Trente-quatre ans après l’attentat de la rue Copernic à Paris, alors que son auteur présumé Hassan Diab a été extradé vers la France pour y être jugé, l’assaut qui a fait au moins quatre morts et de nombreux blessés graves dans une synagogue fondamentaliste de Jérusalem est un symbole fort. Il donne le signal d’une troisième intifada. Avec un Israël en position de faiblesse diplomatique, boudé par ses soutiens traditionnels.
Jérusalem est secoué par l’horreur et la peur. Au-delà d’un bilan très lourd, l’attaque de la synagogue a frappé les imaginations par la méthode employée « à la hache, au couteau et au pistolet ». Et par la cible, une communauté « ultra-orthodoxe », dans un quartier très homogène et fermé. Le message est clair : personne n’est à l’abri, nulle part, du nouveau terrorisme en train de se répandre. Le peuple d’Israël avait fini par s’habituer aux roquettes tirées depuis Gaza, le Liban ou la Syrie, aux voitures piégées, à l’attentat suicide : les nouvelles armes d’aujourd’hui sont à la portée de tout le monde. Ce sont les « voitures bélier », que la population locale nomme les « voitures de la mort », qui ont frappé à plusieurs reprises dans les rues de Jérusalem en octobre et en novembre, ou plus simplement le couteau, l’arme des sicaires – et des pauvres. Le choc de l’arme blanche répond au feu utilisé en juillet dernier par des extrémistes juifs qui avaient brûlé vif un adolescent palestinien, en « représailles » du meurtre de trois Israéliens. La liste est sans fin.
Les fondamentalistes de la synagogue au cœur du problème de Jérusalem
Le choix d’une synagogue « ultra-orthodoxe » pour cible n’est pas moins parlant. Les fondamentalistes juifs revendiquent en effet d’aller prier sur l’Esplanade des Mosquées, qui est pour eux le Mont du Temple : or, selon le statu quo imposé en 1967 après que Moshe Dayan eut conquis Jérusalem, l’endroit leur est interdit. Ce différend religieux s’est d’ailleurs envenimé depuis que la police israélienne, au cours de la répression d’une émeute palestinienne sur le site, a pénétré dans la Mosquée Al Aqsa : même brève, cette intrusion a été vue par les musulmans comme une provocation. Les « durs » des deux côtés se guindent dans une posture de plus en plus agressive, et se trouvent suivis par les autorités. Ainsi le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a-t-il non seulement promis de réagir « avec une poigne de fer à ce meurtre de juifs », mais il a aussi affirmé qu’il était « le résultat direct des incitations à la violence menées par le Hamas et Mahmoud Abbas ».
Mais lui-même, tout en déclarant ne pas vouloir « briser le statu quo », et tout en donnant la consigne aux policiers israéliens de contenir les « ultra-orthodoxes », s’est récemment aligné sur leurs positions en préparant une « Loi sur la Nation » : elle définira désormais Israël comme « l’Etat national du peuple juif ». Cette loi, destinée à sauver une coalition gouvernementale qui prend l’eau, est considérée par beaucoup, à juste titre, comme l’expression d’une préférence juive sur les citoyens arabes du pays. Dans l’esprit des religieux de la coalition, elle préfigure leur départ et la constitution d’un Etat ethnique. Qu’on appelle cela Apartheid, regroupement national, partition, c’est toujours la même idée qu’un développement séparé des peuples antagonistes vaut mieux qu’une guerre perpétuelle. Une telle position ne saurait se défendre, même d’un point de vue purement intellectuel et spéculatif, que par des concessions importantes : notamment la constitution d’un Etat arabe en Palestine et la partition ou l’internationalisation de Jérusalem. Or c’est précisément ce dont ne veut pas la coalition de Netanyahu. Et, contrairement à Ariel Sharon, faucon charismatique entre les faucons, le premier ministre n’a pas la stature nécessaire à faire avaler à ses soutiens les couleuvres qui naissent forcément de toute négociation de compromis.
