Les 100 ans de la mort de Lénine – une influence qui demeure

100 ans mort Lénine
 

« Que faire ? », demandait Lénine dans un livre sur la mobilisation des ouvriers au service de la révolution marxiste. 100 ans après la mort de celui qui a installé le communisme en Russie – c’était le 21 janvier 1924, il n’avait pas encore 54 ans – beaucoup de réponses ont été apportées à cette question, et lui-même a étudié les moyens de mettre en œuvre la Révolution, y compris en Vendée où le génocide perpétré au temps de la Terreur fournissait une leçon de choses rêvée. Il allait l’appliquer avec brutalité. C’est lui qui exhortait ses camarades à la cruauté à l’égard des ennemis de classe : « Trouvez des gens plus durs. » Comment avoir des états d’âme lorsqu’on ne croit pas en l’âme mais au matérialisme dialectique ? Quand la praxis, ou le faire, dicte que tous les moyens sont bons pour parvenir au but, même ceux qui se contredisent entre eux ? Le vrai, le bon, le beau n’ont alors plus cours. Tel est l’enseignement de Lénine, et il a été écouté au-delà de sa mort, car le marxisme-léninisme allait s’exprimer dans le monde entier en faisant couler des rivières de sang. Son influence n’est pas morte, même si l’anniversaire de sa disparition n’a pas mobilisé les foules.

Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, reçoit toujours les honneurs sur la Place Rouge à Moscou où son corps embaumé – objet de soins tous les 18 mois – repose dans un mausolée ouvert au public. Il est des monstres qu’on ne renie pas. Vladimir Poutine a eu beau exprimer quelques critiques envers Lénine à qui il reproche d’avoir fabriqué l’Ukraine et d’autres Etats au détriment de l’empire russe, il n’a pas eu le temps ni l’envie, en près de 25 ans au pouvoir, de dégager le cadavre du pied du Kremlin.

 

Les 100 ans de la mort de Lénine fêtés à Moscou il y a quatre mois ?

Au contraire : le 11 septembre dernier, Poutine réhabilitait l’un des plus proches collaborateurs de Lénine, en faisant ériger une copie de la statue de Felix Djerzinski déboulonnée par la foule en 1991 devant le siège des services de renseignement extérieur. C’est sur ordre de Lénine, qui l’appelait affectueusement le « Fouquier-Tinville » de la révolution bolchevique, que Djerzinski fonda la Tcheka en 1917 où son rôle était clairement défini : l’extermination des ennemis. Au besoin de ses propres mains.

Le peuple russe ne garde guère la mémoire de Lénine et peu d’événements ont marqué le centenaire de sa mort – même si le Parti communiste russe a pu organiser une cérémonie autour de sa momie. Poutine lui-même semble avoir passé la date sous silence, lui qui ne rechigne pourtant pas à rendre ses devoirs à d’autres dictateurs sanguinaires, à commencer par Staline. Sur ordre duquel, pour l’anecdote, on embauma Vladimir Ilitch en attendant la construction du fameux mausolée inauguré en 1930, où « le petit père des peuples » devait lui-même transiter entre sa propre mort et 1961.

Les tirades de Poutine contre Lénine, à la veille de l’invasion de l’Ukraine, illustraient peut-être justement cette praxis qui justifie tout et le contraire de tout au nom d’un utilitarisme assumé. D’ailleurs, l’effigie du tyran aux millions de victimes n’a pas été effacée des paysages russes : si la majorité des statues ont été déboulonnées dans la foulée de la chute de l’URSS, il en reste toujours dans bien des villes de Russie et Moscou, outre le mausolée précité, tolère parfaitement la présence d’un monument à Lénine haut de 22 mètres sur la place Kalouga.

 

Pour les 100 ans de sa mort, Lénine n’a pas été tout à fait oublié…

Lénine est-il « oublié » parce qu’à l’inverse de Staline, ce n’est pas un « gagnant » ? C’est ce que pense un sociologue de l’institut d’enquête non gouvernemental Levada qui publie régulièrement les cotes de popularité de Poutine – toujours très hauts, actuellement plus de 80 %. Pour Alexei Levinson, « Lénine est le leader de la révolution mondiale – elle ne s’est jamais matérialisée. Lénine est le leader du prolétariat mondial – il n’existe pas. Lénine est le créateur de l’Etat socialiste – il n’existe plus. Et plus personne ne veut le construire. »

Et pourtant… Pourtant, la révolution mondiale qui a renversé toutes les valeurs traditionnelles, sur le modèle du bolchevisme originel, s’est bien installée. Le marxisme culturel tient le haut du pavé. Les avatars de la lutte des classes ont certes supplanté le binôme patrons-ouvriers, mais la dialectique est toujours à l’œuvre. Et l’Etat socialiste a en maints endroits pris d’autres formes, avec une « redistribution des richesses » qui a de tout temps signifié la misère des plus pauvres tout en assurant la fortune de la caste du pouvoir, tandis que le socialisme international est prôné par les institutions internationales.

Quant à Klaus Schwab, fondateur et président du Forum économique mondial, il a mis en bonne place dans son bureau personnel un buste de Lénine, parfaitement visible dans le film d’Arte Au cœur du Forum de Davos (horodatage 1 h 04 min 10 s). Il ne semble pas qu’un journaliste ait à ce jour interrogé celui qui rêve de peser sur l’avenir du monde sur ce choquant voisinage. Curieux, non ?

 

Jeanne Smits