Nous poursuivons notre examen de la grande révolution structurelle de l’Eglise que tente de mettre en place le Synode sur la synodalité, à en juger d’après le rapport de synthèse de sa première étape. Voici donc venu le tour des évêques et du premier d’entre eux, l’évêque de Rome (il n’est pas question de « pape » dans les deux chapitres relatifs à ces questions), et de la manière dont leur rôle et leur fonctionnement peuvent et doivent être davantage empreints de « synodalité ».
C’est pourquoi, en nous parlant des évêques et du pape, les mots qui reviennent sont la « collégialité », la « synodalité », le « peuple de Dieu », le droit de regard de ce dernier sur ceux qui ont autorité. A tous les niveaux du pouvoir – sauf peut-être celui du pape lui-même mais non sans imaginer de réimaginer son rôle à la lumière du dialogue œcuménique – il est proposé une sorte de « contrôle qualité » des hommes et de leur manière de fonctionner. Et même de leur « style d’autorité ».
La façon dont le Rapport de synthèse du synode aborde la question des évêques mériterait que chaque évêque l’analyse
Ce qui manque ? L’essentiel : une réflexion sur la plénitude du sacerdoce qui configure l’évêque au Christ de qui il tire son autorité, son pouvoir, son devoir de pasteur des fidèles. On a l’impression d’une réflexion menée avec les cadres et les employés d’une société multinationale cotée en bourse qui se doit d’avoir des bonnes pratiques et qui a rejeté, parce que c’est la mode, la conception autoritaire et paternaliste du pouvoir.
Ces idées ont suscité peu d’opposition. Raison de plus pour les tirer au grand jour !
La première livraison de cette analyse par étapes se trouve ici.
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La deuxième grande partie s’intitule : « Tous disciples, tous missionnaires » (II)
Chapitre 12. L’évêque dans la communion ecclésiale
De l’évêque, il n’est pas rappelé dans ce chapitre qu’il a la plénitude du sacerdoce et s’il est question de son pouvoir de gouvernement, c’est pour le situer dans le contexte synodal. On lit à l’article 12b (auquel seuls 4 votants se sont opposés) :
« L’évêque est, dans son Eglise, le premier responsable de la proclamation de l’Evangile et de la liturgie. Il guide la communauté chrétienne et promeut le soin des pauvres et la défense des plus petits. En tant que principe visible d’unité, il a en particulier la tâche de discerner et de coordonner les différents charismes et ministères suscités par l’Esprit pour l’annonce de l’Evangile et le bien commun de la communauté. Ce ministère se réalise de manière synodale lorsque la gouvernance s’exerce dans la responsabilité, la prédication dans l’écoute du peuple de Dieu fidèle, la sanctification et la célébration liturgique dans l’humilité et la conversion. »
La dimension sacerdotale et celle de la juridiction de l’évêque sont minimisées ; sa prédication, son rôle d’enseignement donc, est subordonnée à « l’écoute du peuple de Dieu fidèle » s’il la veut « synodale » – et n’est-ce pas le but de toute cette opération ? On touche ici à son cœur : il s’agit de décentrer la source du magistère pour en considérer le peuple comme source.
A l’évêque revient également le « rôle irremplaçable », lui qui doit être « un exemple de synodalité », « d’initier et d’animer le processus synodal dans l’Eglise locale, en promouvant la circularité entre “tous, quelques-uns et un”. Le ministère épiscopal (l’un) favorise la participation de “tous” les fidèles, grâce à la contribution de “certains” qui sont plus directement impliqués dans les processus de discernement et de prise de décision (organes de participation et de gouvernance) ». Ce pompeux article 11c fournit lui aussi une clef de lecture de l’ensemble du processus ; on ne parle pas de conseil mais bien de participation et de gouvernance, et donc de participation à la gouvernance, de l’ensemble du troupeau. Seuls deux « pères synodaux » ont objecté.
