L’abandon du latin et autres nouveaux règlements de la Curie

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Le pape Léon XIV a signé deux textes qui modifient en profondeur le fonctionnement de la Curie et les règles régissant son personnel. Les deux textes, en cours d’élaboration depuis trois ans (et donc, datant encore de l’ère François et appuyés sur Praedicate Evangelium), visent à moderniser et à rationaliser le fonctionnement du « gouvernement » de l’Eglise catholique, y compris par le recours aux outils numériques. Sur le plan pratique, cela se conçoit. Mais cela aura des répercussions qui dans certains cas, comme celui de l’usage du latin, introduiront de fait une rupture profonde par rapport au statu quo.

Désormais, dispose l’article 50 du nouveau Règlement général « ad experimentum » pour cinq ans, toutes les institutions de la Curie romaine « rédigeront en règle générale leurs actes dans la langue latine ou dans une autre langue ». « Le précédent règlement exigeait que les actes de la Curie soient rédigés “en règle générale en latin”, n’autorisant les autres langues qu’“en cas de besoin”. Le latin demeurait ainsi l’instrument ordinaire de l’action administrative », rappelle Riposte-catholique.

Fort de déclarations de responsables de la Curie, le Catholic Herald souligne que cette nouvelle disposition aura pour conséquence pratique « l’abandon du latin », puisque l’option existe de ne plus y avoir recours – et ce au moment où les traducteurs automatiques lèvent au moins une partie de la difficulté de rédaction en latin. Et ce n’est pas une bonne nouvelle : le latin perd ainsi de facto son statut de langue officielle du Saint-Siège, aussi bien pour la liturgie que pour le droit, sans d’ailleurs être remplacé puisque l’italien, l’espagnol, le français et d’autres langues (il n’y a pas de liste limitative) sont tous acceptés pour la rédaction d’actes des Dicastères.

 

L’abandon « pratique » du latin est à craindre

C’est un facteur d’unité qui menace ainsi de disparaître, cédant devant la modernité de la « diversité » des langues, selon un mécanisme qui s’est répandu d’abord dans la liturgie, au détriment de la compréhension de la messe en langue vernaculaire par les voyageurs de plus en plus nombreux (pour ne parler que de cela). Manque d’unité, et d’unicité d’interprétation, « trahisons » inhérentes aux traductions, voilà quelques-uns des problèmes qui accompagnent par nature cette innovation.

Est-elle dictée par une connaissance de plus en plus fragmentaire et incertaine du latin par des générations soumises à l’apprentissage global de cette langue qui exige précision et analyse ? Le même article du Règlement de la Curie prévoit en tout cas la constitution auprès de la Secrétairie d’Etat d’un « bureau pour la langue latine, au service de la Curie romaine ». Peut-être un espoir, alors que des textes importants pour l’Eglise – et notamment de grands écrits spirituels, demeurent seulement accessibles en latin.

L’article 50 précise enfin : « On veillera à ce que les principaux documents destinés à être publiés soient traduits dans les langues les plus courantes aujourd’hui. » Il faut croire que le Règlement n’en fait pas partie, puisqu’il a uniquement paru… en italien. A moins que sa version officielle ne soit en latin ? Si c’est le cas, elle n’est pas accessible sur le site du Vatican.

La réforme règlementaire porte aussi sur les actes destinés au Saint-Père qui devront désormais tous passer par la Secrétairie d’Etat, tandis que les textes à destination plus large devront être vus par les institutions impliquées avant leur publication pour d’éventuelles modifications. Les réunions entre Dicastères devront obéir à des procédures obligatoires en permettant une collaboration organisée, en vue semble-t-il d’une plus grande cohérence et pour éviter que chacun décide dans son coin.

 

Les nouveaux règlements de la Curie au service de la justice

Dans de nombreux cas, l’approbation du Pontife romain sera indispensable : ainsi pour les lois et décrets généraux. La procédure pour demander une approbation in forma specifica d’une norme administrative (de celles qui décident par exemple sans possibilité de recours d’affaires concernant des individus, tel le renvoi de la vie religieuse) exigera aussi désormais un écrit motivé et une mention explicite de cette « forma specifica » lorsque le pape approuve une telle décision.

De manière générale – et c’est une nouveauté – le Règlement exige que les actes administratifs soient motivés, en citant les normes applicables. Il accorde d’ailleurs aux destinataires le droit à un recours administratif interne et leur accorde d’autres garanties.

Tout le texte est marqué par ce resserrement du pouvoir pontifical sur les décisions de « plus grande importance ». Mais en même temps, il impose une consultation préalable avec l’évêque d’un diocèse faisant l’objet d’une intervention (ou avec les supérieurs majeurs, concernant les instituts religieux).

 

Les nouveaux règlements de la Curie favoriseront-ils la messe en latin ?

Cette réforme ne concerne pas seulement les diocèses au service desquels la Curie est appelée à travailler davantage : les fidèles obtiennent aussi un droit de recours direct. Encore une nouveauté qui tient en quelques mots : chaque institution curiale « examine et, le cas échéant, juge les questions que les fidèles, exerçant leur droit, soumettent directement au Saint-Siège. Dans ces cas, en règle générale, l’Ordinaire concerné et le Représentant pontifical seront entendus avec la confidentialité requise ».

Le Catholic Herald commente : « Dans la pratique, cela confère aux catholiques le droit de ne pas être ignorés par les départements du Vatican et impose une charge importante aux fonctionnaires qui, jusqu’à présent, pouvaient refuser de répondre à des questions sensibles ou complexes telles que la messe traditionnelle en latin. »

 

Jeanne Smits