SOS : les Belges veulent réformer l’orthographe et prendre la maîtrise du français

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Depuis le 3 septembre, Paris controverse : deux professeurs belges proposent de réformer l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir. Cette prétention à la maîtrise de notre orthographe agace certains mais pose une vraie question : à qui appartient la langue ?
 
Les Belges, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. La chose avait frappé César : de tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus courageux. Il parlait de la grande Belgique, le pays entre Seine et Rhin, dont Reims fut la première capitale, et que Dioclétien devait diviser en trois à la fin du troisième siècle, l’une des capitales étant, je l’ignorais, Besançon. Tout ça pour dire que les Belges n’ont aucun complexe à venir mettre leur nez dans nos affaires. Ils osent même toucher à la réforme de l’orthographe.
 

Les profs de français belges sont les plus courageux

 
Paris a bruit voilà quelques jours d’une rumeur : deux profs de français wallons envisagent de réformer les règles d’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir. Ils entendent le rendre toujours invariable. Et ils avaient reçu, disait-on, le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, forte des « avis du Conseil de la langue française et de la politique linguistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Conseil international de la langue française ». Cela provoqua un tollé, entrelardé de quelques approbations. Nous maîtrisons mal notre orthographe mais nous sommes chatouilleux sur le point de savoir qui a la maîtrise de ses règles.
 
Cette réforme soulève deux questions, l’une technique, grammaticale en quelque sorte, l’autre politique.
 

Réformer l’orthographe pour améliorer la maîtrise de la langue

 
Technique d’abord. Les deux profs belges jugent les règles de l’orthographe française « compliquées jusqu’à l’absurde ». C’est leur opinion, qui n’a pas d’autre valeur. Notons juste que l’histoire des simplifications est l’une des plus drolatiques qui soient, cela vaut pour l’orthographe comme pour l’administration. Lorsqu’ils prétendent que le temps passé à apprendre l’orthographe serait mieux employé à « développer du vocabulaire, apprendre la syntaxe, goûter la littérature, comprendre la morphologie ou explorer l’étymologie » ils oublient que l’étude de l’orthographe, si elle est bien faite, est justement cela. Notre orthographe est un cours d’histoire de la langue française. J’ajoute qu’en faisant suer les enfants sur l’accord du participe on affine leur sens logique. 
 
Mais nos profs belges n’ont pas tort cependant de relever que l’orthographe française a toujours évolué, et ils prennent soin d’affirmer qu’ils ne veulent pas « supprimer ce qui est porteur de sens dans notre orthographe ». Dont acte. Au fond je m’en fiche. Rendre le participe passé invariable est beaucoup moins bête qu’user d’orthographe inclusive, ou écrire la rapporteure, ou la ministre, ou même supprimer l’accent circonflexe.
 

Est-ce au politique, même belge, d’exercer la maîtrise du français ?

 
La question politique, elle, est beaucoup plus grave, et elle est très mal comprise, elle n’est même pas posée. Trois jours après que la controverse eut commencé, la presse y mettait un terme en disant qu’elle n’avait pas lieu d’être : le ministère de l’éducation de Wallonie n’avait rien décidé, tout n’était qu’élucubrations de profs en vacances. Le porte-parole du ministre tenait à préciser : « Les ministres concernés et le gouvernement n’ont pas été saisis d’une quelconque demande du Conseil de la langue française et ne sont donc pas amenés à se positionner, en tout cas à ce stade ».
 
Mais c’est au moment où le débat est considéré comme clos qu’il s’ouvre vraiment. Et la question est simple : à qui est-ce d’exercer la maîtrise de la langue française, donc de l’orthographe ? Chacun semble croire que c’est à l’Etat de le faire. Cela résulte du monopole de fait qu’il exerce sur l’instruction publique depuis la fin du dix-neuvième siècle. Ce monopole vient lui-même d’un coup de force et d’une guerre civile. Cependant, s’il donne tous les pouvoirs pour enseigner la langue, il ne fonde aucune légitimité à déterminer celle-ci.
 

Le roi soleil n’eut pas le vain orgueil de réformer le français

 
Je m’explique. François premier, roi puissant, décida que le français serait la langue des actes officiels dans son royaume. Louis XIII, roi puissant, institua l’Académie française pour normaliser et perfectionner le français. Il ne prétendit pas régenter lui-même la langue, pas plus que ne le fit son fils le roi soleil. C’est une étrange manie qu’a l’Etat de prétendre aujourd’hui régir l’orthographe ou la syntaxe. Il y a des choses qui préexistent aux gouvernements et sur lesquelles ils n’ont ni prise ni compétence. Lorsque je vois une femme affligée d’un maroquin exiger qu’on lui donne du Madame la ministre, je lui dis in petto, tu pourras péter aussi haut que tu le veux, le français n’est pas soumis à ta maîtrise.
 

Pauline Mille