L’une en Espagne ; l’autre en Italie : deux reconstitutions de « l’Homme du Linceul » de Turin permettent à chacun de voir à quoi ressemblait le supplicié enveloppé dans ce linge vieux de deux mille ans qui porte l’empreinte d’un corps flagellé, couronné d’épines, crucifié.
Empreinte de mort et empreinte de gloire : le Linceul montre l’image mortuaire d’un noble visage, les yeux clos, immobile. Inexplicablement présente sur le beau tissu de lin, « imprimée » à la manière d’une radiographie, comme si un événement d’une force vitale inouïe avait laissé sa trace, cette face interpelle. Visage de la mort sur la croix… mais représentation de Celui qui est la Résurrection et la Vie.
Ce n’est pas le moindre mystère de cette image que sa « tridimensionnalité » : comment expliquer que ses traits, une fois analysés, calculés, restitués d’après l’intensité lumineuse de chacun de ses points, correspondent à une parfaite représentation en trois dimensions ?
Le Linceul de Turin recèle l’image d’un corps réel
En Espagne, c’est Artipolis, la société de gestion de musées et de monuments historiques spécialisé dans l’art sacré, qui a entrepris de rendre concrètement visible ce phénomène en réalisant une reconstitution hyperréaliste en trois dimensions du corps enveloppé par le Linceul de Turin. Son travail a reçu le titre de The Mystery Man, et c’est le fruit de dix ans de recherche mais aussi de mise en scène en vue de l’exposition au public, car l’idée était aussi de faire œuvre de pédagogie.
Les artistes ont choisi d’utiliser latex, silicone et vrais cheveux pour montrer le corps en l’état de rigueur cadavérique, tel qu’il était posé dans le linceul, chaque détail étant respecté. Les plaies et les coulées de sang sont toutes fidèles aux traces laissées par les plaies du crucifié ; on peut voir jusqu’aux pores de la peau. Il n’a été fait référence à aucune école artistique qui au cours des siècles ont influencé les innombrables représentations de Notre-Seigneur, pour s’en tenir à une grande exactitude scientifique. Mais l’objet fini apparaît tout de même comme une « œuvre », note Alvaro Blanco, commissaire de l’exposition : « Elle produit une émotion comme le fait toute grande œuvre artistique. »
Les représentations artistiques du Christ, note-t-il, ont d’ailleurs toutes, d’une manière ou d’une autre et à travers les siècles, « copié » l’image du linceul.
Une représentation hyper-réaliste inspirée par les travaux sur le Linceul
La réalisation a fait appel aux nombreuses recherches menées sur le linceul, à commencer par le livre de Pierre Barbet, La Passion de Jésus-Christ selon le chirurgien. Alvaro Blanco note à ce propos que les bras et la poitrine de l’homme du linceul sont dans une position étrange, contrainte, liée au fait que les bras du crucifié avaient été étirés aux dimensions de la croix…
La première exposition s’est tenue en la cathédrale de Salamanque d’octobre à mars où elle a attiré 70.000 visiteurs, qui ont pu découvrir non seulement l’émouvante image de Jésus tel qu’Il était au tombeau, mais également une présentation historique de sa Passion et des explications historico-scientifiques sur le linceul. L’évêque de Salamanque a souligné que cette représentation du Christ pouvait raviver la foi des fidèles, et pourquoi pas la susciter chez les non croyants.
Depuis le 25 mars, elle a été installée en la cathédrale de Guadix (Grenade) où elle demeurera jusqu’au 30 juin, avant d’être transférée dans une localité italienne au mois d’août. « Au cours des vingt années à venir, nous voulons faire le tour d’églises du monde entier », précise Alvaro Blanco.
Une autre reconstitution en marbre porte elle aussi à la méditation
A Rome, tout près de la porte Sainte-Anne et du Borgo Pio, une autre représentation du corps de l’homme du linceul peut se visiter dans la Galleria Arte Poli. L’approche est plus classique : il s’agit d’une statue sculptée d’après les données du Linceul, et l’on peut grâce aux explications voir de quelle manière l’artiste a pris les mesures et donné de l’épaisseur au portrait de l’homme du linceul. Cette vidéo montre ainsi la correspondance entre le tissu et la statue en enveloppant celle-ci d’une réplique en tissu du linceul. Le « gisant » de marbre blanc, comme le corps reconstitué par Artipolis, porte des marques rouges pour indiquer le lieu des plaies du crucifié.
Dans l’un comme dans l’autre cas, la conscience des souffrances endurées se mêle à la pitié et à la reconnaissance, et surtout porte à la contemplation du grand mystère du Vendredi-Saint, jour où le Christ nous a acquis le salut.