Le bioéthicien antinataliste Matti Häyry défend l’extinction de l’espèce humaine, en toute « humanité »

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Il donne des cours de philosophie morale, politique et de bioéthique philosophique à l’université d’Aalto à Helsinki. Mais Matti Häyry est aussi un fervent défenseur d’une vision résolument antinataliste. Et la très honorable revue Cambridge Quarterly of Healthcare Ethics lui a ouvert ses colonnes, début janvier, pour un long article qu’il faut approcher l’esprit déjà clair – il en sortira moins dérangé. Il y analyse plusieurs approches philosophiques de l’extinction humaine, souhaitable en tant que telle, la sienne étant, bien évidemment, la meilleure.

Inaudible, il y a encore quelques décennies, la cohorte des antinatalistes est l’héritière des malthusiens, puis des néo-malthusiens qui font de la limitation des naissances un droit et un même devoir humains (The Population Bomb de Paul Ehrlich, en 1968). Mais avec eux l’objectif change de nature et, de pragmatique, devient fondamental : c’est la souffrance même qu’il faut éliminer – or la vie est souffrance. C’est la négation pure et simple de la condition humaine imposée par Dieu après le péché originel, à savoir la souffrance vécue par l’homme, de sa naissance à sa mort, dans le but de s’associer à celle du Christ Rédempteur qui souffre pour nous sauver.

 

Pour un antinataliste, la vie humaine n’a pas de sens évident

S’il existait un Gros Bouton Rouge qui éteindrait immédiatement toute l’humanité, Matti Häyry écrit qu’il appuierait probablement dessus. Mais en rajoutant que cette expérience de pensée ne peut et ne doit pas être étendue à la vie réelle : parce que Matti Häyry se veut gentil, plein d’humanité. « Just be kind », disait-il sur le réseau X le 3 janvier. C’est le précepte d’action et de comportement qui ressort de ses deux impératifs moraux personnels : le sentiment de ne faire qu’un avec ses semblables et donc de ne pas aggraver leur sort (ce qu’il désigne du néologisme « copathie ») et le devoir de ne pas leur imposer ses propres façons de penser et d’être (ce qu’il nomme « dissension »).

Cependant, le gentil Matti Häyry est un vrai méchant antinataliste conceptuel. Alors que beaucoup d’antinatalistes ne sont pas toujours très clairs quant à leur engagement direct en faveur de l’extinction humaine, lui pense réellement qu’elle est un devoir philosophique moral, valable en tant que tel, bien que malheureusement inapplicable de manière directe. Il l’avait déjà asséné dans une tribune parue dans la revue Bioethics en novembre dernier.

« L’antinatalisme est une philosophie émergente et je suis un philosophe antinataliste – ou du moins je pense l’être. Etre antinataliste signifie pour moi que je n’ai pas d’enfants, que je n’ai pas l’intention d’en avoir, et je serais heureux si tout le monde agissait comme moi à cet égard…

« Je serais heureux de ne voir personne avoir d’enfants, car ce serait une chose rationnelle à faire. La reproduction comporte des risques pour les futurs individus possibles. Toutes les vies sont parfois misérables, certaines vies sont particulièrement misérables et les individus peuvent penser, à juste titre, que leur vie n’a aucun sens. Ma raison suggère qu’il serait imprudent et méchant de faire naître de nouvelles personnes et de les exposer ainsi à ces risques. Arthur Schopenhauer était d’accord avec moi. »

 

De la réduction de la natalité à l’extinction des espèces : la gamme

Matti Häyry n’est pas tellement d’accord avec la définition française donnée par le Larousse de l’antinatalisme : « qui vise à réduire la natalité ». Une acception qui « rend l’antinatalisme compatible avec l’autonomie reproductive en tant que politique de l’économie moderne » d’aujourd’hui.

