La vengeance, dit-on, est un plat qui se mange froid. Celle du pape François à l’égard de Mgr Hector Aguer, archevêque de La Plata en Argentine, est carrément glacée. Longue fut l’attente, acérée est l’estocade. Car avec tout le respect que l’on doit à la fonction du souverain pontife, il est impossible de ne pas percevoir la dureté insolite avec laquelle l’évêque conservateur est actuellement traité, alors qu’à sa place, arrive un très proche de Jorge Bergoglio, son théologien personnel Mgr Victor Manuel Fernandez, dit « Tucho ». Le scénario est celui d’une sanction à l’encontre d’un malfaiteur que l’on met de côté sans le moindre égard. Et l’impression laissée est amère… mais non surprenante pour tout lecteur du Pape Dictateur. Le portrait du pape François par « Marc Antonio Colonna » (le chevalier de Malte Henry Sire, actuellement suspendu) relate nombre d’événements similaires.
Mgr Aguer, donc, a atteint l’âge de 75 ans – auquel tout évêque doit soumettre sa démission à Rome – le 24 mai dernier. Ce jour-là, comme tous ses confrères, cet évêque extrêmement actif, connu pour la droiture de sa parole et son énergie au service de sa mission au sein de l’« Eglise enseignante », a donc remis sa charge entre les mains du pape. Le plus souvent, sauf problèmes de santé ou volonté d’écourter discrètement la mission d’un prélat qui aurait laissé à désirer, les évêques dans cette situation sont invités à rester quelque mois, parfois quelques années de plus. Ce fut le cas pour un certain Jorge Bergoglio…
Mgr Aguer, archevêque de La Plata, exilé par le pape François
Il n’en a pas été ainsi pour Hector Aguer. A peine sa lettre adressée à Rome, il reçut en l’espace de huit jours une réponse qui non seulement manifestait la volonté de François d’accepter sa démission, mais qui annonçait déjà son remplacement par « Tucho » Fernandez, et qui interdisait par la même occasion à Mgr Aguer de continuer de demeurer dans l’archevêché de La Plata. Il ne devait même pas participer à la transmission de sa charge à son successeur, mais partir au plus vite, « immédiatement ». Autant dire l’exil. La nouvelle était publiée dès le 2 juin sur le site du Vatican.
C’est ce même jour, au surlendemain de la notification privée à l’archevêque, qu’il lui était imparti de célébrer sa dernière liturgie publique. Cela s’est su par l’homélie prononcée par Mgr Hector Rubén Aguer lui-même : ayant prêché avec flamme contre les manœuvres en cours pour libéraliser l’avortement en Argentine, il a confirmé que le Saint-Père avait accepté sa démission, que son évêque auxiliaire Mgr Alberto Bochatey était nommé administrateur apostolique, qu’il devait quitter le diocèse aussitôt la célébration terminée, et qu’il ne pourrait y résider en tant qu’archevêque émérite, alors même qu’il avait projeté de se retirer à l’ancien petit séminaire de La Plata.
L’assistance, qui ne s’était doutée de rien, en fut si choquée que l’évêque grec-melkite de La Plata, qui avait assisté à cette célébration de la fête de Corpus Christi, la Fête-Dieu, lui proposa de venir dormir chez lui, puisque Mgr Aguer n’avait plus nulle part où aller.
Remplacé par Victor “Tucho” Fernandez, à l’orthodoxie douteuse
Depuis lors, l’archevêque a reçu un mesquin délai de grâce, quelques jours qui lui permettront de célébrer une messe d’adieu et de se trouver une demeure – bien loin. Mais il a dû célébrer sa messe du dimanche 3 juin en privé, et celle du lendemain en dehors de l’archidiocèse. Sa dernière messe publique à la Plata aura lieu le 10 juin, et Mgr Fernandez prendra ses fonctions le 16, les deux hommes devant se rencontrer pendant l’intervalle.
Une journaliste argentine qui a par le passé interviewé le pape François, a commenté l’affaire en notant que l’acceptation à marche forcée de la démission de Mgr Aguer « constitue le signe du changement de leadership qui attend l’archidiocèse ». Elisabetta Piqué, qui apparaît comme proche de Jorge Bergoglio, pointait dans son article les « positions conservatrices » et le « goût pour les relations conflictuelles » de l’archevêque banni : il était « quasiment obsédé par les questions de moralité sexuelle », écrit-elle, annonçant « l’allure nouvelle et entièrement différente » que donnera Mgr Fernandez au diocèse de La Plata.
Mais il semble que ce ne soient pas seulement le style et la doctrine traditionnelle de Mgr Aguer qui reçoivent aujourd’hui ce drôle de salaire pontifical. Après tout, il arrive à François de nommer des évêques de saine doctrine et de courage avéré. Non : si Bergoglio et Aguer ont été ensemble évêques auxiliaires de Buenos Aires de 1992 à 1998, et même « amis » à l’époque (les guillemets sont d’Elisabetta Piqué), ils avaient « des styles très différents » et des idées qui ne l’étaient pas moins, affirme la journaliste. Et un ancien professeur de philosophie politique, Luis Alvarez Primo, évoque « la relation moins que fraternelle entre Bergoglio et Mgr Aguer ».
