Affaire Benalla-Macron: pourquoi les médias ne posent pas les vraies questions 

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Un homme de main passé du PS à Macron, Alexandre Benalla, provoque une affaire que les médias ont montée en mayonnaise : derrière l’arbre de ses brutalités et passe-droits, se cache une forêt de vraies questions qui se posent à tout le système, et pour commencer aux médias.
 
Les grands médias des grands oligarques de France ont fait Macron, ils sont en train de le défaire, ou de lui donner un avertissement, ou de jouer avec lui une comédie dont il est urgent de chercher la signification. Politiques et médias, prompt à se jeter sur l’os de l’affaire Benalla, crient au scandale d’Etat, à la crise de régime (Mélenchon a parlé de « Watergate »). Quant aux médias, ils ont relevé les fautes commises par Benalla, les avantages et les protections dont il jouissait, mais ils ont omis de poser des vraies questions, pourtant très simples, qui pourraient éclairer utilement l’affaire.
 

Les questions que ni Macron ni le PS ne se sont posées sur Benalla

 
Son parcours au PS, par exemple. Il a été gros bras et factotum socialiste. Il finit chauffeur chez Montebourg, ministre de quelque chose à l’époque, du redressement économique. Celui-ci le vire pour délit de fuite (il aurait pu se virer lui-même pour délit de fuite devant ses responsabilités et la réalité), très bien : mais l’homme est insubmersible et « rebondit », comme on dit. Comment cela est-il possible ? Le parti socialiste, celui de Hollande, Ségolène Royal et Martine Aubry, n’est-il pas le sanctuaire du bien et du scrupule ? Benalla savait-il des choses sur les uns ou les autres ? Ou bien est-ce la règle au PS d’employer des hommes de main douteux ? En tout cas, chez Macron, ça de l’a pas handicapé. L’Elysée, c’est comme la légion étrangère, on est une grande famille et l’on ne pose pas de question sur le passé. Quel est le vrai prénom de Benalla ? A-t-il des liens avec les services marocains ? Ce n’est pas à Emmanuel Macron qu’il faut le demander. Il « fait confiance aux procédures en place ». Il « n’interfère pas dans les enquêtes ».
 

La vraie question que n’osent pas poser les médias sur Benalla

 
C’est donc aux médias que je vais poser mes questions. Ils s’indignent, et les réseaux sociaux s’indignent avec eux (c’est une tendance nouvelle, un consensus croissant, signe de prise en main, entre médias et réseaux sociaux), de la situation faite à Benalla : salaire à dix mille par mois, logement de fonction quai Branly, passe-droits divers dont une carte d’entrée très spéciale à l’Assemblée nationale, grade de lieutenant-colonel de gendarmerie dans la réserve nationale à vingt-six-ans, etc. Comme son profil psychologique, son bref passage chez les Bleus (« il s’occupait des bagages », pour Christophe Castaner) ni son passé au PS ne semblent justifier cette ascension irrésistible, il faut croire qu’il rend de vrais services, en rapport avec ces avantages. Ce n’est pas une supputation, c’est une certitude logique. Toute la question est : quel type de services ? Est-il mandaté par quelqu’un d’extérieur aux institutions républicaines ? Accomplit-il des besognes inavouables ? Son étoile tient-elle à son silence sur certaines choses dont il aurait été témoin ? Ou encore est-il ce que l’on avait accusé Mathieu Gallet d’être, l’amant du président ? On n’a pas seulement le droit de poser la question, on en a le devoir.
 

Collomb, la femme de Colombo, la fiancée de Benalla

 
On comprendrait mieux si c’était le cas l’utilité d’avoir fait transpirer dans les médias l’information selon laquelle Benalla devait se marier le jour même de sa garde à vue : la diversion sur la vie privée hétérosexuelle de Benalla masquerait sa fonction homosexuelle. Ici, nous sommes dans la conjecture. Ce qui l’alimente, c’est que la fiancée de Benalla, comme la femme de Colombo, reste invisible. Ce sont aussi toutes les vraies questions sans réponse.
 
