Bataille de Dabiq en Syrie : les USA et Daech en plein délire d’apocalypse

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Les troupes turques soutenues par des commandos américains sont à quelques kilomètres de Dabiq.

 
Les forces spéciales des USA et de la Turquie soutiennent divers contingents rebelles contre Daech dans la dure bataille menée dans le nord de la Syrie autour du bourg de Dabiq, pourtant sans intérêt stratégique apparent. Les deux parties se fondent sur une parole de Mahomet pour entrer dans un vrai délire d’apocalypse.
 
En août 2014, Daech a conquis la bourgade de Dabiq dans le gouvernorat d’Alep, à dix kilomètres de la frontière turque. Après une bataille acharnée qui a surpris les observateurs occidentaux, pour qui l’endroit n’avait nulle importance stratégique particulière. C’est qu’ils n’étaient pas familiers de l’eschatologie musulmane et n’avaient pas lu le hadith tiré de la compilation dite « authentique » faite par El-Hussein Muslim au neuvième siècle, selon lequel le « prophète » aurait dit : « L’heure dernière n’arrivera pas avant que les Roums n’attaquent Dabiq. » Les Roums signifiaient les Romains, c’est-à-dire, à l’époque de Mahomet, les Byzantins, ce qui, transposé à aujourd’hui, pourrait donner les chrétiens, ou les Occidentaux, ou encore les « croisés », comme dit Daech.
 

Dabiq, la dernière bataille avant l’Apocalypse

 
Selon la prophétie, cette bataille sera la dernière avant l’Apocalypse, seul un tiers des combattants musulmans en réchappera, mais elle ouvrira aux survivants les portes de Constantinople, ou Istanbul, si l’on préfère. La mentalité post-moderne occidentale tend à ne voir là-dedans que de vieilles fables et envisage Daech comme une horreur archaïque certes, mais qui couvrirait d’un voile religieux une ambition toute politique. Or c’est une erreur : Daech et ses sectateurs vivent dans les textes des premiers temps de l’islam, ils ont fondé le califat pour que l’islam ne connaisse pas d’autres frontières que les limites de la terre.
 
Bernard Haykel, chercheur américain d’origine libanaise travaillant à l’université de Princeton, souligne ce caractère profondément religieux de Daech et l’erreur que commettent ordinairement les Occidentaux à son égard. Pour lui Daech n’a nullement déformé les textes de l’islam : « Ce qui compte, c’est ce que font les musulmans et comment ils interprètent leurs textes. Les membres de Daech ont la même légitimité que n’importe qui d’autre ». Et leur interprétation est sans ambiguïté. Depuis deux ans, Dabiq y occupe une place éminente, objet hybride, à la fois militaire et religieux. Le bourreau masqué qui montrait sur une vidéo la tête tranchée de Peter Kassig, humanitaire pris en otage en 2013, s’écria : « Nous enterrons le premier croisé américain à Dabiq et nous attendons avec impatience l’arrivée du reste de votre armée. » Et Abou Moussa El Zarquaoui ajoutait, alors qu’il séjournait en Irak : « L’étincelle a été allumée ici et sa chaleur continuera de s’intensifier jusqu’à brûler les armées des croisés à Dabiq ».
 

Le délire de Daech est conforme à Mahomet, ses paroles, ses actes

 
Il est possible que s’agrègent à D aech des psychopathes, ou des sociopathes, ou des déracinés en quête de délire et d’aventure gore, mais la religion que le califat islamique professe se fonde sur des interprétations cohérentes et instruites de l’islam. Daech obéit à ce que Haykel appelle une « méthodologie prophétique », il légifère et agit en suivant le « prophète » et sa doctrine à la lettre. Si ses combattants reprennent les lois et les pratiques guerrières du temps de Mahomet, ce n’est pas gratuit, c’est qu’ils ont la même visée eschatologique que leur « prophète » ; elle aboutit à l’Apocalypse, à une apocalypse militaire, à la dernière bataille qui doit donner la victoire aux croyants.
 
