Sept juges de la Cour suprême polonaise ont adressé jeudi une demande préjudicielle à la Cour de Justice de l’UE (CJUE) avec cinq questions à propos d’une réforme les concernant et votée par le parlement dominé par le PiS. Ce qui est en cause, c’est l’abaissement de l’âge de la retraite des juges de 70 à 65 ans. Pour motiver leur demande préjudicielle, les juges de la Chambre du Travail et des Assurances sociales de la Cour suprême ont estimé qu’il leur fallait une interprétation de la CJUE à la lumière du droit européen pour juger de la situation en matière de coordination des systèmes d’assurances sociales de l’UE de deux juges ayant justement atteint 65 ans. C’est ni plus ni moins une nouvelle manifestation de la dictature des juges contre la démocratie parlementaire. Normalement, une demande préjudicielle ne peut en effet concerner que des éléments du droit européen. Cependant, partant de la compétence de l’UE en matière de coordination des systèmes d’assurances sociales, ces sept juges nationaux demandent à la CJUE de statuer sur la conformité de la loi polonaise au droit européen en matière de respect de l’indépendance de la justice !
La Cour suprême de Pologne saisit la CJUE
Si la CJUE accepte de se prononcer dans ce domaine, elle créera un précédent dangereux applicable à tous les pays de l’UE et par lequel l’organisation et le fonctionnement des institutions judiciaires ne relèveront plus, malgré ce qu’en disent les traités européens, de la compétence exclusive des États. Les sept juges de la Cour suprême polonaise (soit un dixième des juges siégeant actuellement à cette cour) joignent de cette manière leurs efforts à ceux de la Commission européenne, qui, faute du soutien d’une majorité suffisante d’États membres pour poursuivre une procédure de sanctions contre la Pologne, a lancé il y a un mois la procédure pour saisir la CJUE sur la réforme de la justice polonaise.
Deux associations de juges ont bien tenté de bloquer la réforme de la Cour suprême en appelant au boycott par leurs pairs de la procédure de nomination des nouveaux juges de la Cour réformée et empêcher ainsi la nomination d’un nouveau président de la Cour suprême. Mais le parlement a réagi en réduisant le quorum nécessaire pour nommer un nouveau président de la Cour suprême et par ailleurs le boycott n’a pas fonctionné, les candidatures étant nettement plus nombreuses que le nombre de postes à pourvoir.
La dictature des juges au service du pouvoir de la Cour de justice de l’Union européenne
La demande préjudicielle adressée à la CJUE par un petit groupe de juges n’est donc qu’une nouvelle tentative de rébellion au sein d’une caste qui s’était habituée depuis la transition démocratique de 1989-90 à agir en toute impunité, hors de tout contrôle démocratique. Le plus extraordinaire dans cette affaire, c’est que les sept juges signataires de la demande préjudicielle prétendent suspendre pour une durée illimitée l’application d’une loi votée par le parlement, et ce alors que les juges ayant atteint 65 ans ont déjà été mis à la retraite. La constitution et les lois de la République de Pologne ne donnent pas à la Cour suprême le pouvoir de suspendre l’application des lois, mais ces juges ont estimé que la jurisprudence de la CJUE les autorisait à le faire !
Si la partie la plus radicale de l’opposition au PiS a réagi avec enthousiasme, nombreux sont les commentaires négatifs en Pologne face à la décision de la Chambre du Travail et des Assurances sociales de la Cour suprême. La présidente du Tribunal constitutionnel, seul organe habilité à invalider les lois votées par le parlement polonais, a accusé les sept juges d’avoir agi en violation de la constitution et du code de procédure civile, et elle a rappelé que la constitution et les lois de la République de Pologne ne donnent pas à la Cour suprême de compétence pour suspendre l’application de dispositions de la loi. En Pologne, la Cour suprême remplit le rôle d’une cour de cassation en matière civile et pénale et pour le droit du travail, et elle peut uniquement préciser la juste interprétation des lois à l’intention des tribunaux de niveau inférieur, dont elle assure la supervision. Le Conseil supérieur de la magistrature poursuit donc la procédure de sélection des nouveaux juges qui seront proposés au président Andrzej Duda. Ce dernier, qui a déjà publié les décrets officiels concernant la mise à la retraite de certains juges affectés par la réforme, estime lui aussi que la décision des juges de la Cour suprême n’a aucun effet juridique et qu’il n’a pas à en tenir compte.
Les juges suprêmes polonais jouent le jeu de l’UE
Le 25 juillet dernier, l’hebdomadaire Gazeta Polska publiait une liste des juges de la Cour suprême avec un passé au service du régime communiste et rappelait quelques jugements rendus par ces juges après la démocratisation du pays pour protéger leurs collèges et les agents ayant travaillé pour la dictature communiste. Le PiS justifie l’alignement de l’âge de la retraite des juges de la Cour suprême sur le régime général en vigueur en Pologne notamment par la nécessité d’accélérer le départ à la retraite des anciens juges communistes. Les juges de la CJUE vont-ils tenter de venir à leur secours ?