Mgr Aguer et Victor Tucho Fernandez, deux hommes que tout oppose
A ces raisons de ne pas s’entendre se sont ajoutés des facteurs de discorde plus importants. Arrivé au siège de Buenos Aires, Jorge Bergoglio fit rapidement rejoindre la capitale argentine par Victor Fernandez nommé dans toutes sortes de commissions. Mais le cardinal allait se trouver confronté à une fronde d’une partie de l’épiscopat – la partie la plus orthodoxe – qui voulait à tout prix éviter la nomination de Victor Manuel Fernandez comme recteur de l’Université pontificale catholique d’Argentine pour cause de questions graves quant à son orthodoxie, poste où Bergoglio l’a nommé en décembre 2009. « Tucho » dut attendre le 20 mai 2011 pour prêter serment, ayant dû s’expliquer devant la Congrégation pour la Doctrine de la foi avant de recevoir enfin l’agrément de la Congrégation pour l’Education catholique indispensable pour accéder à ce poste. Mgr Aguer a-t-il participé à la mise en cause de ce très proche de Bergoglio ? Cela se lit entre les lignes.
Pendant son rectorat, avant d’être remplacé en avril dernier, déjà pressenti pour prendre la place de Mgr Aguer, Mgr « Tucho » Fernandez a honoré diverses personnalités qui sont sur la ligne « miséricordieuse » ou « mondaine » du pape François : Mgr Paglia, le cardinal Ravasi, le cardinal Schönborn…
A peine élu à la chaire de Pierre, le pape François s’est empressé de nommer Mgr Fernandez évêque titulaire de Tiburnia, deux mois exactement après son apparition sur la loggia de Saint-Pierre. Il s’agissait de récompenser et de promouvoir un homme de confiance, et de lui donner un rôle croissant dans l’Eglise. Membre du Conseil pontifical pour la culture, Mgr Fernandez a également joué un rôle de premier plan lors des deux synodes sur la famille.
On lui attribue également d’avoir tenu la plume pour de longs passages d’Evangelii gaudium, et d’avoir participé à la rédaction de Laudato si’. Et plus encore d’Amoris laetitia dont Sandro Magister a montré que Mgr Fernandez en a été l’auteur fantôme, qui citait d’ailleurs largement ses propres écrits dans le document. Preuve que les synodes n’ont été que poudre aux yeux, puisque le document final reprend mot pour mot d’importants passages rédigés dix ans plus tôt.
Victor Manuel Fernandez est également connu, même si ce livre est souvent expurgé de ses bibliographies aujourd’hui, comme l’auteur de Sáname con tu boca (« Guéris-moi avec ta bouche »), un livre sur les vertus du baiser qui, au-delà de considérations classiques sur une manifestation de tendresse universelle qui pourrait en effet figurer l’amour divin, sombre rapidement dans le trivial et le sensuel, voire l’obscène, bien dans la ligne de son sous-titre : El arte de besar, l’art du baiser.
Voilà l’homme qui bénéficie d’une si grande amitié de la part du pape François et qui se retrouve bombardé à la tête du second siège épiscopal d’Argentine par son importance.
Mgr Aguer, cet archevêque qui osait défendre la vérité
Mgr Aguer continuera-t-il d’écrire et d’éclairer les catholiques ? Les modalités de son éviction pourraient bien faire réfléchir les Argentins, et d’autres. J’ai eu à plusieurs reprises la joie de traduire ses interventions : où il dénonçait de manière infatigable l’avortement, mais aussi la fécondation in vitro en tant que telle, ce « nouvel holocauste qui s’ajoute à celui, déjà connu, de l’avortement », et la fausse « éducation sexuelle », et les devoirs des politiques par rapport aux points non négociables.
En 2010, Mgr Aguer accusait vertement l’ONU de violer le droit naturel au service d’un « changement de culture » à exporter dans l’ensemble du monde à coups de millions, depuis la contraception jusqu’à l’idéologie du genre. Il déclarait lors d’une de ses interventions télévisées hebdomadaires de l’époque : « Il s’agit d’un changement de paradigmes auquel aspire également la Charte de la Terre qui semble aspirer à une sorte de restructuration du monde. »
Il ajoutait : « Nous pouvons dès lors penser qu’il y a ici une conspiration au pire sens du mot. Il existe une conspiration qui tend à homogénéiser la pensée et le comportement dans le monde entier, et tout cela procède des centres de pouvoir mondial. Et spécialement des centres de pouvoir politique, soutenus par les centres de pouvoir financier. S’il n’y a pas ici un nouveau colonialisme, un nouvel impérialisme, je suis bien en peine de savoir quel nom lui donner. Ce programme de reconstruction ou de ré-ingénierie de l’homme et de la société séduit des législateurs argentins qui parfois manifestent leur appréciation pour la souveraineté nationale mais qui soumettent notre peuple aux desseins d’un Nouvel Ordre Mondial. On est en train d’imposer à notre propre peuple, confronté à tant de problèmes réels, cette recomposition artificielle de la manière de penser, d’agir, de vivre. »
Est-ce cela qu’on lui reproche ? C’est bien possible !