Synode sur la synodalité : notre analyse exclusive du Rapport de synthèse montre que la révolution dans l’Eglise est en marche (VII)

synodalité Rapport synthèse VII
 

Voici l’avant-dernier volet de notre analyse critique du Rapport de synthèse du Synode sur la synodalité, qui se révèle d’une grande cohérence interne à quelques détails près : ainsi, le développement de la « mission » sur internet est recherché mais les participants à l’assemblée romaine ont tenu à montrer que certains de ces catholiques en ligne sont moins synodaux que d’autres. Aussi y a-t-il parmi les « missionnaires dans le monde digital » des gens qui ne sont pas à la hauteur, animant « des sites où les questions liées à la foi sont traitées de manière superficielle, polarisée, voire chargée de haine ». Suivez mon regard.

Les deux chapitres que nous analysons ci-dessous concernent plus directement les laïcs, les charges qu’il faut leur confier, les droits de regard qu’il faut leur donner sur les « processus de décision » (quand il ne s’agit pas carrément de les faire participer à la prise de décision).

 

L’analyse des 17e et 18e chapitres du Rapport de synthèse du Synode sur la synodalité révèle son substrat révolutionnaire

On retrouve ici une nouvelle fois des mots-clefs du vocabulaire du pape François : « peuple de Dieu », « périphéries », « exclusion ». D’ailleurs l’inclusion des personnes vivant dans des situations « affectives et conjugales complexes » dans tous les domaines de la vie des églises est au programme, dans une extension délibérée, mais discrète, de la logique d’ouverture d’Amoris laetitia aux divorcés civilement remariés.

Et pourquoi s’arrêter aux catholiques, et même aux chrétiens ? Comme ce fut le cas pour les consultations qui précédèrent le synode au niveau des paroisses et des diocèses, le Rapport de synthèse souligne déjà clairement que les personnes d’autres religions et même celles qui ne croient en rien peuvent et doivent participer à la mission en ligne en intégrant des réseaux d’« influenceurs » catholiques. C’est moins pour répandre l’Evangile que pour « sauvegarder la maison commune », de toute façon.

Comme pour les autres chapitres de ce Rapport de synthèse, on demeure stupéfait de voir à quel point tout cela a été gobé quasi unanimement par les participants, sans en saisir le contexte, ni l’orientation, ni le but ultime. Ceux qui sont à la recherche d’une restructuration de l’Eglise peuvent se frotter les mains : ils ont près d’un an pour faire progresser leur vision, avec le soutien apparemment massif de la première séance romaine du Synode.

La première livraison de cette analyse par étapes se trouve ici.

La deuxième se trouve ici.

La troisième se trouve ici.

La quatrième se trouve ici.

La cinquième se trouve ici.

La sixième se trouve ici.

 

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Troisième grande partie : « Tisser des liens, construire la communauté » (III)

 

Chapitre 17. Missionnaires dans le monde digital

Comment ne pas adhérer à l’article 17a, qui souligne à quel point la « culture numérique » influence, voire bouleverse la perception de la réalité, les relations humaines, notre façon de penser lui-même. Quatre « pères et mères synodaux » l’ont rejeté, pourtant, et autant l’article 17c qui souligne l’importance d’apporter le Christ vers ces « nouvelles frontières ». En faire un lieu « sûr » et « spirituellement vivifiant » est le défi à affronter, et « beaucoup d’initiatives en ligne liées à l’Eglise » sont « d’une grande valeur et d’une grande utilité, offrant une catéchèse et une formation à la foi excellentes », assure l’article 17g, mais celui-ci regrette en même temps que « malheureusement, il existe aussi des sites où les questions liées à la foi sont traitées de manière superficielle, polarisée, voire chargée de haine ». Faut-il voir ici une attaque voilée contre les sites attachés à l’enseignement traditionnel de l’Eglise ? Vu les hostilités affichées de manière unidirectionnelle par François et une partie de la hiérarchie catholique, il n’est pas absurde de le penser.

