Il circulera sans doute beaucoup dans certains milieux catholiques, comme M et le Troisième Secret : le nouveau documentaire de Pierre Barnérias, Miracles, a connu ses premières projections en salle depuis le 25 mars et se fait l’apologue de plusieurs objets dont l’origine et la facture constituent des énigmes pour la science. Le Linceul de Turin, l’image inexplicablement laissée sur la pauvre cape d’un Indien du XVIe siècle, Notre Dame de Guadalupe, ainsi que les 15.000 pages écrites en quatre ans, « sans hésitation et sans rature », par l’Italienne Maria Valtorta dans les années 1940 comme un script très détaillé d’une sorte de « film » de la vie de Jésus sont présentés dans Miracles par un Barnérias émerveillé. Mais le cocktail s’avère détonnant, et on en sort avec une impression de malaise.
Je me suis installée dans mon fauteuil de cinéma, le lundi 10 avril, jour de l’unique projection dans une quarantaine de salles en France, avec un a priori favorable. A la suite d’un malentendu, cette séance du film ne devait pas avoir lieu dans cette salle alors qu’elle était toujours annoncée sur divers sites internet. Sachant que de nombreuses personnes avaient eu cette fausse information, le cinéma a déprogrammé le jour même un autre film qui n’avait pas grand succès pour passer plutôt celui qui provoquait l’engouement des catholiques. Un petit miracle, déjà ?
Le film “Miracles” entre émerveillement et imprudence
Il faut reconnaître que Miracles comporte des points forts. Construit comme un documentaire, avec la voix off de Barnérias pour fournir la trame, il est composé d’une succession d’entretiens avec des spécialistes ou des « amoureux » des objets présentés, des reportages et des images d’archives.
L’enchevêtrement des sujets, au point parfois de semer la confusion sur ce dont il est question – surtout chez les spectateurs qui n’en auraient pas une connaissance préalable – nuit cependant à l’ensemble.
Pour le Linceul de Turin, les explications apportées par Jean-Christian Petitfils, auteur du livre récemment paru Saint-Suaire, l’enquête définitive, par le photographe juif Barrie Schwortz qui est convaincu que ce linge vieux de 2000 ans a enveloppé le corps d’un homme supplicié exactement comme le racontent les Evangiles – Notre Seigneur, donc –, et bien d’autres, viennent efficacement synthétiser la réponse au scepticisme de ceux qui rejettent d’innombrables recherches scientifiques allant dans le sens de l’authenticité.
Hélas, en recourant de manière fréquente à l’analyse de Jean-Christian Petitfils, le film lui donne trop de crédit, alors même que son livre présente sans critique toutes les études plus ou moins confuses et plus ou moins crédibles, sans compter des citations hors contexte. Et sur la datation au carbone 14, l’affaire se corse, puisque les réfutations que présente Petitfils sont contradictoires entre elles, et qu’il rejette la seule faisant l’unanimité parmi les chercheurs sérieux : la substitution d’échantillons.
Le film offre néanmoins des images émouvantes et parlantes : on suit ainsi pas à pas l’extraordinaire sauvetage du Linceul par le pompier Mario Trematore lorsque l’église qui l’abrite fut incendiée en 1997, grâce au reportage de l’époque. Les terribles marques qui sur le Linceul témoignent de la torture que fut la flagellation répondent en écho à des images tirées de La Passion du Christ de Mel Gibson. Comment ne pas être saisi alors par l’amour sans limites du Verbe de Dieu fait homme qui choisit de mourir sur la Croix en portant tous les péchés du monde afin de racheter l’humanité ?
La présentation du miracle de Notre Dame de Guadalupe permet également de profiter d’images magnifiques en grand écran de cette toile végétale aux multiples propriétés inexplicables, la première étant sa conservation pendant plusieurs centaines d’années. Impossible ! Impossible, la disposition des étoiles sur le manteau de la femme « imprimée » sur le manteau de saint Juan Diego, exactement conforme à leur place dans le ciel du Mexique le 12 décembre 1531 (et non en septembre, comme le dit de manière erronée Didier Van Cauwelaert dans son interview dans Miracles). Impossible, le « reflet » dans les yeux de cette femme à l’air si doux, de l’image des personnes dont les récits de l’époque indiquent qu’elles étaient présentes lorsque Juan Diego déploya son manteau devant l’évêque vers qui la Dame l’avait envoyé. Stupéfiant, le « dialogue » entre les codes de l’iconographie sacrée de l’Espagne de ce temps-là avec des messages visuels parfaitement compréhensibles par les Indiens de culture aztèque, qui pouvaient y voir les signes affirmant la virginité d’une femme présentée comme enceinte, portant en elle l’auteur de la vie, mais aussi sa haute naissance.
Chez Pierre Barnérias, un manque de discernement
Miracles évoque nombre de ces faits, mais il y aurait tant de plus à dire ! Surtout, et c’est le signe d’un manque de discernement, le choix de certains intervenants et le montage de leurs propos incite à une vision syncrétique de cette image de la Vierge présentée comme la version chrétienne de la déesse aztèque Tonantzin, comme le dit l’écrivain Didier Van Cauwelaert. Le même assure que Juan Diego a été « converti de force » par les Espagnols arrivés une dizaine d’années plus tôt au Mexique et, en substance, que le miracle dont il a bénéficié a permis aux populations autochtones de continuer de valoriser leur religion d’origine.
