Se baigner coûte que coûte : la Seine est un fleuve pour les poissons – pas pour les humains

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Plus d’un siècle que la baignade du public était interdite dans la Seine, et elle serait à nouveau autorisée aujourd’hui ? Trois sites ont ouvert en grande pompe samedi dernier, pour permettre aux Parisiens de se plonger avec délices dans les eaux (troubles) de leur fleuve chéri. Mais à quel prix ? On sait le milliard qui a été dépensé pour que les athlètes olympiques puissent s’y baigner l’année dernière et les habitants continuer à le faire. On sait aussi le caractère parfaitement aléatoire de ces possibilités, en raison de la fluctuation de la pollution des eaux. On sait surtout qu’un fleuve ne sera jamais une piscine et présente des risques permanents.

Un écologisme à outrance ? Ce qu’on a appelé la « baignabilité » de la Seine a surtout constitué un élément capital dans le dossier de candidature de la France. Et même s’il est évidemment bon, en soi, de dépolluer les eaux pour y faire revenir plantes et poissons, on n’est pas forcément obligé d’y vouloir mettre des humains…

Ridicule démagogie, à l’heure où les ménages paient le prix fort de leur énergie tout l’hiver. Hidalgo ne veut pas dépenser pour la climatisation, mais dépense des fortunes pour un bain.

 

Se baigner à tout prix

La confrontation avec la réalité a été rapide : le lendemain de l’ouverture en fanfare de ces lieux inédits de baignade (Bercy, Grenelle et le bras Marie) la trempette a été interdite, car les mesures bactériologiques de la Seine laissaient craindre des infections pour les ceux qui s’y risquaient.

C’est simple. Comme l’a expliqué à l’AFP Pierre Rabadan, adjoint aux sports à la mairie de Paris : « S’il pleut plus de 10 millimètres en moins de 12 heures (…) on n’ouvre pas la baignade en attendant les résultats de la qualité de l’eau. » En effet, s’il est tombé trop de pluie, les bassins de rétention des eaux usées débordent et il devient nécessaire d’effectuer des rejets dans le fleuve.

Ce qui fait monter inéluctablement les taux de contamination au-dessus des normes sanitaires. Ainsi, chaque jour, l’eau est analysée par des sondes en instantané et des prélèvements en culture sont effectués tous les trois jours par l’Agence Nationale de Santé (ARS) : elle cible principalement la présence de deux bactéries, Escherichia coli (E. coli) et les entérocoques intestinaux.

Et il pleut à Paris ! Même en été… Ce qui rend d’autant plus incertaine la possibilité de se baigner. L’année dernière, Mediapart qui avait obtenu les relevés détaillés jour par jour de la qualité de l’eau sur le site olympique, en avait conclu que le public n’aurait pu s’y baigner que 10 % du temps seulement, en respectant les taux de conformité européens ! La fenêtre du bain est bien courte.

 

La scène écologiste coûte cher aux contribuables

Et combien a coûté la faible probabilité de ces quelques heures de baignade par an ? Depuis 2016, l’Etat et les collectivités franciliennes ont investi 1,4 milliard d’euros pour rendre « baignables » le fleuve et son principal affluent, la Marne : la moitié du budget a été apportée par l’Etat via l’Agence de l’eau Seine-Normandie, le reste par la Ville de Paris et la Métropole du Grand Paris.

Il s’est agi de renforcer le traitement des eaux usées, mieux gérer la pluviométrie, raccorder les péniches au tout-à-l’égout (255 bateaux) et corriger les branchements domestiques défectueux (plusieurs dizaines de milliers d’habitations.) Des bassins de stockage ont été également construits pour éviter les débordements lors des orages : celui qui a été construit près de la gare d’Austerlitz et a coûté près de 100 millions d’euros, peut retenir jusqu’à 46.000 m³ d’eau.

Et ce qui est notable, c’est que tout cela n’a pas été compté dans les dépenses publiques liées aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, alors même que la « baignabilité » de la Seine était annoncée comme l’un des fleurons de cette édition française 2024 ! Il faut dire que l’addition est déjà salée : le 23 juin dernier, la Cour des comptes a publié son rapport provisoire (un an plus tard, il est encore seulement provisoire !) et donne un premier montant de près de 6 milliards d’euros (2,77 milliards d’euros pour l’organisation des Jeux et 3,19 milliards d’euros pour les infrastructures).

Un total plutôt indécent et bien supérieur aux estimations initiales qui tablaient sur moins de 3 milliards d’euros. Ne pas compter les « frais » de baignabilité de la Seine permettait donc de limiter les dégâts, au moins pour la forme. La Cour des Comptes a estimé qu’il s’agissait plutôt de répondre à des obligations environnementales fixées par plusieurs textes européens et que compte tenu de l’incertitude des coûts réellement imputables aux JO, elle ne l’intégrait pas dans l’évaluation.

Alors, certes, la faune et la flore en ont profité. Comme le note le Service public de l’assainissement francilien, la Seine comptait 36 espèces de poissons différentes en 2023, contre seulement 4 dans les années 1970. Mais c’est surtout le résultat du travail des cinq dernières décennies, grâce à l’épuration progressive des rejets industriels et domestiques. Ce milliard et demi supplémentaire dépensé en valait-il la peine ?

 

Pour les poissons, la Seine, pas pour les humains !

Et puis, pour augmenter la capacité des stations d’épuration en région parisienne, il a fallu ajouter un traitement désinfectant nouvelle génération. L’usine de Valenton a été équipée d’un dispositif de stérilisation des eaux rejetées à l’aide d’acide performique – un bactéricide puissant – afin de tuer les germes résiduels. Mais quels en sont les effets sur l’écosystème, on peut se le demander. Bizarrement, les analyses ne ciblent pas la présence des micro-polluants chimiques.

Et puis la Seine… et bien elle reste polluée ! Pour la confédération France Nature Environnement, ces relevés restent « insuffisants ». « La Seine contient notamment de nombreux virus pour lesquels il n’y a pas d’indicateur », regrette Michel Riottot, président d’honneur de l’association. Hépatite, gastro-entérite, affections cutanées, conjonctivite, otite externe et même leptospirose… autant de pathologies qu’on risque d’attraper en avalant trop d’eau contaminée.

Le seuil de qualité « suffisante » de l’ARS ne permet pas d’écarter tous risques sanitaires, selon Damien Mascret, médecin et journaliste interviewé par France 3 : « Pour moi, la recommandation, c’est que les gens vulnérables et fragiles ne doivent pas se baigner dans ces eaux qui sont aléatoires. »

En définitive, protéger la Seine de nos déchets industriels et domestiques pour la rendre à la nature, c’est bien. Mais le faire pour la donner aux hommes, c’est sûrement en trop.

 

Clémentine Jallais