Synode sur la synodalité : notre analyse exclusive du Rapport de synthèse montre que la révolution dans l’Eglise est en marche (V)

synodalité Rapport synthèse V
 

La troisième et dernière partie du Rapport de synthèse de la première étape du Synode sur la synodalité est celle qui se présente comme la plus « synodale », puisqu’il y est question de « tisser des liens, construire la communauté ». Pour continuer notre analyse de ce document riche de potentiel révolutionnaire, notons cependant qu’il s’agit tout simplement de l’extension d’une même logique à l’ensemble des questions auxquelles l’Eglise se trouve confrontée (de l’avis des « pères et de mères synodaux »), d’où l’aspect un peu fourre-tout où, sans en avoir l’air, des questions controversées font leur entrée par la petite porte, en contradiction avec les interprétations lénifiantes qu’on a pu entendre ici ou là.

Principalement, cette troisième partie vise à introduire la synodalité partout, et notamment dans le jugement porté sur ceux dont les choix de vie sont en opposition frontale avec l’enseignement de l’Eglise : les divorcés « remariés », les homosexuels, ceux qui font tout pour vivre selon l’idée qu’ils se font de leur « identité de genre ». Tout cela est une nouvelle fois mis sur la table.

 

L’analyse du Rapport de synthèse du Synode sur la synodalité montre que les sujets « chauds » s’y trouvent bien !

La confusion entre le sacerdoce et le laïcat est également promue de manière subtile dans cette troisième partie qui s’intéresse à la formation des prêtres et même à leur « formation permanente », où l’important semble être de réaliser la formation tous « ensemble », en rompant avec les structures et les façons de faire traditionnelles qui mettent à part le prêtre, celui qui est « oint », « sacré ».

On trouvera aussi plusieurs mentions des sciences humaines : on regarde ce que fait le peuple. Celui-ci étant considéré comme un lieu théologique, c’est par sa connaissance et peut-être même sa contemplation qu’on prétend connaître Dieu.

La première livraison de cette analyse par étapes se trouve ici.

La deuxième se trouve ici.

La troisième se trouve ici.

La quatrième se trouve ici.

 

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Troisième grande partie : « Tisser des liens, construire la communauté »

 

Chapitre 14. Une approche synodale de la formation

D’emblée, en remerciant tous ceux qui se dévouent pour la formation des disciples – en écho aux années d’enseignement du Christ –, chacun est invité à « accueillir les éléments de nouveauté qui émergent du chemin synodal de l’Eglise ». Il n’y a eu que trois voix contre (sur 346) cet article 14a, on en déduit que chacun ou presque est prêt à se laisser bousculer. Dans n’importe quel sens, comme les chapitres précédents l’ont amplement démontré. Et voici à l’article suivant le « Saint Peuple de Dieu » (avec des majuscules) qui n’est « pas seulement objet, mais avant tout sujet co-responsable de la formation ». Il faut pourtant être formé pour pouvoir former, et c’est là que le bât blesse… Article adopté par 344 voix contre 2.

Si dire que la famille – et en particulier les parents et les grands-parents – jouent un rôle dans la formation chrétienne est caractéristique de la synodalité, on veut bien le croire sans bien comprendre le pourquoi de ce passage obligé synodal, et on retiendra du paragraphe suivant (14d) le besoin de nourrir le « désir de sainteté » passe par la « conversion » et le recours au « sacrement de Réconciliation » afin de répondre au « kérygme », la rencontre avec Notre-Seigneur.

Mais arrive tout de suite (14e) l’énumération très au goût du jour : « exercice de la coresponsabilité, écoute, discernement, dialogue œcuménique et inter-religieux, service des pauvres et de la maison commune… résolution des conflits », seraient les domaines divers de formation où le « peuple de Dieu » agit. A la fin, on parle de l’instruction des enfants (les bambin) et des jeunes. Nulle part il n’est question de catéchismes clairs énonçant la vraie, saine et sainte doctrine. On trouve dans cette omission l’essentiel de la « synodalité » qui est « écoute », l’enseignement de la foi passant délibérément au second plan.

Un petit exemple de la Novlangue synodale ? Voici l’article 14f qui s’ouvre ainsi : « La formation en vue d’une Eglise synodale nécessite d’être entreprise en mode synodal : tout le Peuple de Dieu se forme ensemble pendant qu’il chemine ensemble. » Cela ne veut pas dire grand-chose mais 344 votants (contre 2) ont approuvé, l’idée étant que soit abandonnée la « mentalité de la délégation » au profit de l’exercice par chaque baptisé de son « charisme » propre pour l’exercice de la « mission ». Tout cela n’est pas sans importance, car il s’agit de brouiller la distinction entre l’Eglise enseignante et l’Eglise enseignée, entreprise qui fait partie des objectifs principaux de la synodalité. On peut lire et écouter à ce sujet le théologien laïque Rafael Luciani, spécialiste de la pensée du pape François, qui enseigne en université au Venezuela et aux Etats-Unis. Il en parle très ouvertement, lui qui a été nommé expert au synode par le pape François lui-même.