Pourquoi les brutalités sur deux manifestants qui ont lancé l’affaire, qui remontent à mai, ne sont-elles sorties que deux mois plus tard dans la presse ? Pourquoi Gérard Collomb, ministre de l’intérieur, qui les connaissait, les a-t-il couvertes ? Une réponse s’impose, qui n’a pas été donnée dans les médias : parce qu’il avait tout lieu de penser que l’affaire serait facile à étouffer.
 

Sous-préfet ? L’arbre qui cache la forêt des vraies raisons

 
Si cette réponse n’a pas été donnée, c’est qu’elle pose une question fichtrement embêtante : pourquoi, dans ce cas-là, l’affaire Benalla est-elle sortie ? Si elle était facile à étouffer, c’est qu’on connaissait les fautes commises par Benalla, et que les preuves de celles-ci étaient bien au chaud dans les mains de personnes de confiance. Pourquoi, et sous quelle influence, ces personnes de confiance, ont-elles donné les images de manifestants « molestés » aux grands médias, au Monde, pour ne pas le nommer ? Et pourquoi maintenant ? A cette question, une réponse a été donnée par Valeurs Actuelles : l’Elysée avait proposé le jeune Benalla pour le poste de sous-préfet, au tour extérieur. Les gens de la préfectorale auraient trouvé cela plus fort que du roquefort, et, pour se venger tout en se protégeant, auraient dénoncé Benalla aux médias.
 

L’affaire sortie par les grands oligarques de Macron : pourquoi ?

 
Le capitaine Haddock avait une formule pour commenter ce genre d’hypothèses : Racontez-ça à un cheval de bois et il vous flanquera une ruade. Mon expérience du journalisme d’investigation me dit que les informations d’importance sont toujours données à un niveau élevé, en général le plus haut. Un sapeur-pompier qui dénonce un passe-droit dans la hiérarchie des sapeurs-pompiers pour l’honneur des sapeurs-pompiers, je n’y crois pas. La seule exception, c’est l’affaire de cœur, ou de fesse : Cahuzac est tombé à cause de sa femme. Le reste du temps, c’est le ministre de l’intérieur qui donne le dossier clefs en main, avec une faveur rose, à l’organe de délation choisi (ici, Le Monde). Je n’irai pas jusqu’à suggérer que Collomb a donné lui-même l’info, mais c’est quelqu’un de son niveau, dans le système d’oligarchie, peut-être Minc, Atali, Niel, Pigasse ou quelqu’un des leurs.
 

Affaire Benalla : l’arbre qui cache la forêt de la guerre civile en marche

 
Les dernières questions arrivent. Pourquoi cette affaire Benalla, et pourquoi maintenant ? Pour coincer la réforme constitutionnelle ? Pour faire descendre le jeune gorille trop dominant Macron de son arbre ? Ce serait un coup de Hollande, retour vers le passé ? Vous y croyez ? Alors quoi ? Les médias qui ont fait Macron s’apprêteraient à le défaire en constatant son échec ? Quel échec ? Ce serait beaucoup trop tôt. Il y a une question qu’aucun journaliste n’a posée : pourquoi Benalla casse-t-il du manifestant à ses heures de loisir ? Pour enrichir son expérience personnelle ? Sinon, ça ne paraît pas très utile. C’est même incongru, cocasse. Pendant sa garde à vue, ça a frappé un flic. Réponse de Benalla, il a aidé les policiers qu’il devait observer car ceux-ci se trouvaient « en grande difficulté ». Prenons-le au sérieux. Ça prouve déjà son côté chevaleresque. Et puis cela veut dire que pour une simple manif de premier mai les forces sont complètement dépassées. On le croit. Des images venues de Suède montrent quatre policiers en difficulté devant un migrant en colère. Le rapport des forces (hors armée) entre hordes invasives et police est en train de s’inverser. C’est cela qu’ont montré les deux dernières soirées de « liesse nationale », les 14 et 15 juillet. Cette rupture « gravissime » que l’affaire Benalla, montée en neige, a pour première fonction de faire oublier au télézappeur. 
 

Pauline Mille