L’article 17h affirme par voie de conséquence : « Cela soulève d’importantes questions sur la manière dont ils peuvent être réglementés et sur l’autorité ecclésiastique responsable de leur supervision. » Il est normal que l’Eglise ait un droit de regard sur l’enseignement du catéchisme : c’est même un devoir. Pour une fois, la synodalité fait profil bas, et c’est un bon point… Aux laïcs qui s’expriment en tant que catholiques sans l’aval de la hiérarchie de le dire clairement, en ces temps de confusion cela ne fait pas de mal.

L’article 17j évoque le temps des églises fermées et des messes par écran interposé :

« La pandémie de covid-19 a stimulé la créativité pastorale en ligne, contribuant à réduire les effets de l’expérience d’isolement et de solitude vécue en particulier par les personnes âgées et les membres vulnérables de la communauté. Les établissements d’enseignement catholique ont également utilisé efficacement les plateformes en ligne pour continuer à proposer des formations et des catéchèses pendant les périodes de fermeture. Il est bon que nous examinions ce que cette expérience nous a appris et quels pourraient être les avantages durables pour la mission de l’Eglise dans l’environnement numérique. »

Cela reste au stade de la réflexion, mais parler uniquement de manière positive de cette expérience, où les catholiques étaient véritablement interdits de sacrements et de messe, constitue une omission révélatrice. Cet article a été adopté par 342 voix contre 4.

Au titre des propositions, l’article 17l suggère que « les Eglises offrent reconnaissance, formation et accompagnement aux missionnaires numériques déjà actifs, en facilitant également la rencontre entre eux ». Pourquoi pas. Mais l’article 17m (18 voix contre) montre et démontre à quel point il ne s’agit pas de répandre la foi, mais de promouvoir un programme temporel et politique dans la lignée de la soi-disant « fraternité humaine » :

« Il est important de créer des réseaux collaboratifs d’influenceurs qui intègrent des personnes d’autres religions ou ne professant aucune foi, mais qui collaborent à des causes communes pour la promotion de la dignité humaine, de la justice et de la sauvegarde de la maison commune. »

En clair, prêcher en ligne le Christ aux nations doit se faire en donnant la parole aux athées, aux représentants de l’islam, du bouddhisme, de l’animisme… tous ces participants aux initiatives « pour le climat », « pour la planète », « pour la fin des inégalités » que l’on voit déjà évoluer dans les rencontres inter-religieuses où le relativisme et le syncrétisme avancent à grand pas vers une spiritualité globale. Ce sera sans nous.

 

Chapitre 18. Les organismes de participation

Au nom de la « coresponsabilité de tous les baptisés » pour la mission, ce chapitre réclame la « synodalité dans la composition et le fonctionnement des organismes où cela prend corps ». Ici on ne parle plus de supervision par la hiérarchie de l’Eglise…

Au contraire. L’article 18b, rejeté par 18 votants seulement, pose le principe général de cette synodalité démocratisante qui refuse le principe de l’Ecclesia docens (même si l’autorité première de la « Parole de Dieu » est affirmée à l’article suivant) :

« A la lumière du Magistère récent (en particulier Lumen Gentium et Evangelii Gaudium), cette coresponsabilité de tous dans la mission doit être le critère qui sous-tend la structure des communautés chrétiennes et de l’Eglise locale tout entière, avec tous ses services, dans toutes ses institutions, dans tout son organisme de communion (cf. 1 Co 12, 4-31). La juste reconnaissance de la responsabilité des laïcs dans la mission dans le monde ne peut devenir un prétexte pour confier le soin de la communauté chrétienne aux seuls évêques et prêtres. »

Adopté par 331 voix contre 15, l’article 18d accentue encore le rejet de la vision traditionnelle du catholique fervent et pratiquant :

« La composition des différents Conseils de discernement et de décision d’une communauté missionnaire synodale doit prévoir la présence d’hommes et de femmes au profil apostolique, qui se distinguent avant tout non par une fréquentation assidue des espaces ecclésiaux, mais par un témoignage évangélique constant dans les réalités les plus ordinaires de la vie. Le Peuple de Dieu est d’autant plus missionnaire qu’il est capable de faire résonner en son sein, même dans les organismes de participation, les voix de ceux qui vivent déjà la mission en habitant le monde et ses périphéries. »