Or l’Apocalypse, pour eux, c’est maintenant, comme le pensent l’Obs dans son titre Les chevaliers de l’apocalypse et la revue française de criminologie et de droit pénal lorsqu’elle analyse la vision apocalyptique du djihadisme. C’est pourquoi leur magazine en ligne se nomme Dabiq. C’est pourquoi il a publié en couverture un montage où l’on voit le drapeau noir du califat flotter sur le Vatican, avec ce titre : « Echec de la croisade ». Et ce pronostic d’un imam bosniaque, Bilal Bosnic : « Le moment venu, le monde entier sera un Etat islamique ». Et c’est pourquoi aussi les djihadistes de Daech accordent tant d’importance au hadith qui prédit à Dabiq la bataille finale contre l’ennemi chrétien.
 

L’objectif des USA : soumettre la Syrie sans casser Daech

 
Le grain de sable, dans tout ça, est que, si les USA et leurs alliés y mettent le prix, et il semble que cela soit le cas, Daech va prendre une sacrée dégelée à Dabiq. Ne serait-ce que pour complaire à la Turquie et aux opinions occidentales, il est temps que l’expansion territoriale du califat cesse.
 
Côté Daech, la chose ne sera pas trop grave. Après un moment d’abattement (ça fiche un coup au moral de perdre la dernière bataille), on trouvera les théologiens musulmans nécessaires pour expliquer que la dernière bataille n’était pas la dernière, que la prochaine sera la bonne. Et d’autres qui démontreront les doigts dans le nez que le hadith situant la dernière bataille à Dabiq est douteux, apocryphe, grossièrement rajouté, voire carrément islamophobe.
 
Côté USA, l’après Dabiq demandera un peu plus de doigté. Rétablir un peu d’ordre en Syrie pour satisfaire la sensibilité humanitaire de la communauté internationale est peut-être nécessaire, mais pas au prix de se priver tout à fait de cet extraordinaire ennemi-épouvantail qu’est le golem Daech.
 

Pourquoi les USA ont créé Daech, ennemi idéal

 
Chacun se souvient que ce sont les USA, en déboulonnant Saddam Hussein, qui ont déstabilisé l’Irak, créé une rancœur et un désir de revanche dans la communauté sunnite, et ouvert un boulevard aux fondamentalistes que contenait le Baas jusqu’alors. Ils ont ensuite soigneusement entretenu cet épouvantail, et ses démêlés avec la majorité chi’ite du pays et des voisins chi’ites d’Iran.
 
Pour les USA et leurs services, Daech est un ennemi rêvé. Il incarne le pôle noir de la barbarie qu’on offre à la détestation de l’Occident à travers la guerre contre le terrorisme (qui permet une maîtrise totale sur les populations occidentales). Mais il exerce aussi à la perfection des fonctions annexes. Il divise ainsi les musulmans. Comme il refuse toute adjonction à l’islam des origines, il s’oppose aux deux cents millions de chi’ites, et solidarise contre eux, vaille que vaille, tous les sunnites. Mais il divise aussi ceux-ci, en condamnant par exemple le « modérantisme » repu des wahhabites. Il divise les musulmans fondamentalistes, puisque ni les wahhabites, ni les salafistes portés sur la taqqiya ne trouvent grâce à ses yeux.
 

Apocalypse à Dabiq : une histoire de fous racontée par des idiots

 
Enfin, en suscitant la honte et l’horreur chez les musulmans « modérés », il les crée en quelque sorte, il donne corps à ce qui n’est à l’origine qu’un fantasme occidental, il crée une caste d’apostats ou de marranes musulmans aptes à se fondre dans les sociétés occidentales. Des apostats tactiquement utiles mais dont on a facilement raison dans une controverse religieuse. Pour complaire à l’Occident, ils rejettent les amputations, lapidations, crucifixions, décapitations, l’esclavage, en ce qu’ils détonnent sur le moment historique actuel : mais ils ne peuvent les condamner absolument sans contredire le Coran et l’exemple de Mahomet.
 
Les USA et leurs services secrets se servent du délire de Daech, ils jouent à Dabiq de son fanatisme apocalyptique : ils vont lui donner une bonne tape, peut-être même bientôt le priver de toute base territoriale importante en Syrie et en Irak, mais cela n’ira pas jusqu’à l’éliminer. Il est bien trop utile. Shakespeare aurait fait de cette histoire de fous racontée par des idiots mais manigancée par des gens très intelligents une terrible farce noire.
 

Pauline Mille