« Au moins, Barack Obama n’est pas un va-t-en guerre comme George W. Bush ! » Il était de bon ton, surtout chez ceux qui ne se veulent pas particulièrement socialistes ou atlantistes, de fermer les yeux sur la collusion du président américain avec la culture de mort au motif que son arrivée au pouvoir marquait une rupture avec les « neocons », les « faucons » qui rêvent de remodeler le Proche-Orient. Mais c’est bien Obama qui a décidé d’entrer en guerre contre l’Etat islamique. La grande presse américaine s’intéresse à ce « revirement » (réel ou supposé). Le New York Times publiait samedi un compte-rendu indirect de la rencontre de Barack Obama avec quelques visiteurs qui l’avaient rencontré avant son annonce de l’intervention plus soutenue en Irak. Et c’est très révélateur.
La conversation a pris la forme d’une réflexion sur la précédente entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Irak de Saddam Hussein, au cours de laquelle Obama a dit sa « fascination » devant la manière dont la pression augmentait alors. La même que celle qu’il vit avec l’hostilité croissante à l’Etat islamique.
Une « fièvre virtuelle » a gagné Washington, alimentée par les décapitations mises en scène par l’Etat islamique, a expliqué Obama, malgré son insistance auprès de ses collaborateurs pour dire qu’il ne se laisserait pas forcer la main : il entendait demeurer « réfléchi » face à l’entrée en guerre. « Même si je sais que j’en paie le prix politique », a-t-il ajouté.
Justifier la guerre
Ses réflexions, et la publicité qui leur est donnée, s’explique par un désir de justification : Obama s’est fait élire sur la promesse de ne pas entraîner les Etats-Unis dans une nouvelle aventure guerrière, comme l’ont d’ailleurs montré son refus de s’engager en Syrie, ses ouvertures à l’Iran et un rôle de seconde ligne dans l’équipée contre la Libye de Kadhafi. Sans avoir renoncé à une volonté de puissance dans les zones islamiques, mais surtout pétrolifères du Proche Orient, il avait semblé prendre acte des dures leçons de l’histoire pour les Etats-Unis en renonçant à des interventions trop visibles, trop brutales. Selon le New York Times, Barack Obama s’est livré à un exercice d’introspection devant ses visiteurs à la Maison Blanche, s’interrogeant sur ce qui, après six ans à tenter d’éviter les erreurs de son prédécesseur, l’a amené à agir en commandant en chef qui reprend et élargit la guerre face à ce nouvel adversaire, l’Etat islamique.
Un adversaire qui a profité du manque d’organisation et d’armement des opposants plus modérés à Bachar el-Assad, et qui a drainé nombre d’anciens officiers de l’armée de Saddam Hussein…
Le président américain s’est dit « hanté » par l’idée que les Forces spéciales américaines n’avaient pas su sauver les otages américains James Foley et Steven Sotloff, tout en soutenant que ce n’était pas leur décapitation qui avait eu raison de sa volonté d’éviter une guerre plus totale contre l’Etat islamique. Barack Obama a cependant – et c’est très intéressant – avoué que les vidéos mises en ligne par l’EI avaient aidé à « galvaniser » l’opinion publique en faveur de l’action américaine.
La barbarie de l’Etat islamique
Il est clair en effet que sans ces spectaculaires défis au monde occidental, la guerre contre l’Etat islamique aurait été plus difficile à « vendre » à une opinion lassée par les campagnes qui n’aboutissent qu’à déstabiliser un peu plus l’Orient compliqué. Un journaliste américain décapité fait davantage impression que des milliers de chrétiens déplacés, persécutés, martyrisés…
Le fait déclenche les interprétations complotistes qui, s’interrogeant sur l’intérêt que peut avoir l’Etat islamique à attirer ainsi l’attention et à prendre le risque d’une intervention militaire à son encontre, imaginent volontiers que les vidéos ne sont que des montages, fabriquées, qui sait, par les va-t-en guerre occidentaux eux-mêmes. Toute vérification dans ce domaine s’avère de toute façon des plus difficiles : on sait en revanche que l’islam radical se réjouit de la guerre frontale avec ses adversaires et que par ailleurs, l’Etat islamique a déjà obtenu des paiements de rançons de la part de l’Italie et – selon les accusations américaines – de la France pour la libération d’otages, dont la valeur monte avec le risque de les voir sauvagement assassinés.
Obama en bonne compagnie
L’histoire dira sans doute un jour les dessous de ces guerres. Pour l’heure, nous avons sous les yeux un président américain qui laisse paraître dans ses entretiens privés, mais non secrets, une certaine réticence, des regrets même devant une situation qu’il s’attend à voir durer bien au-delà de la fin de son propre mandat. Obama, dans sa guerre contre l’Etat islamique, n’oublie pas d’afficher son hostilité à l’égard du régime de Bachar el-Assad, assurant qu’il riposterait à la moindre attaque syrienne contre l’aviation américaine.
Parmi les personnes qui ont relaté les propos d’Obama sur la guerre et l’Etat islamique, on compte des représentants du Council on Foreign Relations, Zbigniew Brzesinki – jadis conseiller de Jimmy Carter – et quelques « experts en relations internationales » conviés au dîner qui a précédé de quelques heures les annonces publiques du président américain. N’était-ce pas plutôt une concertation ?