Les JO du Brésil sèment la révolution dans le monde des bisounours : un jaguar sur le parcours de la flamme a dû être abattu, et l’icône d’un fusil a été retirée des 72 nouveaux emojis autorisés par Unicode. Le totalitarisme à la conquête de la planète a l’œil au moindre détail.
A six semaines de l’ouverture des JO, alors que l’Etat de Rio vient d’être déclaré en « état de calamité » et qu’on ne sait pas si le métro sera fini à temps pour les visiteurs, le Brésil n’a d’yeux que pour que pour Juma. Il s’agit d’un jaguar apprivoisé, qu’on avait placé sur le parcours de la flamme olympique en sa qualité de symbole de l’Amazonie, et qui a dû être abattu par ses maîtres. Cela s’est passé à Manaus, capital de l’Etat d’Amazonas, dans le nord. Ce micro fait significatif mérite d’être conté avec le vocabulaire de la presse qui le rapporte, pour mieux mettre en lumière le monde des bisounours qu’il révèle, et le totalitarisme tâtillon qui y règne, derrière les bons sentiments affichés.
Un jaguar emblème du Brésil sacrifié aux JO
Juma le jaguar n’était pas un animal sauvage, ses propriétaires, des militaires, ont bien pris soin de le préciser. Le centre d’instruction de guerre dans la jungle, unité d’élite où certains légionnaires suivent des entraînements, possède un zoo, où vivaient Juma et son camarade Simba. Le colonel Luiz Gustavo Evelyn a certifié que les deux jaguars avaient été « élevés en captivité ». Pourquoi cette précision ? Pour qu’on ne prenne pas l’armée du Brésil pour une prédatrice. Au contraire, Juma et Simba vivaient « avec d’autres félins que les militaires ont sauvé des mains des chasseurs qui avaient tué leur mère ». C’est important : depuis que les soldats sont devenus des sortes de super assistantes sociales, ils ont la bambi attitude. Cela les distingue des chasseurs, figures hautement négatives, presque aussi perverses que les toréadors ou les passeurs de migrants.
Le colonel est d’autant plus gêné que le jaguar est un animal en voie de disparition et qu’il est le symbole du Brésil. C’est pourquoi il a cédé à la tentation de l’exhiber, pour participer à la fête : après tout, ce n’est pas sa faute si la flamme passait par son zoo. Et puis, un animal emblématique fait bien dans le spectacle, c’est une part de l’identité du Brésil, au même titre que les danseuses de Samba. Malheureusement, après son passage, il a fallu le transférer d’un enclos dans une autre, et il s’est échappé. Là, ça s’est mal passé : « Il a été poursuivi et on lui a envoyé des tranquillisants avec une sarbacane, mais malgré quatre doses il s’est précipité sur un vétérinaire et il a dû être sacrifié. » Zut ! Les symboles ont des griffes et des dents ! Pour paraphraser Paul Valéry, il ne fallait rien moins qu’un colonel pour découvrir que le félin mange. Et que le métier d’un militaire peut l’entraîner à tirer de vraies balles, même sur une mascotte.
Le totalitarisme bisounours exige des excuses
L’affaire ne s’est pas arrêtée avec la mort du jaguar. Au contraire. Elle est remontée des militaires aux politiques. Le Comité d’organisation des JO Rio 2016 a immédiatement reconnu « une erreur » et présenté ses excuses. Cela est capital. Dans le tarot initiatique de la communication bisounours, l’atout maître, c’est l’excuse. C’est le signe de reconnaissance et de soumission qui évite la repentance. Mais n’épargne pas une autocritique lucide : « Nous avons commis une erreur en permettant que la torche olympique, symbole de paix et d’union entre les peuples, soit exhibée aux côtés d’un animal sauvage attaché. » Il ne faut pas se mélanger les pinceaux dans la signalétique symbolique.
Et le porte-parole de JO Rio 2016, conscient de la gravité de la faute, a ajouté : « Cette scène est contraire à nos convictions et nos valeurs. Nous sommes très attristés par ce qui s’est passé après le passage de la torche. Nous garantissons que nous ne verrons plus de telles situations lors des Jeux de Rio-2016 ». Il ne le fera plus, c’est juré. Et il a bien fait d’en remettre sur les excuses, parce que l’institut de protection de l’environnement de l’Amazonas (Ipaam) l’avait à l’œil. Dans un communiqué, l’Ipaam a regretté qu’on ait omis de lui demander « l’autoristion de faire participer le jaguar Juam au passage de la torche olympique ». Un totalitarisme bien ordonné doit se préoccuper de chaque détail de ce qui se passe dans le monde, et, au Brésil, doit avoir la haute main sur les jaguars, les JO, et les autorisations. L’environnement est une chose trop sérieuse pour être laissé aux militaires.
Les emojis à la conquête du monde
Les coups de dents et de griffe dont le jaguar Juma menaçait son vétérinaire (pas de nouvelles de la santé de celui-ci) n’ont donc même pas suffi à faire revenir le Brésil à la réalité. Les retraites, les salaires des médecins et des enseignants seront versés quand ce sera possible, une vingtaine de trafiquants de drogue armés jusqu’aux dents ont pénétré dans le meilleur hôpital de Rio pour en tirer leur chef, et les Brésiliens, et les autres, continuent à se focaliser sur les futurs JO, le jaguar Juma, et aussi les nouveaux emojis autorisés par le consortium Unicode. Les emojis sont un élément important de la réalité virtuelle et des réseaux sociaux. Je vous en parle avec la science d’une néophyte. Ils regroupent les émoticônes proprement dites, qui sont des visages ronds stylisés, exprimant la gaité, la tristesse, le doute, bref, un certain nombre d’états et sentiments répertoriés, et d’autres figurines, personnages, animaux, cœurs, etc. Il s’agit en quelque sorte de pictogrammes, ou d’idéogrammes, mis au service et à la portée des geeks, des utilisateurs d’internet et de réseaux sociaux, du monde entier.
