La BCE réduit ses achats de dettes publiques, relançant la crainte d’une faillite de plusieurs Etats, Italie en tête

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La Banque centrale européenne (BCE) nous affirme que la menace déflationniste a disparu, ce qui revient à admettre au passage que nous avons vécu une période de crise du crédit dramatique. Mais désormais le grand danger vient de l’accumulation colossale des dettes… qu’elle a elle-même contribué à gonfler démesurément. Car, pour éviter une contraction de la masse monétaire et sa spirale de baisse des prix, des salaires, du pouvoir d’achat, du commerce et de l’investissement, la BCE a eu recours, plus tardivement mais plus longtemps que la Fed américaine, à une politique délibérée de taux négatifs et d’achat de titres, le « quantitative easing ». Combinée avec la récente baisse de la valeur de l’euro et la réduction de l’austérité budgétaire, cette politique « a permis pour le moins de sortir l’économie de la zone euro du piège de la croissance faible, cette décennie perdue décrite par plusieurs économistes », commente Ambrose Evans-Pritchard, du Daily Telegraph de Londres. Mais il souligne que désormais le risque est celui d’une « insoutenabilité » du poids des dettes publiques liée à la remontée de leurs taux.
 

Croissance et inflation frémissent mais la hausse des taux va rendre les dettes publiques « insoutenables »

 
Certes, une série de nouveaux indicateurs a montré une reprise l’an dernier de la croissance dans la zone euro. Le taux de chômage est en (léger) repli à 9,5 % des actifs (-1,24 million en un an), mais il demeure double de celui des Britanniques, des Nord-américains et des Scandinaves hors zone euro. L’inflation repart un peu. Or cette « reflation » crée un nouveau risque pour l’Italie, le Portugal, et même pour la France et ses 2.200 milliards de dette publique n’incluant ni les avances sur les futures retraites des 5,3 millions de fonctionnaires, ni les dettes de plusieurs établissements publics industriels et commerciaux. Que vont devenir ces pays quand la BCE cessera d’acheter en masse leur « papier » pour éviter que leurs taux n’explosent et rendent le seul financement de leurs intérêts inabordable ? Or d’ores et déjà la BCE vient de réduire pour avril ses achats mensuels de titres de 80 à 60 milliards d’euros. Ses achats quotidiens de dette italienne ont été réduits de 160 millions d’euros.
 

Le spread (écart) entre Italie et Allemagne explose, la faillite à l’horizon

 
Anastasio Vamvakidis, de Bank of America, estime que « la politique de soutien menée par la BCE ne peut plus durer longtemps et que cela allume une série de clignotants rouges par rapport à la vulnérabilité des Etats périphériques » pour les années qui vont succéder à cette période de liquidités surabondantes. « Les marchés ne vont pas tarder à poser de nouveau la question de la crédibilité de la zone euro », prévient-il. Déjà, le différentiel de taux (spread) entre les emprunts publics italiens à dix ans et leurs homologues allemands a doublé à 203 points de base (un point de base équivaut à 0,01 point de pourcentage, soit 2,03 % de plus). Mediobanca a calculé que, l’an dernier, la BCE avait couvert par ses achats massifs à taux réduits la totalité du déficit budgétaire de l’Italie et financé le refinancement de ses emprunts passés. Le rapport de la grande banque italienne conclut : « La fermeture du robinet privera l’Italie de son principal prêteur, entraînant un retour dramatique du débat sur un retrait de la zone euro avec retour à la lire ».
 
Même son de cloche chez les analystes de la Bank of America qui déplorent que les dettes publiques de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de Chypre et de la Grèce soient plus élevées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient au début de la crise des dettes, en 2012. Leurs banques centrales doivent plus aujourd’hui à la BCE qu’elles ne devaient au pire moment de l’épisode. « Nos économistes sont particulièrement inquiets pour l’Italie », explique son rapport.
 

Le taux de change de l’euro est 15% inférieur à ce qu’il devrait être pour l’Allemagne

 
Signe de l’échec historique de la construction monétaire européenne, le différentiel de compétitivité entre l’Allemagne et l’Europe du Sud reste béant même si cette dernière a récupéré un peu de terrain grâce aux « dévaluations internes », non pas celle de sa monnaie, l’euro, mais celle de ses salaires et de ses retraites, faisant porter tout le poids sur les classes moyennes. Pire encore, le taux de change de l’euro pour l’Allemagne demeure 15 % inférieur à celui d’un deutschemark maintenu, dynamisant ses exportations alors que le pays refuse obstinément de réduit le différentiel de compétitivité en stimulant sa demande intérieure.
 

La bombe de la dette menace l’Italie alors que la BCE réduit ses achats dans le secteur

 
La structure absurde de la zone euro, sans politique fiscale commune, sans eurobonds, ces emprunts passés au nom de toute la zone refusés par l’Allemagne, et sans péréquation par des transferts internes contre-cycliques, rend sa viabilité improbable. La proposition des économistes fédéralistes de l’Institut Jacques Delors, qui prônent une mutualisation des dettes publiques, se heurte au refus catégorique du bloc Allemagne-Finlande-Pays-Bas-Autriche. Pour les experts de Bank of America, « Un jour ou l’autre, l’Europe sera frappée par une nouvelle crise financière ». « Nous ne savons pas si elle surviendra dans six semaines, six mois ou six ans mais compte tenu des données actuelles, l’euro n’y survivra probablement pas », écrivent-ils. La crise pourrait se précipiter si la reprise de la croissance dans la zone s’essoufflait.  L’inflation sous-jacente dans la zone euro s’est déjà réduite de 0,9 % à 0,7 % en mars, soit moins qu’un an auparavant. La bombe risque de ne pas tarder à exploser.
 

Matthieu Lenoir