Les « périphéries » selon François sont celles de la pauvreté, de l’« exclusion » (notamment des transgenres, il l’a prouvé en recevant pour un déjeuner commun un groupe d’« hommes devenus femmes » pendant le synode), des migrants. Bien entendu, chaque être humain est appelé à répondre à l’appel de Dieu pour entrer dans l’Eglise et obtenir le salut éternel que seul offre le Christ. En décochant une flèche contre ceux « qui se distinguent par une fréquentation assidue des espaces ecclésiaux » (quel abominable vocabulaire – d’après le texte original en italien –, surtout dans le contexte), le document déprécie la pratique régulière, crée une division entre les bons missionnaires « synodaux » et les grenouilles de bénitier, l’entre-soi catholique dont seraient a priori coupables ces habitués des églises et ceux qui bénéficient d’un a priori favorable parce qu’ils sont plongés dans « le monde » et surtout dans le peuple. Une sorte de lutte des classes entre les « nantis » spirituels et ceux qui se mouillent la chemise.

Les pratiquants, un problème ?

L’article 18e s’interroge sur la « manière de promouvoir la participation aux différents Conseils, en particulier lorsque les pratiquants ne se sentent pas à la hauteur de la tâche ». « La synodalité grandit dans l’implication de chaque membre dans les processus de discernement et de prise de décision pour la mission de l’Eglise : en ce sens, nous sommes édifiés et encouragés par de nombreuses petites communautés chrétiennes dans les Eglises émergentes, qui vivent un “corps à corps” fraternel quotidien autour de la Parole et de l’Eucharistie », poursuit cet article adopté par 340 voix contre 6 avec son clin d’œil en direction des communautés de base déjà évoqués ouvertement dans un chapitre précédent. C’est en quelque sorte le petit cercle de fidèles, prenant des décisions ensemble, qui est donné comme exemplaire de la synodalité.

Et on comprend vite que cet objectif comporte une dimension révolutionnaire : il s’agit bien de faire participer tout le monde dans ces processus de décision et de mission. L’article 18f (15 voix contre) l’exprime ainsi :

« Dans la composition des organes de participation, nous ne pouvons plus remettre à plus tard la mise en œuvre de la tâche confiée par le Pape François dans Amoris laetitia. La participation des hommes et des femmes qui vivent des situations affectives et conjugales complexes “peut s’exprimer dans divers services ecclésiaux : il convient donc de discerner quelles sont, parmi les diverses formes d’exclusion actuellement pratiquées dans les domaines liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel, celles qui peuvent être dépassées” (n° 299). Le discernement en question concerne également l’exclusion des organes paroissiaux et diocésains de participation communautaire, pratiquée dans bon nombre d’Eglises locales. »

La citation d’Amoris laetitia est remarquable car un peu trafiquée : le numéro 299 de l’Exhortation apostolique vise précisément « les baptisés divorcés et remariés civilement » ; le rapport de synthèse étend le propos aux « situations affectives et conjugales complexes », ce qui englobe finalement toute cohabitation fondée sur un lien affectif désordonné.

Certes, on n’en est pas encore à la décision démocratique forcément mise en place et forcément ouverte à « tous » les participants, mais la porte est ouverte au moyen de la Novlangue synodale à l’article 18g (336 voix pour, 10 contre) :

« Dans la perspective de l’originalité évangélique de la communion ecclésiale : comment combiner les aspects consultatifs et délibératifs de la synodalité ? En partant de la configuration charismatique et ministérielle du Peuple de Dieu : comment intégrer les tâches de conseil, de discernement et de décision dans les différentes instances participatives ? »

Sans doute aura-t-on droit sur ce chapitre à la « créativité » des débats.

Ce qui est sûr, c’est qu’on vise le « caractère obligatoire des conseils pastoraux dans les communautés chrétiennes et les Eglises locales ». Pas de synodalité sans assemblée ! Et pas d’assemblée sans donner la voix aux laïcs, poursuit la proposition 18h (25 voix contre) : « En même temps, les organes de participation devraient être renforcés, avec une présence adéquate de laïcs et de laïques, avec l’attribution de fonctions de discernement en vue de décisions véritablement apostoliques. » Cela se passera comme au synode sur la synodalité, mais cette fois à tous les étages…

 

A suivre.

 

Jeanne Smits