La nomination par le pape François de Mgr Victor Manuel « Tucho » Fernandez à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la foi a tout de la mauvaise plaisanterie… mais plus que cela, c’est une provocation qui laissera l’Eglise encore plus désarmée par rapport à l’annonce de la Vérité, sous des apparences de plus grande attention à la pauvreté et aux nécessités « pastorales ». Heureusement que nous avons l’assurance que les portes de l’enfer ne prévaudront pas sur elle, car à l’heure qu’il est les coups de boutoir semblent se faire plus violents et plus rapprochés. Cette ascension fulgurante d’un très proche de François se concrétisera-t-elle dans une prochaine remise de chapeau de cardinal à « Tucho », comme il sied à un préfet de dicastère ?
Ce serait comme un cadeau empoisonné laissé par François à l’Eglise alors que lui-même vieillit, et affiche une santé plus fragile. Tout se passe comme si le pape régnant voulait se perpétuer à travers un homme qui pense comme lui, en tous points – et notamment celui de la « théologie du peuple » à laquelle Victor Manuel Fernandez adhère comme son maître. Cet évêque créé par François quasiment au lendemain de son élection au siège de Pierre affirmait en 2020, au sujet de leur amitié : « Mais moi je dis que plus qu’un ami, je suis fils de Bergoglio. »
Ainsi on imagine François verrouillant l’héritage ; à l’approche du synode sur la synodalité, il a en tout cas fait sauter le verrou d’une « CDF » sous la houlette du plus classique cardinal Ladaria, et qui pourrait y trouver à redire : il s’agit de rendre possible cette révolution radicale qui s’annonce de la structure hiérarchique de l’Eglise et du sacerdoce.
Victor Manuel Fernandez, un protégé du pape François
L’actuel archevêque de La Plata – où il remplaça le très conservateur Mgr Hector Aguer dans des circonstances odieuses – a fait quelques confidences au sujet de sa nomination romaine, dans une lettre envoyée à ses ouailles. « Le pape François m’a pris par surprise… Je vous avoue que j’ai passé un mois à me ronger les ongles, car je n’avais pas envie de m’en aller. » « Tucho » a d’abord refusé, « l’âme douloureuse » de ne pas pouvoir répondre à l’appel de celui par qui il avait « reçu tant de bien ».
Mais c’est depuis l’hôpital où il était soigné sur François est revenu à la charge, l’assurant que ce protégé par excellence trouverait sur place une équipe capable de travailler « de manière assez autonome », chargée des cas d’abus du clergé sur les mineurs, domaine dans lequel Mgr Fernandez s’était dit incompétent. Le pape disait avoir besoin d’un « préfet qui puisse consacrer davantage de temps à ce qui donne son nom au dicastère : la doctrine de la foi, l’étude des grands thèmes de dialogue avec le monde et les sciences ». « Tucho » écrit : « Comment dire non ?… C’est une tâche qui m’enchante, dont je me sens capable comme un poisson dans l’eau. »
Il va donc entrer à l’ex-Saint-Office, qui « était la terreur de beaucoup, parce qu’il se vouait à la dénonciation des erreurs, à la persécution des hérétiques, au contrôle de tout, et même à la torture et à l’assassinat », ajoute le futur préfet ; lui au contraire, comme le veut François, recherchera une « croissance harmonieuse de la foi », ce qui « préservera plus efficacement la doctrine chrétienne que n’importe quel mécanisme de contrôle ».
Saluant « la sensibilité et l’exquise charité de François », il a expliqué que le pape lui avait personnellement trouvé une petite maison avec terrasse et vue sur les jardins du Vatican, pour qu’il puisse voir de la verdure.
Victor Manuel Fernandez et la doctrine : deux réalités antinomiques
Victor Manuel Fernandez, gardien de la doctrine de la foi ? La chose est risible, aberrante, une insulte à l’intelligence. Lorsque le cardinal Bergoglio l’appela à devenir recteur de l’Université pontificale catholique d’Argentine, il y eut sur place une levée de boucliers et des objections depuis Rome, et notamment de la Congrégation pour l’éducation catholique, qui ne se contentaient pas de dénoncer l’insuffisance de son envergure académique mais qui dénonçaient, plus gravement, le manque d’orthodoxie de nombre de ses prises de position. Il y avait notamment des déclarations ambiguës alors qu’on discutait au Congrès argentin de la légalisation du « mariage égalitaire » (ouvert aux couples de même sexe).
