L’Egypte soutient le Hamas face à Israël et entretient le conflit palestinien

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L’éditorialiste conservatrice juive Caroline Glick accuse l’Egypte de bloquer les civils palestiniens qui cherchent à fuir la bande de Gaza sous les attaques israéliennes : bien plus, elle estime que sous la présidence d’Abdel Fattah Al-Sissi, qui vient d’être réélu pour un troisième mandat de six ans, le pays soutient le Hamas par le biais d’un savant double jeu. S’il faut en croire son récent essai pour le Jewish News Syndicate, cette spécialiste du Proche-Orient a mis le doigt sur une politique passée de la contention du groupe terroriste, jadis, au « sponsoring » qui daterait depuis une dizaine d’années et qui exacerbe le conflit en cours.

Il y aurait beaucoup à dire sur cette guerre qui a été déclenchée le 7 octobre dernier au moyen d’une attaque menée par le Hamas depuis Gaza et accompagnée de viols, de massacres et d’enlèvements de juifs civils en Israël, sous les applaudissements de larges pans de la population arabe. L’Etat hébreu, si bien renseigné et si conscient des dangers auxquels l’exposent sa situation géographique ne l’avait-il vraiment pas prévu ? Les deux parties n’auraient-elles pas intérêt à cette guerre – qui au passage s’est accompagnée d’une mobilisation mondiale pour la Palestine et de fortes condamnations d’Israël et de son chef, Benjamin Netanyahu, par les principales instances internationales ?

 

L’Egypte d’Al-Sissi refuse les réfugiés de Gaza, ou les fait payer

Caroline Glick ne répond pas directement à ces questions mais soulève des faits et les commente. On objectera que, juive écrivant dans la presse juive, elle n’est pas sans parti pris. Mais les faits, au moins, sont susceptibles de vérification : le Hamas ne veut pas voir partir les Gazaouis, et l’Egypte met des obstacles à leur arrivée, obstacles lucratifs en ce qui la concerne. Les civils pris dans un théâtre de guerre en sont les victimes – mais il est clair qu’en tant que victimes, ils servent mieux que quiconque la « cause » palestinienne.

L’Egypte a contribué à la force du Hamas et « prolongé » la guerre, assure la commentatrice, par ailleurs membre du Center for Security Policy à Washington. Elle accuse notamment l’Egypte d’avoir discrètement, par le biais de ses services du renseignement, modifié les termes d’un accord de cessez-le-feu proposé au début du mois par le Hamas qui aurait pu, dans sa rédaction initiale, permettre l’échange d’otages israéliens survivants et de prisonniers palestiniens – de telle sorte que le texte ne correspondait plus à ce qui avait été visé et accepté par Israël, le Qatar et les Etats-Unis. Colère de ces derniers… L’Egypte, de son côté, s’indignait bruyamment de ce que sa bonne foi puisse être remise en question.

Pourquoi ce changement de la part d’un Al-Sissi qui passait pour un rempart face aux Frères musulmans et pour une force d’opposition face à l’Iran qui les soutient, comme il soutient le Hamas ou le Hezbollah ? Caroline Glick pose que depuis le 7 octobre, l’attitude favorable de l’Egypte à l’égard du Hamas a éclaté au grand jour dans la mesure où elle a « sapé l’effort de guerre israélien ».

 

Israël a besoin du conflit palestinien, le Hamas s’en repaît

« Les intérêts financiers de la famille d’Al-Sissi semblent avoir été considérablement favorisés par la coopération avec les efforts du Hamas pour construire des tunnels à travers la frontière avec l’Egypte. Ces opérations ont notamment porté sur le trafic d’armes et de matières premières pour la fabrication d’armes et la construction de tunnels, ainsi que sur le transit du personnel du Hamas entre la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï », écrit-elle. Une cinquantaine de ces tunnels transfrontaliers ont été mis au jour par les Forces de défenses israéliennes pendant les premiers jours de la riposte après le 7 octobre, d’une telle « étendue » que « les autorités égyptiennes n’étaient pas seulement au courant de l’opération du Hamas : elles en étaient partenaires ».

Ces intérêts financiers ont pris une nouvelle importance avec le conflit en cours, puisque les habitants de Gaza qui cherchent à fuir en passant en Egypte doivent payer un droit de passage exorbitant. Mme Glick commente :

« Le fils d’Al-Sissi, le général Mahmoud Al-Sissi, occupe le poste de commandant adjoint de la Direction générale des renseignements égyptiens. Il a cofondé le groupe Organi avec Ibrahim Organi, un chef bédouin du nord du Sinaï. Par l’intermédiaire de deux filiales, le groupe Organi contrôle à tous les niveaux la zone frontalière avec l’Egypte. Ce groupe sert par exemple d’intermédiaire pour tous les pots-de-vin versés par les habitants de Gaza cherchant à passer en Egypte. Les rapports estiment que depuis le début de la guerre, Organi a reçu des dizaines de millions de dollars en paiements de la part des habitants de Gaza pour obtenir l’autorisation d’entrer en Egypte. La reprise de la zone frontalière au Hamas par Israël entraînera nécessairement la perte de profits colossaux pour le groupe Organi et ses parties prenantes – le cheikh al-Organi et le général Al-Sissi. »

 

L’Egypte comme le Hamas veut les Palestiniens à Gaza

Breitbart note à ce sujet que quelque 80.000 à 100.000 Palestiniens ont pu passer la frontière depuis le début de la guerre, contre plus d’un million qui restent bloqués dans des camps de réfugiés près de la porte de Rafah : des campagnes de dons – jusqu’à 50.000 euros par passage – fleurissent sur les plateformes de crowdfunding où se multiplient les appels au secours de Palestiniens qui cherchent à fuir Gaza. Une volonté qui n’est pas nouvelle : le site américain souligne que depuis 2007, date à laquelle le Hamas s’y est imposé, plus de 250.000 Gazaouis l’ont quittée, souvent au moyen de pots-de-vin.

