Synode sur la synodalité : notre analyse exclusive du Rapport de synthèse montre que la révolution dans l’Eglise est en marche (VI)

synodalité Rapport synthèse VI
 

Enfoui dans les profondeurs du Rapport de synthèse de la première étape du Synode sur la synodalité, le chapitre 16 mérite d’être traité à part, tant son sujet est essentiel dans la tentative de révolution structurelle de l’Eglise que veut promouvoir toute cette opération. Le thème « Pour une Eglise qui écoute et qui accompagne » est centré sur le mot-clef qui définit tout le reste : l’« écoute ».

Dans Le Processus synodal, 100 questions & 100 réponses, Julio Loredo et José Antonio Ureta faisaient le point avant l’ouverture de la session, avec l’approbation du cardinal Burke qui préfaça l’ouvrage. Ils rappelaient le sens traditionnel de l’écoute des fidèles par les pasteurs :

« Oui, il ne fait aucun doute qu’un bon berger doit se pencher sur ses brebis pour les écouter et comprendre leur situation spirituelle et leurs aspirations. Mais aujourd’hui, “l’écoute” signifie l’obligation d’être en phase avec les brebis. Le critère d’évaluation cesse d’être la Vérité révélée et la rectitude de conscience pour devenir l’acceptation des aspirations des fidèles. »

Et ils détaillaient la nature du concept moderne de l’écoute, citant le Vademecum donné aux membres du synode :

« Dans la perspective moderne de l’“écoute”, l’Eglise cesse d’être la mère et la maîtresse qui transmet l’enseignement du Christ par la voix de ses pasteurs (“celui qui vous écoute m’écoute” – Lc 10,16) et devient une Eglise qui écoute, dialogue et questionne sans craindre de remettre en cause des vérités jusqu’alors considérées comme indiscutables. Ce processus requiert “l’ouverture à la conversion et au changement, affirme le Vademecum. Le premier pas vers l’écoute consiste à libérer nos esprits et nos cœurs des préjugés et des stéréotypes.” Plus loin : “Le processus synodal nous donne l’occasion de nous ouvrir à l’écoute de manière authentique, sans recourir à des réponses toutes faites ou à des préjugés.”

« A noter que, dans le texte cité ci-dessus, le cardinal Grech affirme que le discernement d’un évêque ne consiste pas à vérifier si ce que dit le peuple de Dieu coïncide avec ce qu’enseigne la Révélation, mais le contraire : il s’agit de saisir ce que dit le peuple et de le considérer comme la parole du Saint Esprit. »

 

L’analyse du 16e chapitre du Rapport de synthèse du Synode sur la synodalité met l’écoute au centre de la mission de l’Eglise

Le chapitre 16 du Rapport de synthèse, avec ses articles adoptés pour la plupart à une large majorité, confirme cette approche, parfois ouvertement, parfois discrètement. Et ne rappelle qu’incidemment – peut-être est-ce là le fruit d’une résistance opposée par les plus conservateurs – le devoir de ne pas mettre en cause le « message de salut de l’Evangile ».

C’est dans ce chapitre qu’on retrouve la promotion de l’accueil, le refus de l’« exclusion » de quiconque, en particulier ceux qui par leur choix de vie rejettent de manière constante, en ce qui les concerne, la morale familiale et conjugale, avec toutes les ambiguïtés que cela entraîne.

Mais cette « écoute » va plus loin : c’est celle des laïcs, par les laïcs, mais aussi par l’Eglise enseignante qui y perd beaucoup de son autorité ; laïcs à qui l’on veut même proposer un ministère institué propre à cette fin.

La première livraison de cette analyse par étapes se trouve ici.

La deuxième se trouve ici.

La troisième se trouve ici.

La quatrième se trouve ici.

La cinquième se trouve ici.

 

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Troisième grande partie : « Tisser des liens, construire la communauté » (II)

 

Chapitre 16. Pour une Eglise qui écoute et qui accompagne

Les « pères et mères synodaux » sont quasi-unanimes : à une voix près, ils ont adopté l’article définissant le mot « écoute » comme celui qui synthétise le mieux leur expérience du synode. Ils ont aimé « prendre la parole et être écoutés », précise l’article 16b, parce qu’être écouté permet de faire l’« expérience de sa propre dignité » (343 voix contre 3), et, ayant mis « Jésus-Christ au centre », mais « pour laisser de l’espace à l’autre », et faire l’expérience de la « conversation dans l’Esprit ». Cela « oblige chacun à reconnaître ses propres limites et la partialité de son propre point de vue ». « Ainsi s’ouvre une possibilité pour l’écoute de la voix de l’Esprit de Dieu qui parle aussi au-delà des limites de l’appartenance ecclésiale… » (340 voix contre 6). Pour des temps de parole de 3 minutes, quel enthousiasme !

