C’est le nouveau mot des plateaux d’information, de télé ou de radio : baignabilité. Et la grande question, auprès de laquelle la querelle entre grosboutiens et petitboutiens de Gulliver n’était rien : la Seine sera-t-elle « baignable », autrement dit, pourra-t-on s’y baigner aux Jeux Olympiques ? Cette question, qui pourrait paraître parfaitement futile, chacun d’entre nous se trouve sommé d’y donner sa réponse, et la puissance publique dépense des milliards à son propos : la distance entre son peu d’importance réelle et celle que lui donnent les médias mesure l’exercice d’ingénierie révolutionnaire auquel on se livre. La fête mondiale du sport doit être ainsi l’occasion pour les populations de la planète entière de se persuader en direct de l’importance capitale de l’écologisme.
Louis XIV, Chirac, Hidalgo et la baignabilité
Louis XIV à Versailles, sur son grand canal, était moins jaloux de ses combats de gondoles qu’Anne Hidalgo ne l’est de la baignabilité de la Seine. Elle y tient comme à la prunelle de ses yeux. Ce sera sa revanche sur le fiasco de son voyage à Tahiti au pays des installations de surf l’hiver passé, et ce sera aussi la preuve de sa supériorité de maire de Paris sur Jacques Chirac. En 1990 à la Marche du siècle de Jean-Marie Cavada, le mari de Bernadette, toujours Tartarin, lançait : « J’ai indiqué que dans trois ans, j’irai me baigner dans la Seine devant témoins pour prouver que la Seine est devenue un fleuve propre. » Cette promesse, qu’il avait faite lors de sa campagne présidentielle de 1988, il ne l’a jamais tenue – les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. La baignade, interdite depuis 1923, est restée interdite, et cela fait 70 ans que les gamins les plus rétifs et les moins dégoûtés n’enfreignent plus l’interdiction.
La Seine, Maxima Cloaca et autoroute dangereuse
On les comprend. Non seulement la Seine reste le déversoir d’innombrables saletés d’origine agricoles et industrielles, outre la pollution domestique insuffisamment filtrée, mais c’est une autoroute de péniches qui font d’une éventuelle baignade un dangereux rodéo. Bien sûr le CIO et Anne Hidalgo prévoient de neutraliser cette voie de passage durant l’ouverture des JO qui doit y prendre place, et durant les épreuves, si elles sont maintenues, mais même rendre l’eau propre n’est pas techniquement si simple que cela, et coûte en tout état de cause les yeux de la tête, Jacques Chirac s’en était rendu compte et avait renoncé.
Mao Tse Toung professeur d’ingénierie révolutionnaire
Aujourd’hui, de tels détails ne retiennent plus nos dirigeants. Nous vivons à l’heure du Quoi qu’il en coûte, pour la baignabilité comme pour le COVID. L’important n’est pas le rapport entre des dépenses pharaoniques et un objectif complètement futile (Qui va profiter de la baignabilité de la Seine et à quoi servira-t-elle ? Comment et à quel prix pourra-t-on la maintenir ?), mais la portée symbolique de l’événement, autrement dit l’ingénierie révolutionnaire : le monde entier aura les yeux fixés sur les nageurs plongés dans la Seine comme jadis la Chine rivait son regard sur les rives du Yang-Tse-Kiang où le grand timonier Mao s’immergeait. Chacun comprendra qu’il est beau et bien et juste d’assurer la baignabilité de la Seine car cela entre dans le devoir qui nous donné est de sauver la Planète. Et si, à cause d’un peu de bon sens ou faute d’un peu d’argent, cela ne se fait pas, on en aura quand même débattu sans modération. Et c’est ainsi que la révolution mondialiste est grande.