Royaume-Uni : les agriculteurs ne trouvent plus que des étrangers pour la cueillette

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Le Royaume-Uni serait-il devenu une nation de fainéants ? 98 % des 45.000 travailleurs saisonniers embauchés chaque année pour la cueillette des fruits et légumes sont aujourd’hui étrangers et viennent – Brexit oblige – de pays de plus en plus lointains. Ils font des travaux que les locaux n’envisagent même plus. A se demander où passent les promoteurs de l’« écologie », les fanatiques des « circuits courts », les environnementalistes végans qui ne jurent que par que par le maraîchage local. Mais qu’ils soient citadins ou ruraux, les Britanniques sont aux abonnés absents dès lors qu’il s’agit de ramasser des choux, des carottes ou des pommes.

Cette histoire est britannique mais elle pourrait se transposer à l’ensemble de l’Europe occidentale confronté à la même pénurie de main-d’œuvre dès lors qu’il s’agit en effet d’utiliser ses mains et de laisser quelque sueur couler de son front. En Allemagne, où il faut 300.000 saisonniers chaque année pour faire tourner l’agriculture la majorité vient de l’Europe orientale, ou de plus loin. La France en compte près d’un demi-million et se tourne vers le Maghreb et ailleurs – le secteur ne connaît guère de chômage mais les tâches disponibles n’attirent pas les chercheurs locaux.

 

Au Royaume-Uni la cueillette est assurée à 98 % par des étrangers

Le Telegraph a consacré un long reportage à cette situation ubuesque et hautement symbolique de la maladie qui ronge la société : la déconnexion des hommes de cette nature qu’ils prétendent défendre comme jamais, les dégâts collatéraux de l’Etat nounou, l’absence de conscience du travail commun et des efforts qu’il faut pour faire tourner un pays et nourrir ses habitants, travail noble s’il en est.

L’histoire de David Simmons que raconte le quotidien anglais est exemplaire à cet égard. Son exploitation agricole, Riviera, a vu le jour il y a cinq générations en 1870 en Cornouailles : elle comptait alors une vache en tout et pour tout. Aujourd’hui, elle représente plus de 3.000 hectares et 600 employés et produit choux-fleurs et autres crucifères destinés au marché national. Il y a vingt ans, on recrutait encore des travailleurs des environs pour la période cruciale de la cueillette. Aujourd’hui, « il est devenu impossible d’embaucher des gens d’ici », explique Simmons.

Avant le Brexit et avant le covid, les travailleurs saisonniers venaient de Pologne, de Bulgarie, de Lituanie… Il est devenu aujourd’hui plus simple de faire venir des cueilleurs du Tadjikistan ou d’Ouzbékistan, à tel point que Riviera compte aujourd’hui davantage d’employés venus de plus de 9.500 km que de collaborateurs résidant à moins de 10 km de l’exploitation. Mais même ceux qui vocifèrent le plus fort contre l’empreinte carbone des voyageurs en avion ne sont pas prêts à mettre la main à la pâte pour travailler localement.

Le Kirghizistan, l’Ukraine, la Barbade, le Kenya et même le Népal sont aujourd’hui représentés dans le secteur de la cueillette, profitant de règles d’entrée et de séjour spécifiques.

 

Les agriculteurs n’arrivent pas à recruter à des postes que les locaux méprisent

Pourquoi ? La pénibilité du travail fait partie du problème. Les saisonniers doivent être prêt à se lever tôt, dès 5h du matin ; à braver les mauvaises conditions météo – le soleil, la pluie, la chaleur ou le froid selon les saisons. Les journées sont longues : on ne trouve guerre de fruits ou de légumes qui aient entendu parler de la semaine de 35 heures. Et le travail a le côté imprévisible qu’imposent les caprices de la nature.

Tout cela, les saisonniers venus d’ailleurs sont prêts à l’accepter. S’ils sont travailleurs et courageux – et la plupart se plaignent davantage du manque de travail que du contraire – ils peuvent s’offrir un véritable avenir en consentant à ces efforts concentrés. La BBC a interviewé récemment l’un d’entre eux : Ali, 23 ans, tadjik. En travaillant dans les champs de Cornouaille, il a gagné assez pour s’acheter une maison au pays, et il est en train d’en acquérir une deuxième. En somme, il gagne de quoi s’établir dans la vie, et il retournera chez lui tant de meilleures conditions comme beaucoup de ses compagnons le plus souvent venus depuis quelque ancien pays du bloc soviétique. Les uns achètent de l’immobilier, d’autres construisent.

