Synode sur la synodalité : notre analyse exclusive du Rapport de synthèse montre que la révolution dans l’Eglise est en marche (I)

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A en croire les gros médias, et même les voix de commentateurs catholiques habituellement plus critiques des innovations sous le pape François, le synode sur la synodalité a fait pschitt ; la montagne aurait accouché d’une souris et tous les thèmes au sujet desquels on attendait quasiment des révolutions – accueil des personnes qui rejettent la morale familiale de l’Eglise, ordination des femmes… – auraient disparu au bout de quatre semaines de délibérations. Pourtant, à lire de plus près le « Rapport de synthèse » (qui récuse l’appellation de « document final », réservé à ce qui sera publié à la fin de la deuxième étape en 2024), on s’aperçoit que les projets révolutionnaires sont légion. Et qu’il va falloir y résister en bonne connaissance de cause. C’est pourquoi nous vous en proposons une analyse exclusive en plusieurs épisodes.

Certains « mots-clefs » manquent, certes : les médias se sont ainsi empressés de déplorer l’absence de l’acronyme « LGBT ». Mais c’est bien un changement structurel de l’Eglise qui est visé, et ses promoteurs sont prêts à y travailler sur le long terme, non sans mettre en avant déjà des suggestions contraires à toute la tradition de l’Eglise, le tout sous les auspices du « Peuple de Dieu », véritable protagoniste de l’affaire par la volonté de quelques-uns.

Il est vrai que le pape François est un ferme partisan de la théologie du peuple, avatar argentin de la théologie de la libération, comme l’a montré Jean-Pierre Moreau dans son récent livre La conquête du pouvoir aux éditions Contretemps.

 

Synodalité : le Rapport de synthèse a été adopté à une très large majorité

Les quarante pages – denses – du Rapport de synthèse n’ont pas été traduites en français pour l’heure, et les commentaires que j’en propose ici s’appuient sur le texte original en italien, avec le relevé des votes, article par article, qui a été remis aux journalistes.

Première remarque : la très grande homogénéité du vote, surprenante au vu des innovations proposées. Il y avait pourtant des participants réputés conservateurs (tels le cardinal Gerhard Müller, les envoyés de la Conférence épiscopale des Etats-Unis et quelques autres). Tous les articles ont été adoptés à une très large majorité : une seule voix a contesté l’introduction contre 343, dix ont rejeté la conclusion face à 336 « oui ». L’article le moins bien adopté, avec 69 voix négatives contre 277, sur l’accès des femmes au ministère diaconal, l’a tout de même été avec une majorité des trois quarts.

 

Le Rapport de synthèse vise une « mise à jour » de l’Eglise

L’analyse chapitre par chapitre révèle à quel point les « mères et pères synodaux » – expression souvent entendue dans la salle de presse et de la bouche des participants – étaient prêts à entrer dans une voie de « mise à jour » de l’Eglise. Ils ont tous la même structure : « Convergences », « questions à affronter », « propositions ».

Nous vous proposons ici le premier d’une série d’articles qui suivra le Rapport de synthèse pas à pas pour y relever et commenter les éléments les plus significatifs. N’oubliez pas de vous abonner à notre Lettre d’information pour ne manquer aucun épisode de ce feuilleton synodal !

 

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Une première grande partie présente « Le visage de l’Eglise synodale », avec une idée force : l’ouverture

 

Chapitre 1. Synodalité : expérience et compréhension

Le tout premier article, adopté par 342 voix contre 2, affirme que le Concile Vatican II a fait l’aggiornamento (« ha aggiornato ») des pratiques synodales tandis que le pape François « encourage l’Eglise à les rénover encore davantage ». Pourquoi ? Notamment parce que les jeunes ont exprimé le désir d’une Eglise plus synodale, « plus proche des gens », lors du synode qui leur était dédié en 2018, dit l’article 1b. Tout le document de ce synode-là était focalisé sur la « synodalité » qui avait été pour ainsi dire absente des débats : ainsi fonctionne la manipulation.

L’article 1f mérite d’être présenté ici (toutes les traductions sont des traductions de travail par nos soins, en attendant le texte officiel en français) :

« Nous savons que le terme “synodalité” n’est pas très connu de nombreux membres du Peuple de Dieu, ce qui suscite la confusion et l’inquiétude de certains. Certains craignent que l’enseignement de l’Eglise ne soit modifié, s’éloignant ainsi de la foi apostolique de nos pères et trahissant les attentes de ceux qui, aujourd’hui encore, ont faim et soif de Dieu. Cependant, nous sommes convaincus que la synodalité est une expression du dynamisme de la Tradition vivante. »

On ne sait pas de quoi on parle mais allons-y quand même ; cet article a recueilli 335 voix contre 9 ! Alors même qu’à ce « synode » qui n’en est pas un selon les règles de l’Eglise, votaient des laïcs, parmi lesquels de nombreuses femmes, et étaient entendus pour l’apport de leur sagesse des non-catholiques…

Récusant le risque de voir l’Eglise devenir une sorte de « démocratie représentative » et de porter atteinte à sa « nature hiérarchique », l’article 1g énumère de manière fort intéressante les résistances au processus en cours : « Certains craignent d’être obligés de changer ; d’autres craignent que rien ne change et qu’il n’y ait pas assez de courage pour avancer au rythme de la Tradition vivante. Certaines perplexités et oppositions cachent aussi la peur de perdre le pouvoir et les privilèges qui l’accompagnent. » Manière habile de disqualifier la résistance qu’on met sur le compte de la peur ou du désir de profiter du statu quo. 18 personnes ont voté « non ».