De même, la parole est longuement donnée au P. François Brune, qui a écrit de belles choses sur Notre Dame de Guadalupe mais que l’on fait bien d’aborder avec prudence, étant donné ses écrits favorables au « dialogue » avec les morts et aux médiums, et sa conversion, sur le tard, à l’orthodoxie.
Pour finir, ces deux empreintes véritablement extraordinaires, et dont la vénération est approuvée et encouragée par l’Eglise catholique, sont ici en quelque sorte « mélangées » avec le troisième objet du film Miracles, les écrits de Maria Valtorta. Ils sont parus en français sous le titre L’Evangile tel qu’il m’a été révélé, extraordinairement heurtant pour un catholique qui sait que la Révélation a été close à la mort du dernier Apôtre, et que nul ne saurait seul se revendiquer dépositaire ni de l’Evangile, ni de la Tradition. S’ils figurent dans le film de Barnérias, c’est en tant qu’énigmes pour la science du fait de leur « exactitude » étonnante de la part de leur auteur, une femme qui n’a jamais quitté l’Italie et qui a écrit cette œuvre considérable présentée comme exempte de toute contradiction interne, ce qu’une lecture attentive ne confirme pas, aux dires de certaines critiques très précises.
Peut-on critiquer Valtorta ?
Il y a bien sur des « révélations privées » – comme les apparitions de Lourdes ou Fatima – mais celles-ci ne peuvent en rien contredire la Révélation publique dont l’Eglise catholique est la dépositaire, et c’est encore elle qui est chargée d’en vérifier l’authenticité. Or les écrits de Maria Valtorta, dont le volume et la rapidité de consignation font penser à une forme d’écriture automatique, ont été à plusieurs reprises jugés comme n’étant « pas d’origine surnaturelle », d’abord par le Saint-Office en 1959 qui les a mis à l’Index, puis par le cardinal Ratzinger en 1992, et encore, en 2021 en France, par une note de la Commission doctrinale des Evêques de France.
Beaucoup de partisans de l’œuvre de Valtorta sont persuadés que ces condamnations sont soit inopérantes, soit injustes, et évoquent le profit spirituel qu’ils tirent de sa lecture. Un lecteur interviewé par Pierre Barnérias assure ainsi que si seulement le monde voulait lire et accepter ce récit, il en serait transformé. C’est une prétention étrange : ce qui a effectivement transformé le monde, c’est l’Incarnation du Verbe de Dieu, que nous connaissons précisément grâce aux Evangiles et à la Tradition dont les apôtres et leurs successeurs sont les garants.
Les écrits de Maria Valtorta, qui résultent de sa « vision » très détaillée de la vie de Marie et de Jésus ainsi que de « dictées » qu’elle dit avoir reçues de Notre Seigneur, affirment la volonté de ce dernier de faire connaître de manière quasi-magistérielle l’histoire du salut dans de nombreux et même d’innombrables détails et bavardages rapportés in extenso, alors que les Evangiles seraient marqués par des oublis qu’il s’agit de réparer. Or il est certain que la Révélation contient ce que Dieu a voulu révéler, et cela seulement.
C’est pour cette raison que les révélations privées doivent être jugées à son aune, et non pas imposées comme cela arrive souvent chez Maria Valtorta où le Christ est présenté comme maudissant ceux qui émettraient des doutes au sujet de l’œuvre.
La critique s’impose à la lumière de l’Evangile et de la Tradition
Parmi les bizarreries du récit-fleuve, il en est de très dérangeantes, telles des affirmations selon lesquelles le Verbe de Dieu s’est « séparé » de la Sainte Trinité pour « descendre » sur terre, laissant le Père et le Saint-Esprit là-haut…
Ou encore, l’incarnation de Satan en Judas, comme une sorte de pendant à l’Incarnation du Verbe qui prit chair de la Vierge Marie – d’ailleurs son corps d’homme est présenté comme n’étant « qu’un vêtement », ce qui contredit la doctrine catholique sur l’union hypostatique : Notre Seigneur a pleinement assumé la nature humaine en son unique Personne.
Au sujet de Judas, un récit met en scène Jacques d’Alphée qui demande pourquoi Jésus ne l’a pas délivré démon, ou « vaincu ». Réponse de « Jésus » : « Je le pouvais. Mais pour empêcher Satan de s’incarner pour me tuer, j’aurais dû exterminer la race humaine avant la Rédemption. Qu’aurais-je racheté alors ? » Et la toute-puissance de Dieu ? Pourquoi cette réponse manifestement absurde ? Notre-Seigneur ne s’est-Il pas au contraire volontairement livré pour nous ?
Les écrits de Maria Valtorta assurent aussi à plusieurs reprises que l’âme de Marie, « l’Enfant Eternelle », séparée de sa chair, préexistait à sa conception, voire que toutes les âmes ont plus ou moins le souvenir d’une existence de Dieu avant le commencement de leur existence humaine.
Cette affirmation de la « préexistence » de l’âme de Marie, teintée de platonisme, est clairement contraire à l’enseignement de l’Eglise, et devrait suffire à inciter le fidèle à la plus grande prudence. On en trouvera ici une étude par don Guillaume Chevallier de la Communauté Saint-Martin, qui a consacré plusieurs études critiques aux écrits de Maria Valtorta.
En mettant ces écrits au même niveau que les images miraculeuses que la Divine Providence a voulu offrir au regard et même à l’analyse des hommes, le film Miracles participe à l’établissement d’une confusion potentiellement dangereuse.