Accord Poutine Erdogan sur un gazoduc et le nucléaire : l’entente asiatique Russie-Turquie

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Malgré leur brouille en Syrie, la Russie et la Turquie misent sur l’énergie pour faire pièce à l’Union européenne. Poutine et Erdogan projettent un gazoduc sous la mer Noire et une centrale nucléaire. Cet accord renoue l’entente asiatique entre les deux pays dans une diplomatie à plusieurs bandes.
 
 En 2014, lors de la révolution menée par les Etats-Unis en Ukraine, l’Union européenne décréta des sanctions contre la Russie et annula en particulier un projet de gazoduc à travers la Bulgarie. Poutine proposa alors très vite à Erdogan un gazoduc alternatif sous la mer noire, nommé Turkstream. La chose  resta cependant en l’état pour deux raisons, la Turquie était traditionnellement le pion principal de l’OTAN dans la région, et les deux hommes s’opposaient en Syrie, l’un soutenant Bachar El Assad, l’autre les rebelles. La destruction d’un bombardier russe par l’aviation turque en 2015 n’améliora pas les choses. La Russie décida quelques représailles économiques, dont l’interdiction de ses vols charters à destination de la Turquie, ce qui priva celle-ci de 83 % des touristes russes, selon les chiffres turcs.
 

Le gazoduc parti de Russie desservira l’Europe et la Turquie

 
Depuis les deux chefs d’Etat, froids calculateurs géopolitiques, ont renoué leurs relations, conscients du poids que représente leur entente face à l’Union européenne. Un processus accéléré par le peu de soutien reçu par Erdogan cet été de la part de ses alliés occidentaux lors du putsch raté dont il fut le bénéficiaire sinon l’organisateur : à l’entente asiatique se superpose la coalition des « autocrates » de l’Est face aux « démocrates » de l’Ouest.
 
Lors du vingt-troisième congrès mondial de l’énergie qui se tient à Istanbul, Erdogan et Poutine ont donc signé hier un important accord de principe sur l’énergie. Il prévoit donc un gazoduc, Turkstream, sous la mer Noire, dont le coût est estimé à dix milliards de dollars. Ce gazoduc comprendra deux branches, l’une vers la Turquie, l’autre vers l’Europe, plus précisément la Grèce. Le débit maximal de chacune d’entre elles s’élèvera à 15,75 milliards de mètres cubes par an, selon Alexei Miller, patron de la compagnie russe Gazprom. Ce nouveau gazoduc permettra de limiter l’usage de celui qui passe par l’Ukraine.
 

L’accord Erdogan Poutine porte aussi sur le nucléaire

 
Pour l’instant, ce projet n’en est qu’à ses débuts, et nul ne songe plus à le mettre en service en 2017 comme cela avait été envisagé en 2014, mais l’accord signé par Poutine et Erdogan prévoit que les branches sous-marines doivent être terminées en 2019. Elles seront construites aux frais exclusifs de la Russie, tandis que la partie terrestre du gazoduc en Turquie sera la propriété d’une entreprise turque, et que les deux pays s’associeront pour l’arrivée de la branche qui aboutira à la frontière grecque. Selon le ministre de l’énergie russe Alexandre Novak, Gazprom et son homologue turc Botas ont déjà négocié une ristourne sur le gaz que la Russie fournira à la Turquie.
 
L’accord prévoit aussi la reprise de la construction de la centrale nucléaire d’Akkuyu, dans le sud de la Turquie, par la Russie, pour un coût prévu de 18 milliards d’euros, Erdogan ambitionnant de libérer son pays de la tutelle exclusive des hydrocarbures pour que le nucléaire produise 10 % de son électricité. Le développement du commerce bilatéral est également prévu, avec notamment des produits agricoles turcs, l’ensemble devant s’élever à terme à « cent milliards de dollars par an ».
 

L’Europe multi-dépendante : USA, Russie, Turquie

 
Pour Andrew Neff, analyste à IHS energy, la Turquie envoie un message à l’Occident : elle est capable de « suivre sa propre voie ». On peut aller plus loin et dire plus précisément qu’elle disposera désormais d’un instrument de chantage vis-à-vis de l’Union européenne. Après la parenthèse des hydrocarbures de mer du Nord britanniques et norvégiens, l’Europe reprend sa dépendance traditionnelle aux carburants fossiles venus de Russie. Mais le suivisme de Bruxelles derrière Washington lors de la révolution ukrainienne a aggravé les choses de deux manières : elle a provoqué l’hostilité de la Russie, et l’entente asiatique de celle-ci avec la Turquie engendre une double dépendance. La Turquie pourra s’en servir notamment lors de négociations sur son entrée dans l’UE ou sur les migrants. La diplomatie de l’Union européenne a donc nui aux intérêts des Européens sans freiner les processus qui mènent à la gouvernance globale.
 
Ici se manifeste l’ambiguïté fondamentale de Poutine. C’est évidemment un dirigeant russe, soucieux de l’intérêt de la Russie, on le voit en Syrie, où il abandonne à Erdogan le droit de mater les Kurdes en échange de l’occasion pour lui de montrer sa suprématie. Mais c’est aussi quelqu’un qui profite de ce que l’on nomme la « nouvelle guerre froide » pour exercer avec les Etats-Unis un condominium, une mise en tutelle de l’Europe. Et cela, au bénéfice du processus qui mène à la gouvernance globale.
 

Le processus mondialiste compte aussi sur l’entente asiatique

 
Martk Thonrton, analyste américain à l’Institut Ludwig von Mises se réjouit de l’accord Poutine Erdogan. Pour lui c’est une « bonne nouvelle » pour tous les « pays qui lui sont directement liés ». Le projet de gazoduc Turkstream signifie « des milliards d’investissements, il signifie des milliers d’emplois, des emplois bien payés dans de nombreux pays – la Russie, la Turquie, et  beaucoup de pays européens aussi. Et cela donnera un meilleurs accès à l’énergie pour une part de la planète, des prix plus bas, et ce qui est important une diversification des sources d’approvisionnement en énergie. » Autrement dit, l’accord entre Erdogan et Poutine s’inscrit naturellement dans le progrès mondialiste, comme en témoigne cette rhétorique convenue. Avec un rééquilibrage continental au profit de l’entente asiatique et un nouveau pas de l’Europe vers son déclin.
 

Pauline Mille