L’écoute est une belle chose, soit. Mais il y a ici, et c’est très manifeste, même si le plus grand nombre des membres du synode ne l’ont pas voulu voir, un glissement de sens du mot. Car il ne s’agit pas – pas seulement – d’écouter pour comprendre, aider à progresser, mieux formuler un enseignement sûr de l’Eglise pour les besoins de telle personne ou telle communauté particulière : il s’agit d’écouter pour que ce qui est dit par l’autre vienne instruire l’Eglise ; puisque les avis de tous les écoutants sont considérés comme relevant de leur subjectivité, et jamais dans leur dimension de certitude de foi par l’adhésion à ce qu’enseigne l’Eglise.

Les participants auraient sans doute mieux compris de quoi il retourne en se penchant sur les travaux et les inlassables « prédications » d’un expert nommé au synode par le pape lui-même : son ami Rafael Luciani, fin connaisseur de sa pensée, théologien laïque, spécialiste de la théologie du peuple. Lui qui a multiplié au cours de ces derniers mois les interventions dans les universités et auprès de groupes de laïcs pour expliquer ce qu’est le synode sur la synodalité et souligner que celui-ci tend heureusement vers la mise en place d’une « ecclésiologie du peuple de Dieu » s’est réjoui de voir « une Eglise qui arrête d’enseigner et qui apprend en écoutant » le peuple, pour enseigner seulement ensuite dans un « processus circulaire ».

« Une Eglise qui arrête d’enseigner et qui apprend en écoutant »

Luciani a même déclaré que c’est des « minorités » que « doivent venir les pressions pour changer l’Eglise » ; il faut l’« exiger depuis la société car l’Eglise est au service de n’importe quelle personne dans la société ».

Ce point de vue est essentiel pour comprendre ce qui se passe dans ce synode encore inachevé, et on en retrouve l’expression dans l’article 16h (326 voix contre 20) :

« De différentes manières, les personnes qui se sentent marginalisées ou exclues de l’Eglise en raison de leur situation matrimoniale, de leur identité et de leur sexualité demandent également à être entendues et accompagnées, et à ce que leur dignité soit défendue. L’Assemblée a perçu un profond sentiment d’amour, de miséricorde et de compassion à l’égard des personnes qui sont ou se sentent blessées ou négligées par l’Eglise, qui souhaitent un lieu où rentrer “chez elles” et où elles peuvent se sentir en sécurité, être écoutées et respectées, sans craindre d’être jugées. L’écoute est une condition préalable pour marcher ensemble à la recherche de la volonté de Dieu. L’Assemblée réaffirme que les chrétiens ne peuvent pas manquer de respect à la dignité de toute personne. »

La charge des fautes est ici déplacée : ce n’est plus le pécheur qui en attend le pardon, mais d’abord l’Eglise qui est coupable d’avoir « marginalisé » le pécheur – et il ne s’agit pas tant de la personne qui tombe et se relève, pardonné dans le sacrement de pénitence, mais de celle qui a choisi un état ou un mode de vie dont il ne veut pas sortir. Jugés, nous le serons, et si l’Eglise a précisément pour mission d’établir ou de rétablir la grâce sanctifiante dans les âmes, de transmettre la miséricorde, cela ne se fait pas en faisant comme si le péché, ou le choix de vivre dans le péché, n’existaient pas. C’est le péché qui nous blesse, pas l’Eglise.

Un peu plus loin (article 16l), cette approche est quelque peu tempérée par les mots :

« L’écoute exige un accueil inconditionnel. Cela ne veut pas dire renoncer à la clarté dans la présentation du message de salut de l’Evangile, ni approuver toute opinion ou position. Le Seigneur Jésus a ouvert de nouveaux horizons à ceux qu’Il a écoutés sans conditions, et nous sommes appelés à faire de même afin de partager la Bonne Nouvelle avec ceux que nous rencontrons. »

Mais cette notion d’« inconditionnalité » de l’accueil, qui peut vouloir dire que le salut est, et doit donc être proposé à tous, est bien confuse dans le contexte du synode et de tout ce qu’il véhicule. L’Eglise accueille en effet sous conditions d’adhésion à ses enseignements ; le ciel est ouvert sous condition d’obtenir le pardon de tout péché mortel, selon les conditions qu’elle fixe ; l’Eglise prononce des excommunications, qui ont notamment pour but d’amener l’excommunié à réunir les conditions pour y faire son retour, et servir à son salut.

L’article 16m, adopté à 5 voix près, mérite une mention au passage : il y est fait élogieusement référence aux « communautés de base » où la « pratique de l’écoute » est favorisée, avec la proposition de les étendre aux contextes urbains. Ces cellules où les laïcs sont à l’honneur et où le prêtre est chargé de l’animation plutôt que de la direction ont été inspirées par la théologie de la libération en Amérique latine dans les années 1950 avant de prendre leur essor à partir des années 1970 et 1980 en tant qu’« Eglises en miniature ». Sous couleur de répondre au vrai besoin d’humanité et de communauté qui existe en notre temps, c’est une vision politique qui avance, mettant au premier plan la défense des droits sociaux (et aujourd’hui, environnementaux). On y retrouve la confusion du temporel et du spirituel, la remise en cause de la structure traditionnelle hiérarchique de l’Eglise, une vision horizontale de sa mission.

