Un lot de photos d’Emmanuel Macron avec des adolescents dont l’un lui fait un doigt d’honneur indigne la toile, comme la semaine dernière une vidéo du rappeur Nick Conrad. Le président a répondu par un discours véhément sur l’amour, la haine et la république qui éclaire sa stratégie électorale.
Il a déjà du boulot, il n’a pas traversé la rue, il a traversé l’Atlantique pour nous donner la clef de sa vérité politique. A Paris, un horticulteur au chômage se plaint, il le morigène âprement avec un rien d’ironie ; à Saint Martin, un braqueur l’interpelle, il lui dit de ne pas recommencer et pose sur une photo avec lui et un copain torse nu. Dans les Vosges, un sexagénaire fait un doigt d’honneur sur son passage, il est arrêté, placé en garde à vue et fait l’objet d’un rappel à la loi. A Saint-Martin, il enlace le copain torse nu, lui parle affectueusement, et pose pour la photo tout sourire, en bras de chemise, avec le torse nu qui lui fait un doigt d’honneur, le pantalon baissé. Interpellé par Marine Le Pen, Macron répond qu’il aime tous les enfants de la république même quand ils font des bêtises.
Auguste de la République, Macron préfère la misère au soleil
Il vaut donc mieux habiter Saint Martin que la métropole si l’on veut exciter l’indulgence de Macron. Celui-ci a une préférence, et cette préférence, en première approche, est antillaise. Tâchons maintenant de préciser. Il y entre une composante sociale. Le président de la république s’en est expliqué clairement : tant le braqueur, incité à ne pas recommencer, que l’homme au doigt d’honneur sur la photo se trouvent assimilés à un « enfant de la république » qui « n’a pas choisi l’endroit où il est né, et il n’a pas eu la chance de ne pas en faire » (des bêtises). Donc, l’infinie clémence que l’Auguste de la République leur montre est une compensation, une forme de discrimination positive qui entend rompre la fatalité sociologique. On ne choisit ni sa famille ni les trottoirs de Manille, mais Macron arrive et rétablit la justice dans le monde fascinant de la misère au soleil.
L’amour et la sueur ruissellent sur la photo
Il entre ainsi dans la préférence antillaise une forme d’exotisme, de colonialisme de progrès, de tourisme politique. Là-bas, Macron n’est pas le président des riches et des sondages en berne, mais l’homme de la providence, qu’on embrasse, qu’on aime, qui apporte l’argent de l’Etat, caresse les têtes d’enfant, enlace les mamas et leurs grands adolescents, l’homme qui lance, « la Révolution aux Antilles, comptez sur moi », la vidéo a longuement immortalisé la séquence. Il fait chaud, on est en bras de chemise, un nouveau prince se révèle à soi-même et aux autres. La peau parle, elle ruisselle. Emmanuel moite aime les hommes noirs au torse nu, leurs danses et leurs gestes, on l’avait vu à l’Elysée pour la fête de la musique, cela se confirme. Est-ce sexuel ? Nous n’en savons rien. Mais c’est sûrement sensuel. A Saint-Martin, Macron, coincé à Paris dans ses costumes, était en safari sensuel.
Macron se moque de l’indignation et combat la haine
L’un des deux éphèbes qu’il étreint le regarde d’un air supérieur et fait un doigt d’honneur bien évident, le pantalon au deux tiers baissé : il continue à sourire niaisement, heureux de l’heure, offert à l’image. C’est son truc, c’est son trip.
Marine Le Pen, Messihah, Collard et toute la bande des culs pincés s’indignent, l’image du président, tout ça ? Il s’en… moque ! Et il descend dans l’analyse de sa préférence antillaise, dans l’exposé de ses principes politiques. C’est son cœur qui parle. Il « est comme ça ». Il « ne fera pas de mea culpa ». L’amour est au fond de ses convictions. L’amour de la république et de ses enfants. Et, logiquement, il désigne son ennemi : la haine. La haine, qui tente de nier et d’avilir l’amour, est l’ennemi naturel du progrès qu’il incarne. Or, il l’explique, elle perdra contre l’amour qu’il porte et promeut : « On ne tirera rien des discours de haine. Il faut arrêter de penser que notre jeunesse, parce qu’elle est d’une certaine couleur ou à un moment a fait des bêtises, il n’y a rien à en tirer. »
Sur la photo, on voit la couleur des bêtises dans la république
Trois choses sont à remarquer. La première est que Macron répondait à ceux (il n’y a pas que le Rassemblement national) qui s’inquiétaient de le voir avilir la fonction présidentielle dans des photos où il s’affiche avec un délinquant et un garçon à demi nu qui se moque ouvertement de lui. On lui reproche un manque de dignité (et de lucidité), il parle de haine, de discours de haine, et de « couleur ». En d’autres termes, pour éviter de répondre sur un point qui le gêne, il accuse tous ceux qui pourraient le critiquer de racisme.
Deuxièmement, il introduit de son propre mouvement la question raciale, et troisièmement, il la mêle, tant la diversion est grosse, à la question sociale (la jeunesse qui fait des bêtises). Ce qui le mène paradoxalement à reconnaître que certaines communautés sont liées à l’insécurité, puisque, dans son esprit, la jeunesse d’une certaine couleur fait des bêtises.
La vidéo de Nick Conrad célèbre l’amour de la République
Le mot haine mérite un arrêt sur image. Le « hate crime » est, dans la phraséologie de la révolution anglophone, l’abomination de la désolation, l’acte mauvais qui discrédite absolument l’ennemi politique, le fasciste raciste. De l’infraction la plus légère au crime de sang, il désigne tout ce qui peut offenser ou léser le membre d’une communauté messianique protégée, femmes, LGBT, Noirs, etc. L’identité de la victime est constitutive du « crime de haine ». Un exemple : Nick Conrad, qui vient de mettre en ligne une vidéo appelant à pendre les Blancs, l’a fait par amour, pour faire comprendre aux Blancs oppresseurs ce qu’est l’oppression, c’est donc peut-être un délit, mais commis par amour, ce n’est pas un crime de haine. C’est juste une bêtise, comme telle passible de l’indulgence de Macron et de sa justice. Nick Conrad est une victime de la fatalité sociologique qu’il faut extraire du karma de la haine et de l’injustice. Il ne faut pas qu’il recommence. Sa mère mérite mieux que ça. La république attend de lui une vidéo sur la fraternité des quartiers.
Extraire le peuple des bras de la haine, changer de peuple et la république
Enfin, l’épisode de Saint-Martin, la photo miraculeuse, a permis au président Macron une découverte. Le peuple. A Saint Martin il a découvert le peuple, et il en parle. Avec amour et véhémence, toujours pour répondre à la haine, incarnée pour la circonstance en Marine Le Pen : « Marine Le Pen, c’est l’extrême droite, et l’extrême droite ce n’est pas le peuple. Je suis président de la République et je ne laisserai à personne le peuple ». Naguère, le président de l’assemblée nationale socialiste Louis Mermaz avait décrit avec mépris par le mot de « populace » ceux que l’on nomme aujourd’hui populistes. Emmanuel Macron a compris que c’était une maladresse qui pousse le peuple toujours plus loin vers l’extrême droite. Pour le tirer de ces bras nauséabonds, il le magnifie et l’oppose à elle. C’est intelligent. Mais le peuple en métropole le hue et le conspue. Alors, il change de peuple en passant par Saint Martin. Pour sa réélection, il a choisi le peuple des Noirs et de ceux qui « font des bêtises », il fait le choix communautaire et racial des banlieues. Comme fit Obama pour sa première élection en 2008. Nihil novi sub sole.