Brésil : la destitution de Dilma Rousseff vue par la presse russe

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Le Sénat brésilien se prononce le 11 mai 2016 sur la procédure de destitution de Dilma Rousseff.

 
Fatigués de la crise, du chômage, de l’inflation galopante et de la corruption, grand nombre de Brésiliens ont été soulagés par la décision du Sénat de proclamer jeudi matin la « suspension » de Dilma Rousseff de ses fonctions de présidente, pour une période de six mois qui servira à examiner le bien-fondé de sa destitution définitive. L’héritière politique du président Lula n’est pas encore convaincue de porter la responsabilité du maquillage des comptes de l’État qui ont conduit à sa réélection l’an dernier, mais – quels que soient les éventuels ressorts cachés de cette affaire – à travers elle, c’est le socialisme latino-américain qui reçoit une claque. Et il est intéressant de lire à ce sujet le discours tenu par la presse russe. La source officielle Russia Today a donné une large place aux arguments de ceux qui dénoncent un « coup d’État » antidémocratique contre Dilma Rousseff, accusant la « ploutocratie » d’avoir piétiné 54 millions de voix – celles qui s’étaient portées sur la socialiste emblématique pour l’élire à la présidence.
 

La presse russe adopte le langage de la lutte des classes

 
Le discours de rt.com obéit à une logique prévisible. Lorsque des manifestants protestent, casse à l’appui, contre la modification du droit du travail en France, Russia Today dénonce les violences policières et le mépris des travailleurs affiché par le gouvernement de Hollande : la dialectique de la lutte des classes n’est décidément pas oubliée à Moscou. La question ici n’est pas de savoir si la loi El-Khomri est bonne, opportune, suffisante, nocive ou injuste… On a affaire à une réaction politiquement stéréotypée qui a pour objectif de montrer que l’Occident, assimilée à l’économie libre, elle-même assimilée à l’oppression capitaliste, déteste la classe ouvrière, ou pour employer le langage contemporain : « défavorisée ».
 
Revenons donc au Brésil. Les sondages valent ce qu’ils valent, mais que Mme Rousseff soit hautement impopulaire dans son pays ne fait guère de doute. Une forte majorité de Brésiliens est favorable à sa destitution. Les urnes n’ont pas parlé mais il semble que les Brésiliens se soient réellement exprimés à travers la décision parfaitement constitutionnelle de leurs représentants. Le « coup d’État » suppose un mépris du droit, tel n’a pas été le cas au Brésil.
 

Dilma Rousseff : une destitution désirée par la majorité des Brésiliens

 
Pendant que Dilma Rousseff continuera d’habiter son palais présidentiel, tant qu’elle n’est que « suspendue », ses fonctions seront remplies par son vice-président Michel Temer, membre lui aussi du Parti du mouvement démocratique brésilien ; si la présidente est définitivement destituée, il devrait rester à ce poste jusqu’à la fin du mandat, au 31 décembre 2018. Il est presque aussi impopulaire qu’elle ; seul 1 % des sondés l’aurait choisi pour prendre la tête de l’Etat.
 
On n’est semble-t-il pas près de rompre avec 18 ans de travaillisme à la Lula, même si Temer s’est engagé à assainir quelque peu les comptes du Brésil, par exemple en mettant en place un âge minimum pour le départ à la retraite. C’est bien le moins.
 
Russia Today assure que Mme Rousseff est la victime des « hyènes BBC » du Brésil : BBC pour « Balles, Bibles et Cheptel », autrement dit les marchands d’armes et ceux qui profitent du marché de la sécurité privée, l’important lobby évangélique – ses pasteurs y sont qualifiés de « fanatiques » – ainsi que les représentants de l’industrie de l’agriculture.
 
La tribune publiée par la source russe, signé Pepe Escobar, fait aussi dans l’« antiracisme », soulignant que le Sénat brésilien qui a voté à 55 contre 22 pour la suspension de Dilma Rousseff est à 80 % composé d’hommes blancs au pays du « métissage ». Et de souligner, sans doute avec justesse, qu’une belle part d’entre eux est également sous le coup d’accusations dans divers scandales de corruption. Mais le fait est que c’est Mme Rousseff qui a mené le Brésil dans le mur économique avec ses choix dépensiers – sans compter son soutien à la culture de mort.
 

Le Brésil rentre-t-il vraiment dans le « rang » occidental, pour y être exploité ?

 
« Preuve » d’une volonté de faire rentrer le Brésil dans le rang sous la botte de la Haute finance, selon l’article de Russia Today : le fait que Wall Street et la City de Londres se sont montrés ravis par la décision du Sénat, avec la promesse d’une réévaluation de sa note de crédit et l’espérance, surtout, d’un nouveau terrain de spéculation. Une « fête néolibérale sans représentation populaire aucune », commente le site.
 
Il se serait agi en somme d’ôter le Brésil, naguère l’une des économies émergentes les plus florissantes, du groupement des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et du « Sud Global » pour à la fois bénéficier de la manne financière qu’on peut espérer en tirer et pour affaiblir les anciens alliés. Le tout au détriment des pauvres, qui bien évidemment préfèrent le socialisme et la misère qui y est associée à toute autre situation.
 

Le socialisme à la Rousseff a la faveur de la presse russe

 
Pepe Escobar estime que le front de l’anti-destitution à des cartes en main et une stratégie toute prête : « Imprimer spécialement au Brésil profond, l’immense masse des travailleurs pauvres, la notion de l’illégalité ; reconstruire l’image de Rousseff en tant que victime d’une profonde injustice ; redonner de l’énergie au front politique progressiste » – tout cela doit préparer l’arrivée de l’homme providentiel de 2018.
 
On y croirait presque si partout, le socialisme n’avait apporté la preuve de son inefficacité économique (litote) et son profond mépris à la fois de la loi naturelle et des droits et des libertés familiales et individuelles. Le Brésil de Lula, puis de Rousseff a été à l’instar des pays « occidentaux » en pointe dans le combat pour les droits LGBT, l’anti-discrimination et l’antiracisme, et seul le poids du christianisme a évité une plus grande libéralisation de l’avortement. La déliquescence des mœurs et l’immoralité des médias n’y a rien à envier à celles qui sévissent dans des pays plus « avancés ».
 
Le désir profond de libertés de tant de Brésiliens ne trouvera sans doute pas de réponse dans la simple suspension ni même dans la destitution de Dilma Rousseff : il n’y a pas d’un côté les Blancs, de l’autre les Noirs ; les bons et les méchants ; les capitalistes cupides et les amis du peuple. Mais tout cela donne lieu à un discours dialectique qui a ses propres ressorts et ses propres objectifs révolutionnaires.
 

Anne Dolhein