« Ils se consacrent entièrement à gagner de l’argent et leur état d’esprit est totalement différent de celui de beaucoup de jeunes au Royaume-Uni aujourd’hui. Ils veulent sortir, gagner le plus d’argent possible, le plus vite possible, essayer d’avoir leur maison et obtenir tout ce qu’ils veulent dans la vie. Et on ne peut que les admirer pour cela », commente Simmons.

Certains restent, achètent une maison sur place, s’intègrent, envoient leurs enfants à l’école sur place. Selon l’agriculteur, on les regardait de travers au début. Aujourd’hui, on admire plutôt leur capacité de travail. Mais on ne les admire pas.

 

Les agriculteurs perdraient leurs récoltes sans étrangers pour faire le travail

Au moment du covid, l’agriculteur s’était trouvé face au risque de perdre toute sa production de printemps, faute de pouvoir faire venir des saisonniers d’Europe de l’Est, puisque le Royaume-Uni ne pouvait plus profiter de la liberté de circulation des Européens du fait du Brexit. Simmons publia des annonces à la télévision et sur les réseaux sociaux. Ces offres de travail rencontrèrent un succès d’estime : 250 personnes montrèrent un intérêt, et parmi elles, 37 seulement se retrouvèrent physiquement dans les champs. Au bout de sept semaines, il n’en restait qu’un.

Curieusement, il semble qu’il soit devenu plus facile de faire venir des Tadjiks ou des Ouzbeks que des Polonais ou des Bulgares ; en tout cas aujourd’hui, 75 % des cueilleurs de la ferme Riviera viennent aujourd’hui de ces pays. Le Tadjikistan, avec ses 10 millions d’habitants, l’Ouzbékistan qui en compte près de 35 millions, offre plus de ressources humaines que le Royaume-Uni ou le taux de chômage officiel est de 4,3 %.

Les Britanniques sont-ils tout simplement trop paresseux pour s’occuper des champs ? « Beaucoup de gens ne veulent plus faire de travail manuel, malheureusement », assure Simmons, regrettant l’époque pas si lointaine où « les gens appréciaient ce qu’était la campagne ». « Aujourd’hui, les gens se sont détachés de la campagne. Ils ne comprennent pas vraiment comment cela fonctionne », y compris l’alimentation saisonnière, dont la disparition, selon David Simmons, est « vraiment une honte ».

La surabondance de postes dans le secteur de l’hôtellerie et la restauration, où on travaille en intérieur, « l’Etat-providence qui soutient les personnes qui ne veulent pas travailler », et le boom du télétravail entraîné par le covid, font que l’agriculture ne peut tout simplement pas rivaliser, selon M. Simmons. « Autrefois, les gens vivaient pour travailler. Aujourd’hui, ils vivent, et travaillent accessoirement. »

 

La nature, cette inconnue

A l’échelle du pays, les travailleurs saisonniers restent très minoritaires. Ils ne parviennent d’ailleurs pas à répondre à tous les besoins puisque 14 % de postes restent à pourvoir dans un contexte qui n’est pas toujours idyllique : on ne manque pas de récits de travailleurs étrangers maltraités ou esclavagisés. Mais de nombreux exploitants font tout pour rendre le travail attractif. Une enquête menée l’an dernier par la National Farmers Union a permis d’établir qu’en 2022, 60 millions de livres sterling de produits avaient été perdus en raison de la pénurie de main-d’œuvre, ce qui équivaut à des milliers de tonnes d’aliments parfaitement consommables jetés à la poubelle.

Simmons n’a guère d’espoir de voir la population locale s’intéresser aux emplois disponibles, alors même que la capacité pour un pays de subvenir à ses propres besoins alimentaires est tellement importante. Et il a beau prêcher la bonne parole dans les écoles et les lycées locaux, rien n’y fait. Le gouvernement ne s’emploie pas davantage à améliorer la situation, malgré les promesses faites au moment du Brexit, regrette-t-il.

Il est décidément temps de faire moins d’écologie de salon. Cette écologie qui n’aime pas la nature… Et surtout, de retrouver le sens du travail, de la responsabilité individuelle et du bien commun. C’est, au fond, le sens de la liberté.

 

Jeanne Smits