Mais il y a aussi une motivation idéologique chez Al-Sissi, assure Caroline Glick, rappelant qu’en 2017, l’Egypte, en même temps que l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et Bahrain, a mis fin à ses relations diplomatiques avec le Qatar qui soutient les Frères musulmans à travers la chaîne satellite Al-Jazeera. Dès 2021, pourtant, l’Egypte fut la première à rétablir ces liens, indiquant un changement d’attitude à l’égard des Frères et du Hamas. Cela s’accompagne d’un réarmement « massif » de l’Egypte dans la péninsule du Sinaï, laissant penser que son attitude vis-à-vis d’Israël se fait plus agressive.

La commentatrice cite également une phrase d’Al-Sissi qui, dès le 10 octobre dernier, bloquait tous les efforts visant à permettre le passage de civils depuis Gaza pour se réfugier en Egypte, le temps de la guerre, ou transiter vers d’autres pays prêts les accueillir. Il se justifiait en affirmant que « l’Egypte ne permettra pas qu’il soit mis fin à la cause palestinienne ». « En d’autres termes », explique Caroline Glick, « il se montrait attaché à une politique qui enfermera toujours les Palestiniens dans un effort génocidaire visant à l’élimination d’Israël de manière à bloquer toute autre option pour les résidents de Gaza ». On pourrait ajouter que les Palestiniens bloqués dans des camps au Liban servent au même type de jeu pervers.

 

Le Hamas vit sur un ulcère de pourrissement comme la planète en a vu d’autres

Voilà qui ressemble en tout cas fort à l’entretien d’ulcères de pourrissement comme on en voit ailleurs sur la planète : le conflit des deux Corées, par exemple, après celui des deux Vietnam. Ne serait-ce pas une application modèle de la dialectique marxiste pour qui la confrontation est ce qui fait avancer l’histoire ?

Caroline Glick affirme encore qu’Israël a été contraint de construire des zones humanitaires à Gaza pour offrir un refuge temporaire aux Gazaouis qui se voient – en violation du droit humanitaire international – refuser le passage en Egypte. Et que le Hamas se sert de ces « zones de sécurité » surpeuplées pour continuer d’attaquer Israël à coups de roquettes et de missiles.

C’est une situation que l’Egypte entretient délibérément, dit-elle :

« Depuis le mois de février, Al-Sissi a entrepris de menacer de manière répétée d’annuler le traité de paix entre l’Egypte et Israël. Il a menacé de mettre fin à la paix entre l’Egypte et Israël et de renouer avec la guerre panarabe visant à anéantir l’Etat juif si les Forces de défense israéliennes (FDI) s’emparaient de Rafah ou prenaient d’autres mesures nécessaires pour vaincre le Hamas. En d’autres termes, Al-Sissi a lié la paix de l’Egypte avec Israël et sa position dans la région à la survie du régime du Hamas à Gaza et à la défaite d’Israël dans cette guerre. C’est en grande partie à cause de ses menaces – soutenues par les Etats-Unis – que les FDI ont reporté de trois mois leur opération à Rafah, aggravant ainsi les souffrances des Israéliens comme des Palestiniens. »

 

L’Egypte, grand bénéficiaire de subsides américaines

Pour finir, elle note que l’Egypte profite très largement de la guerre, faisant référence à une enquête du Tablet : « En échange de son rôle “modérateur” dans la médiation de la guerre entre le Hamas et Israël, l’Egypte a reçu des prêts et des investissements du Fonds monétaire international, de l’Union européenne et des Emirats arabes unis pour un montant total de plus de 50 milliards de dollars. Alors que l’Egypte était au bord de l’insolvabilité le 6 octobre, cet afflux d’argent a désormais assuré la viabilité financière de l’Egypte pour les prochaines années. » Et d’ajouter que le FMI n’aurait rien pu faire sans l’aval des Etats-Unis, qui par ailleurs accordent une aide militaire à l’Egypte évaluée à 3 milliards de dollars par an : « A ce jour, l’administration Biden a récompensé Al-Sissi pour sa prise de position en faveur du Hamas et contre Israël. »

Tout cela sert évidemment la déstabilisation islamiste face à l’Occident et à Israël : une victoire du Hamas donnerait des ailes aux autres groupements terroristes musulmans comme le Hezbollah, les Houthis au Yemen, les milices chiites au Proche et Moyen-Orient, sans compter les attentats dans les pays occidentaux, conclut Caroline Glick.

On notera que le Hamas, le Hezbollah, les Houthis, l’Iran bénéficient de la bienveillance de la Russie comme on le constate d’ailleurs dans les médias sous contrôle du Kremlin. Et que les Etats-Unis sous Biden n’y sont pas radicalement opposés. L’art de jouer sur les deux tableaux fait partie de la guerre révolutionnaire : il en allait de même à l’époque de la Guerre froide…

 

Jeanne Smits