Zareer Masani ne saurait passer pour un opposant ordinaire à l’antiracisme de rigueur au Royaume-Uni – son pays d’adoption – comme il l’est en France. Voici un homme qui revendique son homosexualité (c’est même elle qui l’a fait émigrer depuis l’Inde vers l’Angleterre au cours des années 1970) et qui a pour premier travail un poste de responsable des relations communautaires dans la municipalité de Camden où il était chargé de convaincre les écoles locales de mettre en place un enseignement antiraciste et multiculturel. Devenu spécialiste universitaire reconnu du nationalisme indien, Zareer Masani dénonce aujourd’hui avec vigueur la partialité de l’antiracisme dont il fut jadis promoteur. Dans une tribune publiée par le Telegraph de Londres, il expose la réflexion qui l’a fait changer d’avis pour dénoncer aujourd’hui le détournement de l’histoire en « projet d’égalité raciale ».
C’est la Royal Historical Society britannique qui cherche à aggraver ce détournement : dans un rapport tout récent, elle invite à « promouvoir et intégrer fermement l’égalité raciale et ethnique dans l’histoire du Royaume-Uni » telle qu’elle est enseignée dans les écoles, et ce pour éradiquer tout « racisme ».
L’antiracisme est empreint de partialité raciste…
Pour Masani, l’histoire est « l’étude de réalités complexes, souvent contradictoires, de notre passé, qui se prête rarement à des stéréotypes éthiques simples ». En tant qu’historien, il affirme que la prétention de « décoloniser » le curriculum officiel est le fait de militants qui cherchent à purger l’enseignement de l’histoire de faits qui les dérangent, censurant des détails qui cadrent mal avec les « valeurs » du présent.
Zareer Masani reconnaît ainsi que l’idéologie qu’il était chargé de mettre en œuvre dans les écoles de Camden revenait à imposer un enseignement simpliste sur l’esclavage et le colonialisme européens, taillé sur mesure pour convenir à des autorités éducatives gauchistes : « Avec le recul, je me rends compte que les orthodoxies de gauche de l’éducation antiraciste étaient tout sauf “diverses”. »
Elle conduisait notamment à omettre de rappeler que l’esclavage occidental est « un fragment historiquement minuscule de l’histoire globale de l’esclavage, qui remonte à plusieurs millénaires et continue de survivre dans certaines parties du monde arabe », affirme l’universitaire.
Un universitaire indien au Royaume-Uni dénonce le détournement de l’enseignement de l’histoire
« Combien d’élèves des écoles savent que des milliers de Britanniques blancs, hommes, femmes et enfants, ont été vendu sur les marchés d’esclaves du Proche-Orient au cours des seizièmes et dix-septièmes siècles après avoir été kidnappé par les corsaires barbaresques, les pirates arabes d’Afrique du Nord qui descendaient régulièrement sur les villages des côtes de Cornouailles et du Devon ? », interroge-t-il.
Certes, reconnaît-t-il, il ne faut pas taire le fait que la traite transatlantique des esclaves a joué un rôle important pour faciliter la révolution industrielle en Angleterre. « Mais ce récit ne devrait-il pas inclure le rôle bien établi et précolonial de l’esclavage qui faisait partie intégrante des sociétés africaines, ravies d’échanger des esclaves contre des importations européennes ? Ne devons-nous pas mentionner que les marchands d’esclaves arabes ont poursuivi leur activité très lucrative dans l’ensemble de l’empire ottoman jusqu’au début du XXe siècle ? Et ne devons pas reconnaître à la Grande-Bretagne qu’elle a été le premier pays au monde à bannir l’esclavage, imposant cette loi à travers la totalité de son empire, l’Inde y comprise ? »
Mais voilà, tout cela va à l’encontre de l’anticolonialisme : pour la partie universitaire de ce lobby, cela signifie que « l’esclavage signifie seulement la réduction en esclavage des Noirs par les Blancs ». « La vision de l’égalité raciale est tout aussi mono-culturelle, puisqu’elle se confine à la discrimination des Noirs par les Blancs en Europe et dans ses colonies », ajoute Zareer Masani.
La partialité de l’antiracisme fait oublier les méfaits des empires non blancs
Cela ne laisse guère de place à l’étude d’autres racismes qui ont émaillé l’histoire des hommes, depuis l’empire Aztèque jusqu’à celui des Han en Chine.
« Tout étudiant britannique connaît les maux de l’apartheid en Afrique du Sud sous le règne des Blancs. Mais combien sont-ils à savoir que le système de racisme institutionnalisé le plus cruel et le plus persistant au monde est celui du système des castes en Inde, ou 20 % de la population était traitée d’“intouchables” dont l’ombre même était considérée comme polluante ? » Un système que 30 % des hindous en Inde mettent toujours en pratique…
A propos des Aztèques ou Incas, Masani ose se demander s’il est juste de les considérer simplement comme des victimes de la Conquête espagnole en oubliant qu’ils été aussi des conquérants qui avaient construit leurs propres empires.
Zareer Masani souligne le legs positif de la colonisation
Il va jusqu’à écrire : « Le plus important n’est-il pas qu’un curriculum d’histoire débarrassé de tout racisme sache célébrer le legs positif de l’impérialisme, que ce soient les institutions démocratiques, les cours de justice, la science, la technologie, et même ses conséquences imprévues ? »
Et de conclure, en ce centenaire de l’armistice de la Grande Guerre : « Nous pourrions nous rappeler que l’Inde a fourni à la Grande-Bretagne la plus grande armée de volontaires que le monde ait connu, comptant plus d’un million d’hommes. Des milliers d’entre eux sont morts au combat, mais leurs soldes ont fait du Pendjab la province la plus riche de l’Inde tandis que leur service outre-mer a permis de faire tomber les barrières des castes en encourageant l’émergence de l’identité nationale indienne. Manière de rappeler à nos universitaires anticoloniaux que l’impérialisme a rarement été un simple trafic à sens unique. »
Anne Dolhein