
L’avènement de Léon XIV changerait-il la donne ? Discrètement, le Vatican vient de retirer, sans tambour ni trompette, les images des œuvres du P. Marko Rupnik qui subsistaient encore sur son site web officiel. « Les choses évoluent » comme l’a dit un responsable du Vatican au média en ligne Crux, sous couvert d’anonymat.
Et il était temps. Plus de 600 jours se sont écoulés depuis l’ouverture de l’enquête sur le célèbre « artiste » mosaïste, ancien jésuite, accusé d’abus sexuels, psychologiques et spirituels par une trentaine de victimes, femmes (pour la plupart des religieuses) et hommes. Mais il était « protégé par le pape François », a avoué la même source, comme par certains responsables du Vatican, cardinaux ou évêques, et d’anciens supérieurs au sein de la Compagnie de Jésus.
Le revirement est important et laisse espérer une reconnaissance et une résolution de ce scandale qui a provoqué une indignation mondiale, ses immenses mosaïques s’imposant dans quasiment tous les grands sanctuaires catholiques et des chapelles dans le monde entier. Le procès canonique de Marko Rupnik pourrait se voir pressé, et l’état d’esprit de la Curie corrigé ou amélioré, pour le plus grand bien des victimes et celui de l’Eglise.
De l’entêtement du Vatican à promouvoir un auteur présumé d’abus sexuels en série
Une de ses œuvres illustrait encore, samedi après-midi, la commémoration de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de l’Eglise, de ce Lundi de Pentecôte, mais elle a aujourd’hui disparu, comme toutes les autres qui émaillaient, nombreuses, les sites en ligne du Vatican.
S’il n’y a pas encore de déclaration officielle de la part de ce dernier, les avocates des victimes y voient un signe encourageant. Car jusque-là, les seules initiatives venaient d’en bas. Les Chevaliers de Colomb, aux Etats-Unis, ont été les premiers à dissimuler les œuvres de Marko Rupnik dès juillet 2024, sur les murs de leur Sanctuaire de St Jean-Paul II à Washington DC (ce que certains hauts dignitaires catholiques avaient qualifié de « puritanisme idéologique » !). En avril dernier, c’était au tour de l’évêque de Lourdes de justifier le recouvrement de ses mosaïques qui « ornaient » les portes d’entrée de la basilique Notre-Dame-du-Rosaire.
Un processus est peut-être en train de se mettre en marche. La journaliste Natalia Trouiller a noté sur X que le retrait de ces images était intervenu juste après la rencontre du pape Léon XIV avec le cardinal Sean O’Malley, ancien président de la Commission pontificale pour la protection des mineurs. Or ce même cardinal s’était justement opposé au responsable de la communication du Vatican, Paolo Ruffini, qui défendait fermement, il y un an, le bien-fondé de l’utilisation des œuvres de Rupnik, (nous en avions parlé sur RiTV), malgré toute la gêne et l’incompréhension que cela pouvait susciter.
De « l’iconographie hérétique » de Marko Rupnik
Comment ne pas être interloqué de la conduite romaine depuis la révélation de l’ampleur des allégations portées contre l’artiste, en 2022 ? D’autant que son « art », au dire de ses victimes, est largement lié à ses exactions : elles ont en effet expliqué qu’il avait l’habitude d’intégrer des abus sexuels violents, sadiques et blasphématoires à son processus artistique, que c’était ainsi qu’il « créait ». Certaines ont même qualifié l’œuvre de Rupnik d’« art du viol ». Ces œuvres seraient ainsi un rappel public, à la fois de ses fautes à lui et de leurs souffrances à elles, et une transgression radicale de l’art religieux.
En mars dernier, la Compagnie de Jésus, en la personne du Délégué du Général, le père Johan Verschueren, a demandé pardon aux victimes de Marko Rupnik (par lettre privée dont leur avocate a publié quelques extraits) en rappelant qu’elle lui avait offert la possibilité de s’accuser, de se repentir publiquement et que c’était parce que Rupnik s’y était obstinément refusé que le Père Général avait pris la décision de le renvoyer.
Mais le procès canonique n’a pas encore eu lieu et ce retard, alors que les premières conclusions du Vatican avaient décrit ses accusatrices comme « hautement crédibles », demeure une source d’indignation profonde. D’autant qu’en vertu de nouvelles normes, il ne serait sans doute jugé que pour des crimes d’abus spirituels, sans examen de ses abus physiques, sexuels et psychologiques présumés. Un moindre mal…
Rappelons qu’invoquant l’expiration du délai de prescription, le Vatican avait initialement refusé de le poursuivre. Le pape François n’a levé la prescription que contraint et forcé, en 2023, lorsque Rupnik, expulsé par la Compagnie de Jésus, avait été invité à servir comme prêtre dans le diocèse de Slovénie, sa patrie originelle – ce qui avait provoqué une levée de boucliers.
Rupnik : un marqueur de la Rome pervertie
Pourquoi est-ce si lent ? Parce que l’affaire est précisément embarrassante.
Il a été décidé, selon The Pillar, qu’elle serait jugée hors du Vatican, donc sans les canonistes qualifiés du Dicastère pour la doctrine de la foi (DDF). Et son préfet, le cardinal Victor Manuel Fernandez, a fait part de toutes les difficultés à constituer un tribunal de juges qualifiés extérieurs. « On ignore si cette condition est auto-imposée par le dicastère, afin de se distancier, ainsi que le Vatican, de l’affaire, ou s’il s’agit d’une nécessité judiciaire en raison des relations personnelles de Rupnik à Rome », écrit l’éditorialiste et avocat canoniste Ed Condon.
A quel degré le pape François a-t-il été impliqué dans l’affaire Rupnik, lui qui avait fait accrocher ses œuvres aux murs de ses appartements ? Ce que l’on sait, c’est la résistance persistante, à Rome, au travail et même à la seule existence de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, comme son ancien fondateur-président, le cardinal O’Malley, l’avait avoué à The Pillar, l’année dernière. Il avait ajouté que cette situation s’était encore compliquée lorsque François les avait placés sous l’égide du DDF.
S’il n’est pas à ce jour question dans cette affaire de mineurs, il s’agit du même état d’esprit vicié dont certains lobbies, au Vatican, se sont faits les défenseurs plus ou moins déclarés. C’est pourquoi il faudra plus qu’une suppression d’images. Pour la militante catholique Anne Barrett Doyle, de Bishop Accountability, « Rupnik doit être déchu du sacerdoce et le pape doit sanctionner publiquement ses complices au sein de la curie, du diocèse de Rome, des jésuites et de l’Eglise slovène », a-t-on pu lire dans le média Crux.
Le pape Léon XIV marquera-t-il de son empreinte ce combat qui rime avec réforme ? Il y avait un entêtement troublant du Vatican à maintenir en estime publique l’œuvre de Rupnik, une œuvre hautement disruptive puisque manifestement inspirée par sa perversion. Il doit y avoir, aujourd’hui, une détermination courageuse à le disqualifier, reconnaissant les blessures commises, protégeant la moralité de l’art religieux et restaurant la transparence des institutions.