Rick Mobi, fondateur de Emoji One, entreprise partie à la conquête du marché des réseaux sociaux, revendique la création de 1824 emojis et décrit ainsi sa « mission » sur son site : « Nous partageons nos produits pour le simple bonheur d’apporter la joie aux autres ». Cet altruisme effusif fait partie des attitudes affichées par les bisounours. En réalité, Emoji One est une très grosse entreprise, qui fait partie, avec Apple, Microsoft, Google, Yahoo, Facebook, IBM, Adobe, Symantec, etc, du consortium Unicode, qui régit l’écriture sur Internet. Ce consortium a parmi ses fonctions celle de mettre à jour chaque année la liste des emojis autorisées dans le monde.
Apple, Google, Microsoft font la police des emojis
Pour 2016, l’année des JO au Brésil, Mark Davies, le directeur du consortium Unicode, avait prévu de placer dans les 72 nouveaux emojis de la liste 9.0 un fusil, en l’honneur du tir de compétition, comme il y a un gant de boxe, un joueur de handball et des médailles. Mais Apple est monté au créneau, suivi de Microsoft et Google. Ces géants de l’informatique américains sont engagés dans la campagne de lobbying politique contre la détention d’armes à feu aux Etats-Unis et ont repris l’argumentation de Chrissie Hall, membre de l’association britannique Intertrust : « Ce serait choquant pour bien des personnes qui ont été blessées ou affectées par des incidents liés aux armes. Cela contribuerait à populariser l’image d’une arme, ce qui n’est pas une bonne idée. »
Les bisounours s’accomodent du terrorisme islamique mais pas des emojis sur les téléphones portables. Il est significatif que la décision d’Unicode ait été prise à l’unanimité des douze votants, et avant la tuerie d’Orlando. Elle montre la puissance de l’influence des géants américains de l’informatique et des réseaux sociaux sur ce qui décide de la communication internet de toute la planète. Elle confirme le moralisme cucul de leurs dirigeants. Elle confirme aussi que le totalitarisme et la police de la pensée avancent toujours sous le masque de la compassion et du respect. C’est pour éviter que certains se sentent « offensés » ou « blessés » que le fusil est interdit. Cela invite à regarder de plus près Unicode et les emojis.
L’étrange consortium qui sert le totalitarisme des bisounours
Le consortium Unicode, qui se trouve lié à toutes sortes d’individus, entreprises, ONG ou Etats, se compose d’une vingtaine de membres associés, qui n’ont pas voix délibérative, et de dix-huit membres jouissant d’un droit de vote, douze membre pleins, trois membres institutionnels et trois membres en soutien. Ces dix-huit votants sont tous de très grosses entreprises, sauf l’université de Berkeley, en Californie, les gouvernements du Bangladesh et du Tamilnadu (Etat indien), et le ministère des affaires religieuses du sultanat d’Oman.
Quant aux emojis, il s’agit en somme d’une écriture idéogrammatique proposée aux utilisateurs de réseaux sociaux du monde entier. Comme les mandarins chinois, les geeks les plus « cultivés » en connaissent 1824, alors que l’homme de la rue ne connaît que les pictogrammes toilettes ou sortie de secours. Cette écriture internationale est-elle destinée à servir de moyen de communication pour le monde entier, remplaçant ainsi le pidgin anglais ? En tout cas deux choses sont à remarquer ? Un, il s’agit d’une régression sur l’écriture alphabétique et la pensée discursive qu’elle véhicule. D’autant que les emojis sont conçus selon la pensée et la graphie de la bande dessinée et du dessin animé, c’est-à-dire sur un modèle de simplification enfantine, pour ne pas dire infantile.
Tout le monde régresse vers les emojis
Lors de la conférence mondiale des développeurs qui a eu lieu à San Francisco du 13 au 17 juin, le représentant d’Apple, Craid Federighi, a expliqué que les émojis vont révolutionner la manière d’écrire des SMS : « Vous savez, parfois vous avez fini votre message et vous vous rendez compte qu’il manque d’emojis. On a trouvé la solution : quand vous cliquerez sur le bouton emoji, on vous indiquera tous les mots qui sont ’emojifiables’ dans votre texte. » Le mot « basket-ball » pourra alors se transformer en ballon, « pizza » en part recouverte de sauce tomate et « film » en caméra rétro. « Les enfants de demain ne comprendront rien à la langue anglaise », a-t-il ajouté sur le mode ironique. Ni aucune autre langue. Il n’y a pas de quoi en rire.
Deuxièmement, c’est peut-être encore plus inquiétant, ces emojis, on l’a vu par l’interdiction du fusil prévu pour célébrer le tir aux JO du Brésil, font l’objet d’une surveillance et d’une normalisation – lesquelles sont entre les mains de quelques géants informatiques américains. C’est encore un nouveau moyen mis dans les mains du totalitarisme pour sa conquête du monde. Un jaguar récalcitrant et de petits dessins sur de petits écrans nous montrent la puissance et l’omniprésence du processus en cours.