Ce fut Bergoglio qui se chargea de désamorcer ce qui est aujourd’hui présenté comme une cabale contre l’excellent Tucho. Et c’est ce dernier qui s’est chargé d’expliciter la pensée pontificale lorsque naquit une controverse au sujet du soutien de ce dernier aux unions civiles homosexuelles qui apparaissait dans le documentaire Francisco d’Evgueny Afineefsky. Dans un message sur Facebook, effacé depuis, Mgr Fernandez écrivait :
« Bergoglio a toujours reconnu que, sans les appeler “mariage”, il existe en fait des unions très étroites entre personnes du même sexe, qui n’impliquent pas en elles-mêmes de relations sexuelles, mais une alliance très intense et stable. Ils se connaissent très bien, ils partagent le même toit pendant de nombreuses années, ils prennent soin l’un de l’autre, ils se sacrifient l’un pour l’autre. Il peut donc arriver qu’ils préfèrent, dans un cas extrême ou en cas de maladie, ne pas consulter leurs proches, mais la personne qui connaît parfaitement leurs intentions. Et pour la même raison, ils préfèrent que ce soit cette personne qui hérite de tous leurs biens, etc. Cela peut être prévu par la loi et s’appelle “union civile”, ou “loi de cohabitation civile”, et non pas mariage. Bergoglio a toujours été de cet avis et, il y a quelques années, il y a même eu une discussion au sein de l’épiscopat argentin, où Bergoglio a défendu cette position, mais il a perdu. La majorité a déclaré qu’il y aurait confusion avec le mariage et qu’elle préférait ne pas innover. »
Rappelons que là où elle est légalisée, l’union civile est réservée aux personnes qui n’ont pas de lien familial proche et qui ne sont pas mariées par ailleurs : elle est de fait soumise aux mêmes conditions que le mariage, hormis la complémentarité des sexes, et elle débouche le plus souvent sur la légalisation du « mariage des couples de même sexe ».
Victor Manuel Fernandez, rédacteur-interprète de la pensée du pape
De quel droit Mgr Fernandez se fait-il interprète de la pensée du pape ? Parce que, bien souvent, il « est » la pensée du pape. C’est à Aparecida en 2007, lors de la grande rencontre de la conférence des évêques d’Amérique latine (CELAM) qu’il fut invité à participer à l’élaboration du document final qui à bien des égards est le manifeste programmatique de la « théologie du peuple ». Le cardinal Bergoglio en était le rédacteur principal ; les deux hommes ont travaillé de concert, le jour, le soir, même la nuit lorsque les autres partaient se coucher – de la naît une proximité, une complicité qui s’est exprimée dans la carrière express offerte par le cardinal au jeune prêtre.
Les sujets d’entente sont si nombreux que Tucho est réputé avoir été l’un des principaux rédacteurs d’Evangelii Gaudium, où François expose notamment ses « quatre principes » (le temps est supérieur à l’espace, la réalité est supérieure à l’idée…) censés renouveler la doctrine sociale de l’Eglise. Dans Amoris laetitia, les paragraphes les plus controversés autour de l’accès des divorcés-remariés à la communion ont certainement été écrits par Victor Manuel Fernandez, puisqu’on les retrouve quasi tels quels dans ses écrits antérieurs. Il est ainsi le chantre de la loi de la gradualité qui renverse la loi morale de l’Eglise en enseignant qu’il faut rechercher les « éléments positifs » dans les situations objectivement peccamineuses, comme le fait pour un divorcé marié de vivre de manière délibérée et sans propos d’en sortir, dans un concubinage public.
On a beaucoup commenté, et à juste titre, la lettre que le pape François à son protégé comme une sorte de description de ce poste clef de l’Eglise que Fernandez occupera dès le 1er septembre : il lui demande de rompre avec la logique de la « désignation et de la condamnation » : « Le dicastère que tu présideras en est arrivé à d’autres époques à utiliser des méthodes immorales. C’était un temps où, plutôt que de promouvoir le savoir théologique on poursuivait les possibles erreurs doctrinales. Ce que j’attends de toi est certainement très différent. »
Mais où l’évêque sexagénaire va-t-il chercher cette « croissance harmonieuse » de la foi ? Dans la théologie du peuple bien sûr : lui qui dans ses écrits cite si volontiers les maîtres à penser du pape – Rafael Tello, Lucio Gera… – pour promouvoir la « libération intégrale » des pauvres.
Une clef de lecture : la « théologie du peuple » pour toute doctrine
Cette théologie fait du peuple un « lieu théologique », une source de la foi, une entité en marche vers le « royaume de Dieu » conçu de manière horizontale, comme une réalisation eschatologique dès ici-bas de la « libération » des opprimés.
Dans un article sur « Le projet du pape François », Victor Manuel Fernandez écrivait en 2014 :
« Dans ce contexte, on comprend la nécessité d’une théologie qui dérive d’une condition de forte inégalité et de marginalisation, qui se préoccupe de la libération intégrale de tant de fils et de filles de l’Eglise, qui vivent plongés dans la misère. Cependant, il y a quelque chose de crucial pour François : en Amérique latine, les pauvres sont des croyants, et beaucoup d’entre eux sont catholiques. Partir des pauvres signifie donc aussi partir de leur foi, de leur religion, de leur culture imprégnée de foi. Notre approche des pauvres ne peut pas être purement socio-politique, il ne suffit pas de découvrir leurs besoins pour leur apprendre à lutter, comme si nous étions les rédempteurs éclairés d’un matériau, d’une masse brisée et ignorante. Si nous devons vraiment partir des pauvres, nous devons les reconnaître comme des sujets créatifs, respecter leur style, leur langue, leur façon de voir la vie, leur culture, leurs priorités et aussi leur religiosité. Il est logique que nous luttions pour eux, que nous défendions leurs droits et que nous les aidions à progresser, mais pas de l’extérieur ou d’en haut, mais de l’intérieur. »
On trouve là tous les relents d’une théologie propagée principalement par les jésuites d’Amérique latine dès avant le concile Vatican II où ils l’imposèrent assez largement, et qui aujourd’hui arrive à une sorte d’apogée avec le règne de François et la prochaine installation d’un de ses alter ego.
On n’ose dire son dauphin. Dieu nous en préserve !