L’article 1i, derrière son jargon, révèle pourtant cette logique profondément contraire à la structure monarchique de l’Eglise :

« La synodalité peut être comprise comme la marche des chrétiens avec le Christ et vers le Royaume, avec l’ensemble de l’humanité ; orientée vers la mission, elle implique la réunion en assemblée aux différents niveaux de la vie ecclésiale, l’écoute mutuelle, le dialogue, le discernement communautaire, la création d’un consensus comme expression de la présence du Christ vivant dans l’Esprit, et la prise d’une décision en coresponsabilité différenciée. »

Voyez comme « l’ensemble de l’humanité » est ici associé (pour le moins) à cette Eglise synodale qui ne se définit plus comme « Corps mystique du Christ » et qui recherche le « consensus » comme critère de vérité. Seuls quatre votants ont dit « non ».

De toute façon, même si la notion de synodalité varie d’une culture à l’autre, moyennant quelques précisions l’écrasante majorité est d’accord pour dire que « la perspective synodale représente l’avenir de l’Eglise », assure l’article suivant, adopté à 330 contre 14.

On pourrait dire que tout le reste est littérature : ainsi le « fait synodal » est acquis, considéré comme un « processus » et non comme un « événement » comme le précisera la conclusion. Après cela, les choses iront plus ou moins vite, mais elles iront…

La synodalité, en effet, dont il est précisé qu’il reste à en préciser les contours sur tous les plans, est présentée comme l’alternative à tous les maux contemporains : « La pratique synodale fait partie de la réponse prophétique de l’Eglise à un individualisme qui se replie sur lui-même, à un populisme qui divise et à une mondialisation qui homogénéise et aplatit. Elle ne résout pas ces problèmes, mais elle offre une autre manière d’être et d’agir qui est pleine d’espoir, qui intègre une pluralité de perspectives et qui doit être explorée et éclairée davantage. » 340 votants étaient d’accord, 4 ont dit « non ».

D’ailleurs, le chapitre s’achève sur l’idée d’élargir le nombre de participants et, à la lumière des réflexions entreprises lors du concile Vatican II, d’envisager une réforme du droit canonique en ce sens.

 

Chapitre 2. Rassemblés et envoyés par la Trinité

On apprend d’abord (art. 2a) que « la synodalité traduit en attitudes spirituelles et en processus ecclésiaux la dynamique trinitaire par laquelle Dieu vient à la rencontre de l’humanité », où « tous les baptisés doivent s’engager à exercer… leur ministère ». Le chemin synodal « est orienté vers le Royaume qui trouvera son plein accomplissement lorsque Dieu sera tout en tous », assure l’article suivant où on lit : « L’Eglise ne réfléchit pas à sa configuration synodale pour se placer au centre de l’annonce, mais pour accomplir au mieux, même dans son incomplétude constitutive, son service à l’avènement du Royaume. » L’Eglise, épouse immaculée du Christ, disait plutôt saint Paul ; « C’est tout un de Notre Seigneur et de l’Eglise », savait Jeanne d’Arc qui aurait sans doute vertement répondu, avec sa sainte insolence, à ces propos sur l’« incomplétude constitutive »… Seuls 5 votants synodaux ont rejeté cet article.

Passons sur les autocongratulations qui suivent au sujet de la synodalité dont la pratique a paraît-il suscité « joie, stupeur et gratitude » et où le « Saint Esprit a pu faire entendre sa voix impossible à confondre » – sans que l’on sache par quels moyens on s’en est assuré.

Ceci est à relever (art. 2e, adopté par 333 voix contre 11) :

« La synodalité étant ordonnée à la mission, il est nécessaire que les communautés chrétiennes partagent la fraternité avec les hommes et les femmes d’autres religions, convictions et cultures, en évitant d’une part le risque d’auto-référentialité et d’autoconservation, et d’autre part le risque de perte d’identité. La logique du dialogue, de l’apprentissage mutuel et du cheminement ensemble doit caractériser l’annonce de l’Evangile et le service des pauvres, le soin de la maison commune et la recherche théologique, en devenant le style pastoral de l’Eglise. »

La « maison commune » fait ici son entrée dans le document – les préoccupations « écologiques » en font pleinement partie –, et la « fraternité » est entendue dans son sens maçonnique, horizontal, non fondée sur la fraternité en Dieu par le baptême. « Apprentissage mutuel » renvoie à l’idée que l’Eglise catholique doit « apprendre » des autres religions, elle dont le Chef est la Voie, la Vérité et la Vie.

