L’évêque émérite de Hong-Kong, le cardinal Joseph Zen, redit encore et encore ses craintes : un éventuel rapprochement entre le Saint-Siège et Pékin, serait « trahir Jésus-Christ ». En cause, tout le problème de la nomination des évêques dont le gouvernement communiste s’arroge la juridiction, bien que parfois il se retrouve d’accord avec Rome…
Si le pape François plie, il s’agirait pour Mgr Zen d’une « reddition » pure et simple, « sans conditions ». Un désaveu terrible pour l’Église clandestine chinoise qui lutte depuis des décennies. Une catastrophe pour l’Eglise toute entière dans ce dialogue, cette « marche ensemble » avec les héritiers de Mao Tsé-Toung.
« L’Eglise peut-elle négocier avec Staline? Non. »
« Peut-être que le pape est un peu naïf, il n’ a pas tous les éléments pour connaître les communistes en Chine », a déclaré Mgr Zen à l’école salésienne de Hong Kong où il enseigne encore. « Le pape connaissait les communistes persécutés [en Amérique latine], mais il peut ne pas connaître les persécuteurs communistes qui ont tué des centaines de milliers » en Asie…
Comme d’ailleurs la plupart des artisans de l’accord selon lui.
Cette naïveté (la meilleure excuse qu’on peut donner au pape, sans trop pourtant y croire) pourrait nuire à l’église catholique en Chine pendant des décennies à venir… « Vous ne pouvez pas entrer dans les négociations avec la volonté de signer un accord à tout prix, sinon alors vous vous rendez, vous vous trahissez, vous trahissez Jésus-Christ », a déploré Mgr Zen. « L’Eglise pourrait-elle négocier avec Hitler? Peut-elle négocier avec Staline? Non. »
Bien sûr qu’avec un accord et la « fausse liberté » qu’il induirait, davantage d’églises s’ouvriraient, plus de prêtres pourraient prêcher… Mais ce serait seulement « une impression de la liberté, ce n’est pas la vraie liberté, le peuple verra tôt ou tard que les évêques sont des marionnettes du gouvernement et pas vraiment les bergers du troupeau. » Car « les évêques officiels ne prêchent pas vraiment l’évangile, ils prêchent l’obéissance à l’autorité communiste ».
Un accord à tout prix entre le Saint-Siège et la Chine ?
Et pourtant. Francesco Sisci, un journaliste italien basé à Pékin, a reparlé d’un accord en vue « très large ». Même si on ne connaît ni le jour ni l’heure…
Il est préparé depuis des mois, il va avoir lieu. On a dit le Vatican motivé par le trop petit nombre de catholiques en Chine. Les déclarations romaines ne donnent le même son de cloche. Souvenons-nous de l’interview donnée par le pape à Sisci au début de l’année 2016. Le pape François y avait pris l’image d’un « gâteau » pour dire qu’il ne voulait pas en Chine d’un « compromis » mais d’une collaboration constructive : « le gâteau, celui de l’humanité, de la culture, reste entier », doit rester entier, on ne le divise pas, « chacun a une influence sur le bien commun de tous »…
En clair, in fine, un syncrétisme ?!
Exit toute idée de prosélytisme : selon Sisci, « L’Eglise ne veut pas de croisades … et ne veut pas en créer une nouvelle avec la Chine ». François avait soutenu l’idée que l’accord représenterait une « percée majeure » pour la Chine, le Vatican et les gens de toutes les religions. Cette dernière inclusion peut étonner : en quoi l’Eglise catholique devrait contribuer à aider l’épanouissement des autres religions ? La conception est profondément mondialiste.
Mgr Ding ordonné sans lecture de la bulle papale
Alors que dans les faits, rien n’a changé. Dans son rapport annuel de 2016, la Commission des États-Unis pour la liberté religieuse internationale (USCIRF) a de nouveau cinglé le gouvernement chinois pour continuer de « commettre des violations particulièrement graves de la liberté religieuse » : elle parle d’« abus systématiques, flagrants et continus ».
