Aux JMJ, le pape François a parlé aux jésuites pour condamner les « réactionnaires »

JMJ François jésuites réactionnaires
 

Comme il le fait habituellement lors de ses voyages à l’étranger, le pape François a profité de sa présence à Lisbonne à l’occasion des JMJ pour rencontrer les jésuites locaux et échanger avec eux. Ses libres propos en réponse aux questions – « Posez-moi des questions ! Demandez ce que vous voulez. N’ayez pas peur de poser des questions imprudentes. L’imprudent, s’il y en a un, ce sera moi en répondant ce que je pense ! » – ont été publiés le 28 août en plusieurs langues par La Civiltà Cattolica. Ils ont attiré l’attention des médias en raison de la condamnation par le pape des « réactionnaires », et nommément ceux des « Etats-Unis ». On s’est délecté de ses remarques sur les « péchés en dessous de la ceinture », de ses critiques contre le fait que « nous regardions le soi-disant “péché de la chair” avec une loupe, comme nous l’avons fait pendant si longtemps en ce qui concerne le sixième commandement ».

Et comme le pape, à l’instar de ce qu’il a fait lors de ses interventions pour les Journées mondiales de la jeunesse, a répété que « tous », absolument tous, ont leur « place dans l’Eglise ». « Jésus est très clair sur ce point : tout le monde. Les invités ne voulaient pas venir au festin. Il a donc dit d’aller au carrefour et d’appeler tout le monde, tout le monde. Et pour que ce soit bien clair, Jésus dit “sains et malades”, “justes et pécheurs”, tout le monde, tout le monde. Autrement dit, la porte est ouverte à tous… », a-t-il dit aux jésuites.

 

Le pape François n’aime pas les « réactionnaires » américains

Ce discours est caractéristique du pape François (et des siens) : cela a éclaté au grand jour aux yeux de l’Eglise universelle au moment du synode sur la famille, qui a abouti à l’ouverture de l’accès à la communion pour les divorcés « remariés » n’ayant pas l’intention de quitter un état de vie objectivement désordonné. De même n’a-t-il pas rappelé que dans cette parabole de l’invitation aux noces, ceux qui n’avaient pas revêtu l’habit de noces – qui symbolise le baptême, l’état de grâce et le pardon des péchés – étaient rejetés dans les ténèbres extérieures.

Ainsi le pape affirme, ce qui est vrai, que tous sont appelés au salut, et que tous sont de la sorte appelés à entrer dans l’Eglise qui en est l’unique voie, puisque tout homme sauvé l’est en effet par l’Eglise, par les mérites de Notre Seigneur dont elle forme le Corps mystique. Mais il n’évoque pas de manière claire le devoir de renoncer au péché, et plus particulièrement aux états de vie gravement peccamineux, et revendiqués.

La doctrine du Corps mystique est aujourd’hui battue en brèche, soit dit en passant, puisque l’Eglise est désormais présentée prioritairement comme le « peuple de Dieu », ce qui offre beaucoup plus de latitude quant à ses membres…

Le pape François a donc répondu à une question sur la société contemporaine : « Je n’ai pas peur de la société sexualisée, non ; j’ai peur de la manière dont nous nous y rapportons. J’ai peur des critères mondains. Je préfère utiliser le terme “mondain” plutôt que “sexualisé”, parce que ce terme englobe tout. »

Réponse hors sol. Comment ne pas s’angoisser, en effet, devant cette société qui cherche par tous les moyens à attirer chacun et même les plus jeunes et les plus innocents dans les dérèglements de la chair, que ce soit par les spectacles, l’habillement, la prétendue « éducation sexuelle » qui est le plus souvent une incitation à la débauche, et le brouillage complet de la masculinité et de la féminité ? Combien d’âmes se perdent ainsi ?

 

Aux JMJ de Lisbonne, François rencontre les jésuites portugais

A une autre question sur ceux qui le critiquent, le pape François a répondu : « Tu as constaté que la situation aux Etats-Unis n’est pas facile : il y a une attitude réactionnaire très forte, organisée, qui structure même une appartenance affective. Je veux rappeler à ces personnes que l’“indiétrisme” est inutile et qu’il faut comprendre qu’il y a une juste évolution dans la compréhension des questions de foi et de morale, à condition de suivre les trois critères que Vincent de Lérins indiquait déjà au Ve siècle : que la doctrine évolue ut annis consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate. En d’autres termes, la doctrine progresse également, se dilate avec le temps, se consolide et s’affermit, mais toujours en progressant. Le changement se développe de la racine vers le haut, en grandissant avec ces trois critères. »

Mais en invoquant ainsi saint Vincent, comme il le fait toujours pour justifier le changement, le pape passe à côté de l’aspect essentiel de cette citation qui parle de « consolidation », et surtout, il tait les mots qui suivent. Saint Vincent parlait du dogme, et précisait qu’« il est nécessaire, cependant, qu’il demeure toujours absolument intact et inchangé ».

