Brexit : son application se fera-t-elle vraiment un jour ?

Brexit application
Christopher Booker, journaliste climatosceptique au Telegraph de Londres.

 
« Sommes-nous encore capables de nous gouverner nous-mêmes ? » Telle est la question posée par l’eurosceptique et le climatosceptique Christopher Booker dans le Telegraph, dans la foulée du Brexit que même les partisans de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne n’osaient plus espérer. Pour l’éditorialiste, les vraies questions se posent maintenant : quelle sera l’application du Brexit ? Il dénonce clairement le gouvernement « supranational » qui a maintenu le Royaume-Uni dans un état de « claustrophobie » du pouvoir depuis des années : Margaret Thatcher ne dénonça-t-elle pas en son temps l’adhésion à l’UE comme une « erreur politique de première magnitude » ?
 
Pour Booker, les deux campagnes, « Remain » et « Leave » ont été conduites de manière tellement déprimante qu’on ne pouvait prévoir une adhésion au Brexit. Il accuse carrément les meneurs de la campagne de sortie d’avoir refusé de prévoir correctement les conditions concrètes d’un plan « Exit », qui suppose la sauvegarde des intérêts économiques du Royaume-Uni en même temps que la fin de la soumission au « trois quarts des lois de l’UE ».
 

L’application du Brexit : même ses partisans sont en désaccord

 
« C’est la seule manière intelligente de le faire. Mais, comme je l’ai déjà demandé, nos hommes politiques et hauts fonctionnaires sont-ils encore capables de négocier une sortie aussi raisonnable ? Pendant des décennies, ils se sont si bien habitués à travailler au sein du système bruxellois claustrophobe et supranational qu’on en vient à se demander si nous sommes encore capables de nous gouverner nous-mêmes », dénonce-t-il. Il note que ce ne sont pas les arguments publics pour le Brexit qui ont emporté le morceau, mais « le sens profond, partagé par de nombreux Britanniques, du refus de la gouvernance par un système qu’ils ne comprennent pas et par une élite politique très éloignée qui agit à son propre profit ». Cette aliénation, affirme-t-il, est aujourd’hui très répandue dans l’ensemble de l’Union européenne.
 
L’UE souffre de blessures auto-infligées, souligne l’éditorialiste : l’euro, l’immigration, l’Ukraine. Et sa législation est à ce point complexe que le « désengagement de ce système… sera une tâche bien plus difficile et plus longue que la plupart des gens ne l’imaginent ».
 
De son côté, Ambrose Evans-Pritchard remarque dans le même numéro du Telegraph que les effets se bousculent et que les vieux clivages politiques s’effondrent, avec une partie des partisans du Brexit qui se trouvent dès aujourd’hui du côté des partisans du maintien dans l’Union européenne. Boris Johnson – le maire de Londres – et quelques autres se disent désormais ouverts à un « compromis » qui s’accommoderait de la migration libre depuis l’UE, selon le modèle pré-maastrichtien qui garantit seulement le droit de travailler sans le concept de la citoyenneté européenne, un peu sur le modèle norvégien.
 

Le Brexit en douceur, un Brexit en trompe-l’œil ?

 
On commence à parler d’un « Brexit doux » (ou plutôt d’un Brexit mou) qui obtiendrait une large majorité au parlement qui désormais « va représenter les intérêts du peuple qui a voté pour le maintien comme pour la sortie : ce n’est pas le genre d’événements où le gagnant rafle tout », avertit l’éditorialiste. « Cela pourrait obtenir l’agrément à la fois des syndicats, de l’industrie et de la City ». Cette dernière « a établi des plans pour un ordre post-Brexit où elle pourrait continuer de prospérer – plutôt que d’être réduite au niveau de la Bolivie comme elle a pu le dire au cours de la campagne – en faisant basculer les efforts dans la direction des entités globales qui, de manière croissante, établissent des règles au-dessus du niveau local, tels le Comité de stabilité financière, le comité de Bâle et l’Organisation mondiale du commerce ».
 
Voilà qui est intéressant : le Brexit pourrait être mis à profit non pour redonner de la souveraineté au Royaume-Uni, mais pour mieux asseoir les institutions de gouvernance globale.
 

Moins d’UE, plus de gouvernance globale ?

 
Cela se ferait au moyen d’un Accord économique européen tel qu’il existe déjà avec d’autres pays. On sait que Jean-Claude Juncker y est hostile : il pense que le Royaume-Uni doit être puni pour l’exemple. Mais à la Banque centrale européenne on envisage déjà, de manière d’autant plus réaliste que « l’industrie allemande avec son tout-puissant lobby BDI a fait savoir qu’il serait “très, très stupide” d’imposer des barrières douanières ou des mesures protectionnistes entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ».
 
Au fond, le Brexit est peut-être tout simplement la résultante d’une acceptation de l’idée que les peuples d’Europe supportent de plus en plus mal la marche forcée vers l’intégration européenne, et que chaque pas dans cette direction fait croître le poids des eurosceptiques. Il s’agit donc à la fin de composer et d’en tirer tout de même un profit globaliste, en modifiant quelques paramètres, en douceur, ou s’il le faut de manière moins respectueuse de la volonté des peuples.
 
N’a-t-il pas suffi à Sarkozy de changer le nom du traité constitutionnel européen pour l’imposer malgré le rejet populaire, ni vu ni connu ?
 

Anne Dolhein