L’article 14g, adopté à 341 voix contre 5, recommande l’approfondissement du thème de l’« éducation affective et sexuelle » pour les jeunes et pour « accompagner la croissance affective » de « ceux qui sont appelés au célibat et à la chasteté consacrée ». Tout dépend de ce qu’on y met…

De même, l’article 14h, faisant écho à des propos similaires dans les premières parties du Rapport, veut voir approfondi le « dialogue entre les sciences humaines, surtout la psychologie, et la théologie » pour aboutir à une « synthèse plus mature » de leurs apports. Adopté par 342 voix contre 4, cet article consacre une méthode qui a déjà été amplement utilisée pour peser sur la doctrine au nom de ce que la science affirme – aujourd’hui – au sujet de l’homme. C’est au nom de l’approche « scientifique », par exemple, que des prêtres et des évêques, voire des cardinaux, ont réclamé une révision de l’enseignement de l’Eglise sur l’homosexualité. Cela n’est pas près de s’arrêter, on l’aura compris.

L’article 14i propose que le « Peuple de Dieu », toujours lui, soit « amplement représenté » dans la formation des « ministres ordonnés », particulièrement en « valorisant l’apport féminin » mais toujours en assurant « une large révision des programmes de formation ». Cela sous-entend tout de même que tout ne va pas pour le mieux, mais qu’on va améliorer les choses tous ensemble. Par le simple fait d’être ensemble. Et puis par la « formation permanente » que les évêques devraient ériger « ensemble » au rang de « culture » dans l’Eglise. En d’autres temps – au cours des années après le concile Vatican II, c’est cette culture de la formation permanente qui avait suscité les tristement célèbres « sessions de recyclage » pour les prêtres afin de les mettre au goût du jour.

L’article 14k propose même d’offrir cette « formation permanente » à tous : laïcs, consacrés et ministres tous ensemble. Oui, il s’agit bien de brouiller les cartes, et seules 6 voix ont dit « non ».

Le renouveau des séminaires, souhaité par 336 votants contre 10 à l’article 14n, propose ainsi de manière très « synodale » de voir les candidats au ministère expérimenter les réalités de « la communauté chrétienne » : « Le chemin de formation ne devra pas créer une ambiance artificielle, séparée de la vie commune des fidèles », en encourageant le service au Peuple de Dieu par la « célébration des sacrements et l’animation de la charité ». Quitte à « réviser la Ratio Fundamentalis pour les prêtres et les diacres permanents ». En rejetant le statu quo, il s’agit bien finalement de tourner le dos à la réforme tridentine qui avait jugé nécessaire la mise sur pied des séminaires afin d’assurer la formation adéquate des prêtres. S’il est vrai que nombre d’entre eux se plaignent actuellement du manque de bonne formation dans des séminaires diocésains, notamment, la « révision » suggérée semble avoir beaucoup du nivellement par le bas ; d’autant qu’à l’article 14o, les responsables des formations en vue du sacerdoce sont invités à propose les « changements nécessaires pour promouvoir l’exercice de l’autorité dans un style qui convient à une Eglise synodale ». Diluée, en somme.

 

Chapitre 15. Discernement ecclésial et questions ouvertes

Se félicitant de ce que la « conversation dans l’Esprit » ait permis « la liberté dans l’expression » et « l’écoute réciproque », le Rapport de synthèse explique au paragraphe 15c qu’il faut, pour parvenir à un « authentique discernement ecclésial », non pas se tourner uniquement vers l’enseignement traditionnel de l’Eglise, mais « à la lumière de la Parole et du Magistère, intégrer une base informative plus ample et une composante réflexive mieux articulée. Pour éviter de se réfugier dans la facilité des formules conventionnelles, on met en place une confrontation avec le point de vue des sciences humaines et sociales, de la réflexion philosophique et de l’élaboration théologique » (17 voix contre). Même remarque que ci-dessus ; les sciences humaines et notamment la sociologie sont appelées à la rescousse pour justifier le changement. Pourquoi tant de discussions aujourd’hui sur la place de la femme dans l’Eglise, par exemple ? Parce que sociologiquement, le regard sur elle a changé avec la féminisation du travail et notamment des postes de responsabilité.

L’article 15f invite à éviter deux écueils : « utiliser la doctrine avec dureté et avec une attitude de jugement » ; « pratiquer une miséricorde à bon marché » qui « ne transmet pas l’amour de Dieu ». Cela peut sembler raisonnable et équilibré mais dans le contexte actuel, où l’on confond si volontiers le péché avec le pécheur – comme c’est le cas pour l’homosexualité – les dérives néfastes ne manquent pas.