Au paragraphe 11d, au sujet de la crise de l’autorité et de la paternité, on souligne qu’il est « important de ne pas perdre la référence à la nature sacramentelle de l’épiscopat, pour ne pas assimiler la figure de l’évêque à une autorité civile ». Pourquoi cette crise ? Ne sont-ce pas justement, outre la pression d’idéologies omniprésentes dans le monde, la dévaluation du sacerdoce et l’absence de connaissance du magistère (traditionnel) de l’Eglise qui ont créé cette situation ?
Tout cela est placé explicitement sous la gouverne de Lumen Gentium pour promouvoir la « co-responsabilité » de l’évêque, et ainsi modifier la structure hiérarchique pyramidale de l’Eglise. Mais avant le synode, le pape François avait bien dit qu’il voulait inverser cette pyramide…
Un autre article riche de potentialités révolutionnaires dans l’Eglise est le 11h, que 27 votants sur 346 ont trouvé inacceptable. Il affirme :
« Certains évêques se sentent mal à l’aise lorsqu’on leur demande d’intervenir dans des questions de foi et de morale sur lesquelles l’épiscopat n’est pas entièrement d’accord. Il est nécessaire d’approfondir la réflexion sur la relation entre la collégialité épiscopale et les différences de points de vue théologiques au sein de l’épiscopat. »
On devine ici les divergences sur l’accès à la communion pour les divorcés remariés, sur la « bénédiction » pour les couples de même sexe telle qu’elle est déjà approuvée par principe dans un diocèse allemand, à la transmission de l’enseignement magistériel traditionnel sur la contraception, sur l’« accueil » des personnes dites « LGBT ». Les médias et de nombreux commentateurs ont observé que l’acronyme n’apparaît pas dans le rapport de synthèse, mais il semble bien que les questions s’y référant, comme les autres questions « chaudes », s’y trouvent bel et bien à travers ce constat de divergence au sein de l’épiscopat qu’on ne déplore pas : au contraire, on suggère d’« approfondir la réflexion » sur ces différences dont il est simplement pris acte. Le principe de non-contradiction – deux choses contradictoires ne peuvent être vraies ensemble dans le même temps et sous le même rapport – est ici discrètement battu en brèche. Car il s’agit bien ici de points de « foi et de morale » bien plus que d’opinions théologiques libres. En gros, on noie le poisson. Au bout, on fait place au relativisme.
Les « propositions » faites au sujet des évêques visent elles aussi à adopter une sorte de logique de séparation des pouvoirs. Ainsi, il est suggéré de rendre systématique ce qu’on pourrait appeler un audit permanent des évêques et de leur gouvernance : c’est à l’article 12, adopté par 320 voix contre 26 :
« Des structures et des processus doivent être mis en place, sous des formes à définir légalement, pour la vérification régulière du travail de l’évêque, en ce qui concerne le style de son autorité, l’administration économique des biens du diocèse, le fonctionnement des organes participatifs et la protection contre tout type d’abus. Une culture de la responsabilité fait partie intégrante d’une Eglise synodale qui promeut la coresponsabilité et constitue une garantie possible contre les abus. »
Et pourquoi pas un système de notation avec des smileys que chaque fidèle (ou non) ayant eu affaire à l’évêque pourrait faire fonctionner au terme de son affaire ? Et pourquoi, dans cette démarche, la ferme défense de la foi n’est-elle-même pas évoquée ? Quoi qu’il en soit, on promeut ici un fonctionnement calqué sur celui d’entreprises séculières à l’ère du soupçon universel à l’égard de l’exercice de l’autorité.
C’est dans cette même optique qu’on suggère de rendre obligatoire le conseil épiscopal (art. 12k) et d’augmenter son pouvoir y compris sur le plan du droit.