François parle explicitement de choses dont il prétend qu’elles ont changé de manière radicale, inévitable : « Venons-en au concret. Aujourd’hui, posséder des bombes atomiques est un péché ; la peine de mort est un péché, elle ne peut être pratiquée, et ce n’était pas le cas auparavant ; quant à l’esclavage, certains Papes avant moi l’ont toléré, mais les choses sont différentes aujourd’hui. Donc on change, on change, mais avec ces critères. J’aime utiliser l’image “vers le haut”, c’est-à-dire ut annis consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate. Toujours sur ce chemin, à partir de la racine, avec une sève qui monte peu à peu, et c’est pour cela que le changement est nécessaire. »

 

Le pape François, nouveau maître de la morale ?

Le pape s’érige ainsi en maître de la morale : c’est bien lui qui a décidé que toute application de la peine de mort, dont le principe a toujours été accepté par l’Eglise (et même par le Bon Larron au Golgotha, sans se faire reprendre par le Christ !), serait désormais un « péché ».

On en déduit que des comportements ou des actes jadis peccamineux pourraient bien ne plus l’être aujourd’hui, et que croire le contraire est preuve d’« indiétrisme » – de fixation sur le passé.

Ce qui amène le pape à déclarer, pour accuser notamment les traditionalistes américains de se tourner vers « l’idéologie » :

« Les autres sciences et leur évolution aident (…) l’Eglise dans cette croissance de la compréhension. Il est faux de considérer la doctrine de l’Eglise comme un monolithe. Mais certains s’excluent eux-mêmes, ils vont à reculons, ils sont ce que j’appelle des “indiétristes”. Quand on recule, on forme quelque chose de fermé, de déconnecté des racines de l’Eglise, et on perd la sève de la révélation. Si l’on ne change pas vers le haut, on recule, et l’on adopte alors d’autres critères de changement que ceux que la foi elle-même nous donne pour grandir et changer. Les effets sur la moralité sont dévastateurs. Les problèmes auxquels les moralistes doivent faire face aujourd’hui sont très graves et, pour les résoudre, ils doivent prendre le risque du changement, mais dans la direction que j’ai indiquée. »

En somme, ceux qui se tournent ainsi vers le passé se coupent de la révélation et donc n’auraient plus la foi, conditionnée par l’acceptation de l’évolution et du changement. Voilà un trait tout à fait caractéristique de la pensée du pape François et de la théologie du peuple dont il se réclame : c’est une théologie qui cherche la vérité non dans le dogme et son expression doctrinale, mais dans l’observation de ce qui nous entoure – l’histoire, les jeunes, les pauvres, le peuple en un mot érigé « lieu théologique » et source de révélation.

 

Les réactionnaires sont ceux qui appellent le péché, péché

En clamant que l’Eglise doit être ouverte à « tous », ce qui l’amène à recevoir des couples homosexuels, des transgenres, à prêcher l’ouverture aux homosexuels, le pape François applique en quelque sorte cette approche quitte à scandaliser ceux qui s’efforcent d’observer les commandements de l’Eglise – surtout ceux pour qui cela est le plus difficile.

Mais qu’en est-il de l’accusation du pape à l’encontre d’une Eglise d’hier – et ses séides « indiétristes » – qui voyait surtout le « “soi-disant” péché de la chair » ? Et d’ailleurs, a-t-il employé cette formule curieuse ? Il semble avoir parlé en espagnol, disant en réalité : « Ce que moi, je n’aime pas, c’est que la loupe soit focalisée sur ce “péché de la chair”, comme elle était focalisée avant sur le sixième commandement. Si tu exploitais les ouvriers, si tu mentais ou si tu fraudais, ce n’était pas important, mais les péchés d’en-dessous de la ceinture, ceux-là étaient importants. »

Outre qu’il s’agit là d’une accusation assez gratuite, il aurait pu noter que ce qui hier était considéré comme désordonné et peccamineux dans le domaine de « la chair » est aujourd’hui motif de fierté (pour ne pas dire pride), de revendication et même de persécution de ceux qui s’y opposent.

Certes le pape n’a pas tort de rappeler que le péché de la chair n’est pas le pire de tous, et qu’il ne faut pas focaliser toute l’attention sur lui. Le pire des péchés, c’est celui de l’orgueil ; celui de vouloir se faire et se croire au-dessus de Dieu et de sa loi, ce qui entraîne évidemment le mensonge (et aussi le péché de la chair qui est fondamentalement rejet de Dieu et volonté de se moquer de ses commandements). Le péché de la chair est souvent celui de la faiblesse humaine, certes, en quoi il est moins grave que l’orgueil, mais à l’orgueil fait souvent suite le péché de la chair, assumé alors et revendiqué.

Et c’est bien pour cela que les « communautés LGBT » ne peuvent être accueillies en tant que telles dans l’Eglise, elles qui se réclament de la commission de péchés mortels pour se voir reconnaître. Une chose est d’accompagner une personne, toute personne vers un véritable changement de vie, vers une possible sainteté, autre est celle qui consiste à prêcher un accueil visible et systématique.

Entretenir la confusion à ce sujet est grave, d’autant plus grave peut-être que par ailleurs le pape a invité ses auditeurs à ne jamais abandonner le sérieux examen de conscience et à se méfier des ruses du démon. Le message qui en ressort en effet est que tout « style de vie », comme ils disent, est acceptable, et que le pire coupable est celui qui dénonce le mal.

 

Jeanne Smits