Huw Pill, de la Banque d’Angleterre, encourage les Britanniques à accepter que l’inflation les rende plus pauvres

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Toute la presse britannique s’est emparée du sujet, non sans signaler le gros salaire dont bénéficie l’économiste en chef de la Banque d’Angleterre : Huw Pill a déclaré, en effet, que les Britanniques « doivent accepter qu’ils sont plus pauvres » en raison de l’inflation galopante. Parmi d’autres conseils, il a déclaré au cours d’un podcast de la Columbia Law School sur « l’économie post-pandémique » que chacun devait prendre sa part du problème et qu’en particulier, il fallait cesser de demander des augmentations de salaire pour retrouver le pouvoir d’achat d’avant la crise.

La… pilule passe mal car l’inflation pèse lourdement sur les achats de première nécessité : l’énergie et l’alimentation, qui représentent une bonne fraction du budget des plus pauvres et de ceux qui n’ont guère de marge de manœuvre en fin de mois. Les prix alimentaires dans les supermarchés ont ainsi progressé de 17,3 % en un an. L’inflation générale chute un peu, puisqu’elle est descendue de 10,4 % à 10,1 % de février à mars, selon les chiffres officiels, mais c’est moins que ne l’espéraient les « experts ».

 

L’économiste de la Banque d’Angleterre veut que les Britanniques cessent de chercher à récupérer leur pouvoir d’achat

Et donc, suggère Huw Pill, il faudrait que chacun mette la main à la pâte pour arrêter la spirale inflationniste et mettre fin au jeu où on se refile « la patate chaude » pour en faire porter le poids sur le voisin plutôt que sur soi.

Certes, a-t-il reconnu, il est « naturel » que les foyers cherchent à obtenir un meilleur salaire face à l’explosion des coûts du gaz, ou qu’un restaurant révise les prix de ses menus.

C’est la faute aux importations de gaz, diagnostique l’économiste, et au fait que le Royaume-Uni exporte « surtout des services » dont les prix n’ont pas augmenté de la même façon, et ce dans un contexte de livre sterling assez faible.

 

L’inflation rend les pauvres plus pauvres

« Si le coût de ce que vous achetez a augmenté par rapport à celui de ce que vous vendez, votre situation sera moins bonne. D’une manière ou d’une autre, au Royaume-Uni, quelqu’un va devoir accepter que sa situation est pire et cesser d’essayer de maintenir son pouvoir d’achat réel en faisant monter les prix, que ce soit en augmentant les salaires ou en répercutant les coûts de l’énergie sur les clients. Et ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est à cette réticence à accepter que, oui, nous sommes tous moins bien lotis, et que nous devons tous assumer notre part du fardeau. Au lieu de cela, [les gens] essaient de répercuter ce coût sur tel ou tel de nos compatriotes, en disant : “Nous nous en sortirons, mais ils devront porter le poids de notre part du fardeau.” Le jeu de répercussion des coûts qui se déroule ici… ce jeu engendre de l’inflation, et cette partie de l’inflation peut persister. »

C’est peu de dire que ses conseils tombent mal : un journal de gauche comme The Guardian commente les déclarations de Pill en rappelant que ce dernier gagne quelque 180.000 livres (plus de 200.000 euros) par an et que de grosses sociétés comme Nestlé, PepsiCo ou McDonalds ont mieux vendu que jamais grâce à leurs prix boostés.

Sous-entendu : l’inflation n’est pas perdue pour tout le monde et certains s’en mettent plein les poches.

Pill voit dans la conjonction de plusieurs « chocs » les raisons d’une inflation que rien ne semble vraiment juguler à l’heure actuelle : les chèques offerts par le gouvernement américain pour stimuler la consommation de ses citoyens confinés, faisant croître la demande au moment où l’offre était en chute, et la fermeture du robinet de gaz russe. A quoi s’ajoute, selon le Guardian, l’inflation « avide », où des sociétés gonflent leurs prix de vente au-delà de l’inflation en profitant du mouvement général.

 

Hugh Pill, champion discret de la décroissance ?

Mais ni Pill, ni le journal n’évoquent la désindustrialisation qui alourdit notamment les coûts lorsqu’il faut importer depuis des contrées lointaines par temps de hausse des prix de l’énergie, le poids du choix de l’énergie « renouvelable » comme l’éolien et le solaire dont il faut quand même compenser le caractère aléatoire, et d’autres contraintes liées au « verdissement » de l’économie, qui contribuent à appauvrir le quidam.

Mais appauvrir les classes moyennes, ces braves gens qui travaillent à plein temps et n’arrivent plus à joindre les deux bouts, plonger dans la misère et la dépendance à l’égard des aides sociales les classes populaires, fait partie de la solution cynique proposée par Hill. Il n’est d’ailleurs pas seul de son espèce, puisque le gouverneur de la Bank of England, Andrew Bailey, disait fin mars au sujet de la montée des prix : « Elle nous a appauvri en tant que pays. » Mais sans dire qui devait en supporter les retombées.

Tout tourne désormais autour des taux d’intérêt dont on attend que la Banque va encore les faire progresser de 0,25 % en mai pour atteindre 4,5 %, ce qui pèsera encore davantage sur le coût du logement pour certains, par exemple.

Avec de tels discours, on alimente la logique dialectique : employés contre sociétés, les pauvres contre les riches, sans mettre au jour une tendance profonde que l’écologisme ne cache pas vouloir favoriser : une baisse du niveau de vie dans les pays développés accompagnée d’une hausse dans les pays pauvres, dans une grande redistribution de la richesse mondiale, et une baisse de la consommation généralisée « pour la planète ».

 

Jeanne Smits