L’article 2h annonce discrètement de possibles changements dans l’enseignement de l’Eglise (336 pour, 8 contre) :

« Il est important de clarifier comment la conversation dans l’Esprit peut intégrer les contributions de la pensée théologique et des sciences humaines et sociales, également à la lumière d’autres modèles de discernement ecclésial qui se réalisent en suivant le “voir, juger, agir” ou en articulant les étapes de “reconnaître, interpréter, choisir”. »

On retrouve ici des mots-clefs du pape François mais aussi cette fascination pour la sociologie qui caractérisait la pensée des jésuites à l’orée du concile Vatican II ainsi que le mode de réflexion des théologiens de la libération qui ont fortement agi pour intégrer l’observation des comportements humains sur le plan individuel, social et politique pour faire évoluer la doctrine.

 

Chapitre 3. Entrer dans une communauté de foi : l’initiation chrétienne

Variété de charismes, de ministères, « égalité de dignité de tous les baptisés » ; tout en affirmant le contraire, il est bien question de bouleverser l’ordre hiérarchique de l’Eglise et on retiendra avant tout ceci (art. 3c, 318 pour, 26 contre) :

« Grâce à l’onction de l’Esprit, qui “enseigne toutes choses” (1 Jn 2,27), tout croyant possède un instinct de la vérité évangélique, appelé sensus fidei. Il consiste en une certaine connaturalité avec les réalités divines et en l’aptitude à saisir intuitivement ce qui est conforme à la vérité de la foi. Les processus synodaux renforcent ce don et permettent l’existence du consensus des fidèles (consensus fidelium), qui constitue un critère sûr pour déterminer si une doctrine ou une pratique particulière appartient à la foi apostolique. »

Le sensus fidei suppose avant tout une connaissance de la doctrine de l’Eglise et l’adhésion à son magistère, ainsi qu’une participation à la vie d’Eglise, donc une vie de prière et une vie sacramentelle régulière et fervente. Aucune de ces conditions n’apparaît ici. Et hélas, notre époque se distingue justement par son absence de formation religieuse et sa catéchèse défaillante. S’il y a bien un moment où le sensus fidei est à considérer avec la plus grande prudence, c’est bien celui-ci ! Il est vrai qu’un peu plus loin (3h) on parle de la « maturation » du sensus fidei en vue de distinguer « l’action de l’Esprit » de « l’expression de la pensée dominante, fruit de conditionnements culturels ou en tout cas non cohérente vis-à-vis de l’Evangile ». Sans doute nommera-t-on une commission puisque la synthèse évoque une « réflexion théologique adéquate » à mener.

A l’heure de Traditionis custodes qui vise la mort de la messe tridentine dans l’Eglise latine, on lit avec un certain dépit l’article 3f (340 contre 4) :

« L’Eucharistie nous apprend à articuler unité et diversité : unité de l’Eglise et multiplicité des communautés chrétiennes ; unité du mystère sacramentel et variété des traditions liturgiques ; unité de la célébration et diversité des vocations, des charismes et des ministères. Rien ne montre mieux que l’Eucharistie que l’harmonie créée par l’Esprit n’est pas l’uniformité et que tout don ecclésial est destiné à l’édification commune. »

Tous sont les bienvenus, sauf les catholiques attachés à la liturgie de haute antiquité unifiée et codifiée par saint Pie V…

L’article 3j (4 voix contre) suggère que « toute la communauté ecclésiale doit être impliquée dans la formation au ministère ordonné ».

Parmi les propositions de ce chapitre, on notera celle-ci : « Si l’Eucharistie façonne la synodalité, le premier pas est d’honorer sa grâce avec un style de célébration qui correspond à la grandeur du don et avec une fraternité authentique. » Comment se manifeste la « fraternité » ici ? Sans doute par l’implication de l’assemblée, que le prêtre est supposé présider : il faut comprendre cela à travers les idées force de la messe de Paul VI.

La preuve ? L’article 3l (22 voix contre) :

« Un deuxième pas se réfère à la nécessité, soulignée par beaucoup, de rendre le langage liturgique plus accessible aux fidèles et plus incarné dans la diversité des cultures. Sans remettre en cause la continuité avec la tradition et la nécessité d’une formation liturgique, il est demandé de réfléchir à cette question et d’attribuer une plus grande responsabilité aux Conférences épiscopales, dans la ligne du motu proprio Magnum principium. »

Ce n’est pas un hasard si se développent aujourd’hui le rite amazonien et le rite maya !

 

La suite de cette analyse est à lire ici.

 

Jeanne Smits