« Le Parti communiste chinois est officiellement athée et a pris des mesures en 2015 pour s’assurer que les membres du Parti rejettent toute religion ou conviction », a déclaré le rapport.
Tout au long de l’année 2015, les autorités chinoises ont utilisé le prétexte de violations des lois pour cibler les maisons de culte, en particulier les églises, qualifiées de structures « illégales », a ajouté le rapport. « D’après certaines estimations, le nombre d’enlèvements de croix et de démolitions d’églises totalisait au moins 1.500 faits, et beaucoup de ceux qui s’opposaient à ces actes ont été arrêtés. » Les autorités chinoises ont également « continué à convoquer, interroger, et même arrêter le clergé et les paroissiens des églises de maison non enregistrées [clandestines] ».
D’aucuns ont parlé de la dernière ordination épiscopale le 10 novembre, celle de Mgr Ding, comme d’un test. Le prêtre avait reçu du pape sa nomination épiscopale il y a deux ans environ : elle a été acceptée par les autorités chinoises il y a seulement quelques semaines. Bon point : les évêques ordonnant le nouvel évêque étaient tous reconnus par Rome, alors que Pékin faisait souvent en sorte d’ajouter un « évêque » illégitime…
En revanche, une nouvelle fois, la bulle papale de nomination de Mgr Ding n’a été lue qu’en petit comité, devant les seuls prêtres du diocèse. Devant la foule des fidèles réunis dans la cathédrale du Sacré-Cœur de Changzhi, c’est la lettre de nomination émanant du Conseil des évêques de Chine, l’instance qui réunit les évêques « officiels » de l’Eglise de Chine, qui a été rendue publique… Ainsi Pékin n’entend pas changer ses méthodes – et il le fait savoir.
Détail d’autant plus important que Pékin désigne Mgr Ding comme étant « évêque coadjuteur » (de Mgr Jin Daoyuan) alors que la nomination pontificale le nomme « titulaire » de Changzhi, Mgr Jin ayant été ordonné évêque en 2000 sans l’accord de Rome…
Le cardinal Zen « Avec le peuple, les pauvres et les persécutés »
Qu’en sera-t-il des prochaines ordinations dans les semaines à venir ? Les « candidats » pressentis n’ont pas toujours reçu l’aval du pape. Si ceux-là sont néanmoins choisis et ordonnés, le Saint-Siège les désavouera-t-il aussi violemment qu’il a désavoué l’ordination épiscopale menée par un évêque clandestin le 7 novembre dernier ?
A voir… Comme il faudra regarder avec soin l’attitude de Rome lors de la « 9ème Assemblée nationale des représentants catholiques » qui doit avoir lieu vers la mi-décembre. Cette instance officielle qui réunit à la fois des évêques, des prêtres, des religieuses et des laïcs, présentée comme l’organe suprême de l’Eglise en Chine, était encore dénoncée comme « inacceptable » en 2010 par le Saint Siège. Que dira-t-il en 2016, année de « rapprochement » ?!
Pour Mgr Zen, la meilleure attitude serait au contraire « d’encourager nos persécutés en Chine à être courageux ». « Le clergé doit se ranger avec le peuple, les pauvres et les persécutés, et non avec le gouvernement. Le sang des martyrs est la semence des nouveaux chrétiens ; si ce sang est empoisonné, combien de temps ces nouveaux chrétiens dureront-ils ? »
On est loin des années 80, quand le Vatican interdisait aux catholiques romains de participer aux sacrements de l’Église patriotique, parce que l’association (l’Association patriotique catholique chinoise créée par Mao Zedong) « avait rompu toutes les relations avec le pape » et tombait « sous le contrôle direct du gouvernement ».
Aujourd’hui, on dialogue, en attendant demain.