Ce n’est pas par hasard que l’on trouve ceci à l’article suivant (15g, rejeté par 39 votants) :

« Certains thèmes, comme ceux relatifs à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle, à la fin de vie, aux situations matrimoniales difficiles et aux questions éthiques liées à l’intelligence artificielle, sont controversés non seulement dans la société, mais aussi dans l’Eglise, parce qu’ils soulèvent de nouvelles questions. Parfois, les catégories anthropologiques que nous avons développées ne suffisent pas à saisir la complexité des éléments qui émergent de l’expérience ou de la connaissance scientifique et nécessitent d’être affinées et approfondies. Il est important de prendre le temps nécessaire à cette réflexion et d’y investir le meilleur de nos énergies, sans céder à des jugements simplificateurs qui blessent les personnes et le Corps de l’Eglise. De nombreuses indications sont déjà offertes par le Magistère et attendent d’être traduites en initiatives pastorales appropriées. Même là où des éclaircissements sont nécessaires, le comportement de Jésus, assimilé dans la prière et la conversion du cœur, nous montre la voie à suivre. »

Si l’acronyme « LGBT » n’est pas présent dans le Rapport de synthèse, au grand dam de ceux qui l’avaient vu avec plaisir figurer dans l’Instrumentum laboris, le concept, lui, est bien là ; et aucune porte, là encore, n’est fermée. Au contraire, la mobilisation des sciences humaines, de l’anthropologie contemporaine (qui bien souvent ne voit pas en quoi l’homme diffère de la bête, relativise les catégories du bien et du mal et ignore la distinction entre la nature et la grâce) est invoquée pour aborder ces questions « complexes », autrement dit, non réglées par l’enseignement pérenne de l’Eglise. De ce flot de paroles – où se faufilent aussi les divorcés remariés et la question de l’euthanasie – on sort avec le sentiment qu’il y a des choses à changer et qu’en « jugeant » certains actes on « blesse » non seulement les personnes à travers la désapprobation de certains actes ou états de vie, mais le « Corps de l’Eglise » lui-même. Comme si l’Eglise n’était pas plutôt blessée par les péchés des hommes…

En invitant les membres du synode à réfléchir, en vue de la prochaine étape, à la manière dont la parole des « experts » dans divers domaines pourra être prise en compte (15i), le Rapport de synthèse affirme à l’article 15j :

« Il est nécessaire d’identifier les conditions qui permettent à la recherche théologique et culturelle de partir de l’expérience quotidienne du peuple saint de Dieu et de se mettre à son service. »

Ce bref paragraphe est crucial lui aussi : il affirme la logique de l’Eglise synodale qui trouve des lieux théologiques dans l’histoire, dans la vie communautaire des pauvres, dans la jeunesse… la liste est longue. Dans cette optique, forcément changeante, où la formulation de la doctrine et la « recherche théologique » à cette fin ont induites de la vie du « peuple saint de Dieu » et non déduites de la Révélation et de la Tradition, ce qui était vrai hier peut, sous le signe des temps, être modifié aujourd’hui. Les mots « expérience quotidienne » sont à cet égard importants. C’est vraiment la vie de tous les jours qui est considérée, le temporel, le profane par définition, le sacré étant justement ce qui est mis à part. Embrouille, toujours… Les synodes antérieurs organisés sous le pontificat du pape François tournaient tous autour de ce sujet de la source de la connaissance de Dieu ; mais c’est le sujet, le cœur de celui-ci.

C’est pourquoi il faut considérer avec attention et esprit critique le paragraphe de proposition qui clôt ce chapitre (15k, adopté par 310 voix contre 36) :

« Nous proposons de promouvoir des initiatives qui permettent un discernement partagé sur des questions doctrinales, pastorales et éthiques controversées, à la lumière de la Parole de Dieu, de l’enseignement de l’Eglise, de la réflexion théologique et en valorisant l’expérience synodale. Cela peut se faire au moyen de discussions approfondies entre experts de compétences et d’horizons différents, dans un contexte institutionnel qui protège la confidentialité du débat et favorise la franchise de la discussion, en donnant également la parole, le cas échéant, aux personnes directement concernées par les controverses évoquées. Cette voie devrait être engagée en vue de la prochaine session synodale. »

C’est à portes fermées que les « experts » sont invités à discuter sous la protection de l’Eglise pour revoir les « controverses » (« l’identité de genre et à l’orientation sexuelle », « la fin de vie », les « situations matrimoniales difficiles », tout cela est dit explicitement plus haut), pour « discerner ». S’agit-il d’endormir la vigilance de ceux qu’on avait délibérément échaudés avec le vocabulaire de l’Instrumentum laboris, en donnant l’impression d’un enterrement des idées choquantes par voie de création de commissions ? La simple prolongation des discussions sur ce qui ne devrait pas offrir matière à débat est ici une indication du sens de ces manœuvres.

 

La suite de cette analyse est à lire ici.

 

Jeanne Smits