Un attentat qui révèle l’isolement diplomatique d’Israël
Alors que l’agitation mondiale menée autour du califat d’Irak et de Syrie montre la croissance rapide et hyper violente d’un nouvel islamisme, il semble qu’Israël ne maîtrise plus rien. Politiquement, la coalition au pouvoir est usée, fragile et contradictoire. Diplomatiquement, Tel Aviv ne peut plus compter automatiquement sur le soutien actif des grands pays occidentaux, Etats-Unis compris, ni sur le silence révérenciel des autres. Les signes en abondent dans l’actualité récente. Voilà quinze jours, la Chine a exhorté officiellement le Conseil de sécurité de l’ONU à prendre en main le conflit israélo-palestinien (jusqu’alors chasse réservée des Etats-Unis), pour répondre à la demande légitime de la Palestine et de plusieurs pays arabes. Un peu plus tôt, c’était l’Union européenne qui menaçait Israël de sanctions à cause des colonies qu’il ne cesse d’étendre au-delà des frontières de 1967. Elle a même prévu des sanctions économiques automatiques chaque fois qu’Israël prendrait une décision jugée nuisible au processus de paix.
Mais le plus inquiétant pour Tel Aviv est l’attitude nouvelle des Etats-Unis. Fin octobre, lors de sa visite à Washington, le ministre israélien de la Défense Moshe Ya’alon a demandé à rencontrer le vice-président Joe Biden et le secrétaire d’Etat John Kerry. Cela a été refusé. Et ce fut l’humiliation. Au-delà de la personnalité de Moshe Ya’alon, le ministre des finances israélien, Yair Lapid en a conclu : « Nous sommes en crise avec les Etats-Unis ». Ce que confirme d’ailleurs John Kerry, qui presse Netanyahu de revenir à la table des négociations et impute à Tel Aviv la croissance du terrorisme : « L’absence de négociations entre les deux parties est la cause du recrutement des djihadistes et de la colère de la rue musulmane ».
Tsahal ne maîtrise plus la troisième Intifada
La fragilisation diplomatique d’Israël remonte au moins à la dernière opération contre Gaza. On se souvient que le 22 juillet dernier, pendant les combats, les 28 ministres des affaires étrangères de l’UE avaient lancé un ultimatum écrit : « L’UE souligne que le développement futur des relations entre l’UE et ses partenaires israéliens et palestiniens dépendra de leur engagement pour une paix durable fondée sur une solution à deux Etats. » Et le bombardement d’une école dépendant de l’ONU avait valu à Tsahal une sévère admonestation du secrétaire général de l’organisation, Ban Ki Moon, pourtant lénifiant à son ordinaire. Cette fois, l’UE a certes déploré un acte « déplorable à tous points de vue », mais n’en a tiré d’autre conclusion que d’appeler les dirigeants de la région à « travailler ensemble » en vue d’ « apaiser la situation. » C’est tout. Netanyahu sait désormais clairement qu’il ne doit rien attendre de la communauté internationale s’il écoute ses faucons, et il sait aussi qu’il ne doit attendre nulle survie politique s’il n’écoute pas ses faucons.
Par-dessus le marché, une fragilité plus inquiétante encore est apparue durant l’opération de Gaza, qui se confirme depuis un mois : Israël n’a plus la maîtrise absolue de sa sécurité. L’armée, malgré des moyens importants et des méthodes radicales, n’a pu venir totalement à bout de la détermination des Gazaouis ni détruire entièrement les « tunnels » qui menacent Israël. Et aujourd’hui, à Jérusalem, les forces de l’ordre peinent à assurer la sécurité de la population. Israël, qui se maintient en vie et règne depuis soixante ans par la force de ses armes est aujourd’hui tenu en échec. Il faut craindre qu’il ne veuille vaincre cette impuissance et restaurer son image. Et qu’à la troisième intifada qui commence s’oppose une répression encore plus terrible que les autres. La paix est moins que jamais aux portes de Jérusalem.