C’est bien en tant que terrains d’écoute – selon la fameuse pyramide inversée souhaitée par le pape François – que les « communautés de base » sont mises en avant dans le chapitre sur l’« Eglise qui écoute ».

Parmi les propositions faites à ce sujet plus général, on notera à l’article 16n (387 voix contre 9) la volonté de faire de l’écoute « une forme d’agir ecclésiale », avec, à l’article 16p, l’idée d’instituer « un ministère de l’écoute et de l’accompagnement fondé sur le Baptême, adapté aux divers contextes ». Les modalités mises en œuvre pour conférer ce ministère, ouvert (et peut-être réservé ?) aux laïcs, « favoriseront une plus grande implication de la communauté », assure cet article adopté par 327 voix contre 19. La promotion de ministères laïcs par le pape François – lecteur, acolyte, catéchiste – est présentée (non pas dans le rapport de synthèse mais de manière plus générale) comme une réponse aux intuitions du concile Vatican II et contribue à une confusion entre le ministère sacerdotal et les services rendus par les laïcs dans l’Eglise au service de la foi. Au sujet du catéchisme, il n’était d’ailleurs pas du tout indispensable de parler de ministère, mais de mission : simple mission de transmission, pour noble qu’elle soit.

L’article 16q, qui a suscité 43 voix contre, a fait couler beaucoup d’encre :

« Le SCEAM (Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar) est encouragé à promouvoir un discernement théologique et pastoral sur la question de la polygamie ainsi que sur l’accompagnement des personnes en union polygame qui s’approchent de la foi. »

Cet article ne dit rien de très concret, puisqu’il n’y est pas question de faire entrer en tant que tels des polygames dans l’Eglise. Celle-ci a toujours posé comme condition à la conversion l’abandon de la polygamie, le converti devant rester avec une seule épouse, non sans exiger qu’il assume ses responsabilités à l’égard des enfants qu’il a eus de ses autres femmes.

Le contexte du synode permet de mieux comprendre ce qui se passe

Mais le contexte est plus inquiétant. Ainsi le P. Timothy Radcliffe a-t-il donné le ton lors de la retraite qu’il a prêchée pour tous les participants avant l’ouverture du synode : les « personnes se trouvant dans un mariage polygame… rêvent d’une Eglise renouvelée où ils se sentiront pleinement chez eux, reconnus, affirmés et en sécurité ». Lui qui proposait chaque matin des réflexions spirituelles au synode pour introduire les travaux du jour a aussi affirmé : « Beaucoup de gens se sentent exclus ou marginalisés dans notre Eglise parce que nous leur avons apposé des étiquettes abstraites : divorcés remariés, homosexuels, polygames, réfugiés, Africains, jésuites !… Un ami m’a dit l’autre jour : “Je déteste les étiquettes. Je déteste les gens qui sont mis dans des boîtes. Je ne peux pas supporter ces conservateurs.” »

Edward Pentin du National Catholic Register a obtenu des confidences – rapportées ici par Belgicatho – sur la composition des petits groupes à qui les différentes questions soulevées dans l’Instrumentum laboris ont été soumises. Le « Petit groupe 28 » (sur 35 groupes au total) était ainsi chargé de ces minorités « blessées par l’Eglise, non accueillies », pour répondre à cette question : « A la lumière de l’exhortation apostolique post-synodale Amoris Laetitia, quelles mesures concrètes sont nécessaires pour accueillir ceux qui se sentent exclus de l’Eglise en raison de leur statut ou de leur sexualité (par exemple, les divorcés remariés, les personnes polygames, les personnes LGBTQ+, etc). »

Ce groupe comprenait le P. James Martin, le jésuite américain pro-LGBT, directeur du groupe Outreach « pour les catholiques LGBT », ainsi que Cynthia Bailey, laïque avec droit de vote : celle-ci est « favorable à une plus grande ouverture aux LGBT et à l’ordination de femmes diacres ». Pentin précise : « Des défenseurs de l’avortement se sont exprimés dans son centre. Elle a été élue par les autres membres du groupe pour être le rapporteur du groupe et rendre compte de ses discussions au Secrétariat du Synode. » D’autres membres du groupe s’opposaient au contraire aux accommodements.

Et c’est tout le problème. On ne peut savoir où veut aller le synode, les options semblent toutes ouvertes du simple fait qu’on en discute et le rapport de synthèse s’abstient délibérément de rappeler les règles – notamment en ce qui concerne la polygamie. Il en résulte que chacun peut imaginer une évolution possible, ou probable, et même aller jusqu’à s’octroyer des accommodements personnels, puisque l’affaire a été remise sur la table de discussion. Baptême, absolution, communion : tout cela est en jeu en fait sinon en droit.

 

La suite de cette analyse est à lire ici.

 

Jeanne Smits