Pour ce qui est de la nomination des évêques, il est demandé à l’article 12l de mettre un place « une vérification des critères de sélection » et d’équilibrer le pouvoir des nonces apostoliques à ce sujet en impliquant les conférences épiscopales, et d’étendre la consultation au « Peuple de Dieu en écoutant un plus grand nombre de laïcs et de laïques, de consacrés et de consacrées ». 25 voix se sont opposées à cette proposition de glissement démocratique, qui ouvre la porte aux coteries, réseaux, groupes de pression et favorise le statu quo de l’hétérodoxie là où elle a pris une place importante. Il n’y a pas de doute que la crise de l’Eglise, ou plutôt des pasteurs de l’Eglise est largement liée au manque d’orthodoxie des évêques et de leurs silences sur l’essentiel. Lier statutairement les mains de l’autorité hiérarchique à cet égard rendrait plus difficile une restauration.
A 337 voix contre 9, les votants ont par ailleurs demandé à l’article 12m que l’on « repense le fonctionnement et renforce la structure » des provinces et des régions ecclésiastiques pour en faire les « expressions concrètes de la collégialité ». Autrement dit, augmenter le pouvoir collectif des évêques au détriment de leur charge pastorale et magistérielle personnelle de successeurs des apôtres : on a vu les dégâts que cela peut faire dans la logique des « conférences épiscopales » manœuvrées par des noyaux dirigeants.
Chapitre 13. L’évêque de Rome dans le collège des évêques.
Sans surprise, le chapitre consacré au pape cherche aussi à soumettre le Vicaire du Christ aux exigences de la « synodalité », dont il faut rappeler ici que les participants au synode ne savent pas exactement ce qu’elle recouvre, puisque le rapport de synthèse demandait plus haut qu’on profite de cette année avant la deuxième étape pour y « réfléchir ».
Il n’est pas sûr que l’article 13a leur en apprenne beaucoup, même s’il a été adopté par 340 voix contre 6 :
« La dynamique synodale jette également une lumière nouvelle sur le ministère de l’évêque de Rome. La synodalité, en effet, articule de façon symphonique les dimensions communautaire (“tous”), collégiale (“quelques-uns”) et personnelle (“un”) de l’Eglise aux niveaux local, régional et universel. Dans une telle vision, le ministère pétrinien de l’évêque de Rome est intrinsèque à la dynamique synodale, tout comme l’aspect communautaire qui inclut l’ensemble du peuple de Dieu et la dimension collégiale du ministère épiscopal. Par conséquent, la synodalité, la collégialité et la primauté se renvoient l’une à l’autre : la primauté présuppose l’exercice de la synodalité et de la collégialité, tout comme les deux impliquent l’exercice de la primauté. »
Rien n’est décidé, rien n’est défini, rien n’est décidé, mais ce grand flou ouvre encore une fois la porte aux bouleversements doctrinaux et structurels. Ici, les mots-clefs sont collégialité et « peuple de Dieu », celui qu’il faut toujours écouter, selon la théologie du peuple, pour aller de l’avant.
Il est intéressant de constater qu’au paragraphe suivant, 13b, au nom de la promotion de l’unité des chrétiens, « aspect essentiel du ministère de l’évêque de Rome », les votants ont été d’accord pour dire, à deux exceptions près, que « les conclusions des dialogues œcuméniques peuvent aider la compréhension catholique de la primauté, de la collégialité, de la synodalité et de leurs relations mutuelles ». En l’affirmant par contraste aux erreurs des églises schismatiques et hérétiques, ou en se nourrissant de leurs conseils, voire de leurs exigences ? C’est toute la question.
339 « oui » contre 7 « non » ont permis de valider l’article 13c qui s’intéresse à la réforme de la Curie romaine en renvoyant avec approbation à la récente Constitution apostolique Praedicate Evangelium du pape François, dont il est dit qu’elle pourra « favoriser une plus grande synodalité au sein de la Curie, que ce soit entre les divers Dicastères ou au sein de chacun d’entre eux ». Le cardinal Burke a longuement commenté pour dénoncer les « ambiguïtés et les malentendus » qu’elle véhicule lors d’une conférence à Rome à l’orée du synode. Avant la « synodalité », avant la « mission », il faut, dit-il, une « unité de doctrine, de liturgie et de discipline » ; « unité dans la foi » au service de laquelle a été institué le ministère pétrinien.