Au nom de la liberté, le monde occidental, mais pas seulement, a autorisé les populations à faire leurs propres choix en la matière, via l’avortement et la pilule. Et un bon bout de ce chemin malthusien a été fait puisque, selon les chiffres de l’OMS en 2021, environ 73 millions d’avortements provoqués ont lieu chaque année dans le monde (3 grossesses sur 10, soit 29 %). Et le but est bien d’éviter le malheur (grossesse contraire aux désirs de la femme), ou la souffrance (naissance d’un bébé malade). Mais la notion de liberté demeure : la société moderne promeut d’ailleurs aussi les traitements de fertilité et la procréation assistée.

Les vrais antinatalistes, selon Matti Häyry, sont ceux qui, attribuant à la reproduction une valeur négative, disent qu’il ne devrait pas y avoir de naissances : la procréation est moralement mauvaise… Mais, en leur sein, il cohabite encore les extinctionnistes et les non-extinctionnistes.

Chez les premiers la tendance sentiocentrique soutient que la prévention, l’élimination et l’atténuation de la souffrance sont considérées comme les seules valeurs intrinsèques : toute vie sensible doit donc prendre fin. La tendance anthropocentrique accorde une valeur supplémentaire à l’homo sapiens et, par là, juge contraire à la dignité humaine d’amener de nouvelles personnes « à une existence de dépendance et de manipulation ». La tendance biocentrique juge à l’inverse que l’humanité doit disparaître parce que les humains constituent une menace pour les autres formes de vie qui lui sont égales en valeur (l’écologisme y rejoint la culture de mort).

Les non-extinctionnistes valident le fait de mettre fin aux naissances, mais imaginent, eux, de faire continuer l’humanité, soit par une extrême longévité, voire l’immortalité biologique, soit par la virtualité – et nous sommes là en plein transhumanisme. A terme, cela pose des problèmes de discrimination et de contradiction.

 

« Je suis un extinctionniste volontaire de l’humanité » (Matti Häyry)

Les extinctionnistes sont assurément les plus logiques, selon le bioéthicien finlandais… « Je suis un anti-pronataliste, ou un antinataliste strict et je soutiens l’arrêt de la reproduction humaine et de la production animale, y compris, mais sans s’y limiter, l’élevage industriel », écrit-il. Mais comment faire accepter la disparition de l’espèce humaine, absolu nécessaire corollaire ? Nombre d’antinatalistes s’empêtrent dans cette idée fort peu populaire…

Il y a quelque chose d’à la fois terrifiant et ridicule chez Matti Häyry. Chez lui la seule raison de ne pas anéantir de manière coercitive la race humaine et d’autres créatures sensibles est que cela produirait de l’angoisse, bien que cette dernière serait négligeable par rapport à celle qu’induirait la survie de l’espèce… Et Matti Häyry veut être « gentil ». De même que si tout fait pencher la balance en faveur de l’abstinence, on ne peut, selon lui, retirer aux « éleveurs » (c’est ainsi qu’il nomme les parents !) leur joie, quand bien même elle n’est pas proportionnée aux souffrances qu’ils vont endurer et on ne peut leur imposer de s’abstenir quand bien même il serait préférable en soi.

En réalité, en idéal, l’extinction doit être volontaire, autrement dit, le monde doit arriver à vouloir sa propre fin : ce suicide collectif est sans doute encore pire qu’un génocide froid. Et s’il est à l’extrême opposé des rêves transhumanistes qui voient continuer indéfiniment l’humanité (mais une « humanité » altérée), il les rejoint parfaitement dans sa négation méthodique des plans de Dieu : « L’Eternel fait mourir et il fait vivre » (1 Samuel 2:6 :).

Matti Häyry qui va faire paraître, en avril prochain, Antinatalism, Extinction, and the End of Procreative Self-Corruption, composé avec Amanda Sukenick, autre militante du mouvement antinataliste, est aussi musicien et a participé en 2013, à un album de hard rock. Il s’intitulait Playing God.

 

Clémentine Jallais