du Milieu un catholicisme véritablement inculturé, « prenant en compte les contextes culturels et sociaux ». Pas un mot de la différence fondamentale entre une culture marquée par la religiosité naturelle et l’aspiration à la vérité et celle qui repose sur une négation du surnaturel et sur le mensonge au service de la praxis.
Les négociations entre le Saint-Siège et la Chine étouffent la réalité communiste
Il faut se garder à la fois du prosélytisme et de la proclamation abstraite et désincarnée des vérités de la foi, a insisté le prélat, affirmant que ces deux attitudes ne répondent pas de manière adéquate à l’appel du Christ à proclamer l’Evangile en tous lieux : « Ils ne peuvent saisir les coordonnées spatio-temporelles qui rendent possible une inculturation fructueuse de la foi » – c’est la seule manière, selon lui, de prendre en compte la « primauté de la grâce divine qui précède l’action humaine et anime l’histoire des peuples de l’intérieur ».
Proclamer que la semence de l’Evangile porte du fruit en tirant sa nourriture et en respectant les bonnes caractéristiques qui peuvent être celles la culture où elle est implantée n’est pas absurde en soi. Mais dans le contexte chinois actuel, caractérisé par l’insistance sur l’idéologie marxiste et le caractère de plus en plus dictatorial une société qu’il est déjà amplement, ces déclarations sont véritablement passées à côté d’une réalité que vivent les catholiques chinois fidèles tous les jours.
Ouvrir la voie à un catholicisme « à caractéristiques chinoises », comme le prône le secrétaire aux relations avec les Etats, ressemble par trop à un alignement sur le « socialisme à caractéristiques chinoises », au service d’une hégémonie qui se fait de plus en plus flamboyante.