On voit bien que le Synode prend la question par l’autre bout, en insistant sur le peuple de Dieu – le « marcher ensemble du peuple de Dieu » – et l’exercice de la collégialité. Que sept voix seulement se soient élevées contre cela en dit long sur la pensée profonde, ou peut-être l’ignorance profonde ou encore la naïveté profonde des participants.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est si important d’analyser ce qui se trame à Rome, plutôt que de de le juger négligeable ou de se rassurer à bon compte en voyant que les transgressions majeures dont il était question avant l’ouverture de l’assemblée début octobre – femmes prêtres, accueil des LGBT… – n’ont pas été intégrées dans le rapport de synthèse et auraient même fait l’objet de résistances. Mais en focalisant sur cela, l’attention aux ressorts profonds de l’idéologie qui préside au synode a été efficacement détournée.
Au sujet du pape, donc – et ce alors que nous vivons un pontificat où le pouvoir, fort, est exercé de la manière la plus autocratique qui soit, c’est tout le paradoxe ! – le rapport identifie parmi les questions à affronter celle du « ministère de l’évêque de Rome » à la lumière de la « compréhension renouvelée de l’épiscopat ». Là, on arrive à un serpent qui se mord la queue :
« Au niveau universel, le Code de droit canonique et le Code des canons des Eglises orientales prévoient des dispositions pour un exercice plus collégial du ministère papal. Ces dispositions pourraient être développées dans la pratique et renforcées dans une future mise à jour des deux textes. »
Autrement dit, on profite des possibilités existantes, on les applique de manière jusqu’au-boutiste et on revoit le texte pour pérenniser la dérive. Cet article 13d a été adopté par 339 voix contre 7.
Ayant demandé un rôle plus important pour le discernement collégial du collège des cardinaux – c’est décidément la démocratie, pardon, la synodalité à tous les étages – le rapport de synthèse clôt la deuxième partie du document avec des propositions au sujet de l’évêque de Rome. Davantage de « collégialité et de synodalité » au moment des visites ad limina, réclame l’article 13g, adopté par 340 votants sur 346.
L’article 13h propose que les Dicastères « renforcent la consultation des évêques », afin de porter « une plus grande attention à la diversité des situations et une écoute plus attentive de la voix des Eglises locales ». La diversité des situations, c’est aujourd’hui celle des Conférences épiscopales avançant des revendications et même des décisions scandaleuses, c’est l’orientation « écothéologique » de la nouvelle conférence épiscopale des évêques d’Amazonie, c’est le rejet vigoureux de l’idéologie « LGBT » par nombre d’évêques africains… C’est à juste titre que le colloque où le cardinal Burke évoquait de manière critique la réforme de la Curie a parlé de la « tour de Babel synodale ».
Davantage de votants ont calé (17 face à 329) lorsqu’il a été question à l’article 13i de « prévoir des formes d’évaluation du travail des Représentants pontificaux par les Eglises locales des pays où ils exercent leur mission, afin de faciliter et de perfectionner leur service ».
Et plus encore (44 face à 302) ont rejeté l’article 13k : « A la lumière de l’enseignement du Concile Vatican II, il convient d’examiner attentivement s’il est opportun d’ordonner évêques les prélats de la Curie romaine. »
On peut dire qu’au Synode, on a quand même beaucoup discuté du sexe des anges – ou plutôt, du sexe des diacres et de l’implication des femmes dans les processus décisionnels – et d’organes de contrôle qui rappellent ceux des grosses entreprises, alors que des âmes se perdent et que ce qui manque, c’est la clarté. Clarté sur la foi et les mœurs ! C’est ce que l’évêque de Rome est précisément chargé d’offrir, sans se laisser distraire par l’écoute d’un « peuple » si souvent ignorant de sa propre foi et si déformé par les idéologies du jour.
La suite de cette analyse est à lire ici.