Canada : trop pauvres pour se soigner, ils choisissent le suicide assisté

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Le meilleur des mondes est là, celui dont rêvait plume en main Jacques Attali dans son livre L’Avenir de la vie en 1981. Il écrivait : « Dès qu’on dépasse 60/65 ans, l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte alors cher à la société. (…) Du point de vue de la société, il est bien préférable que la machine humaine s’arrête brutalement plutôt qu’elle ne se détériore progressivement. » Comme pour réaliser son souhait, au Canada, la loi permet depuis juin 2016 le suicide assisté par un médecin aux handicapés et malades chroniques. Dans les faits, beaucoup de ceux qui le choisissent sont simplement trop pauvres pour se faire soigner ou même se loger, selon les professionnels qui les suivent. En 2023, 1,5 millions de Canadiens handicapés vivaient dans la pauvreté, et c’est eux qui souvent choisissent la MAID (Medical Aid in Dying), le suicide assisté.

 

Trop pauvre pour se soigner, elle trouve un bon délai pour mourir

C’est grâce aux professionnels qui travaillent avec les pauvres que la constatation a pu être faite. Meghan Nicholls, directrice de la banque alimentaire Mississauga explique : « Nous en sommes arrivés au point où des clients nous disent qu’ils envisagent le suicide assisté parce qu’ils ne peuvent supporter de vivre dans cette pauvreté. » Ces exemples, qui se multiplient, sont un terrible échec pour les soignants. Ils touchent des patients jeunes et se compliquent de détails administratifs déprimants. En juin dernier, Rose Finlay, paraplégique de 33 ans, a ainsi demandé le suicide assisté parce qu’elle ne trouvait plus les moyens de se soigner. Elle avait d’abord monté sa propre affaire, mais avait dû renoncer, sa santé empirant, et s’était alors adressé à l’aide aux handicapés de l’Ontario, mais on lui avait répondu que les formalités pouvaient prendre six à huit mois, alors qu’avec l’euthanasie la procédure ne dépassait pas 90 jours.

 

Ils choisissent le suicide assisté exclusivement pour raison financière

Autre exemple, une « Madeline » souffrante d’encéphalomyélite myalgique s’était tournée vers le crowdfunding à défaut d’assistance publique, et, quand la cagnotte fut à bout, elle constata : « J’ai trouvé des traitements mais je ne peux me les offrir. Le suicide assisté, pour moi, n’est pas un choix de vie et de mort, mais de quelle mort je souhaite quand j’arrive à mes derniers sous. » Quant à Sathya Dhara Kovac, avant de mourir à 44 ans faute de soins : « Au bout du compte, ce n’est pas ma maladie génétique qui m’emporte, c’est le système… J’aurais eu plus de temps si j’avais eu plus d’aide. » Tracey Thomson, covid long, n’était, elle, éligible à aucune aide. Choisir le suicide assisté ne fut pour elle « exclusivement qu’une considération financière. (…) Je suis très heureuse de vivre. Je profite de la vie. Le chant des oiseaux et d’autres petites choses me plaisent ». Mais sans revenu, elle ne se sentait pas capable de survivre.

 

Euthanasie des pauvres dans un Canada riche

Certains ne sont pas trop pauvres pour se soigner, mais trop pauvres pour se loger d’une manière adéquate à leur maladie. C’était le cas de Michael Fraser, souffrant du foie, incontinent, incapable de marcher : il a demandé le suicide assisté parce que son appartement, au deuxième étage, était devenu une prison. Le médecin qui l’a tué, Navindra Persaud, se sent toujours coupable de ne pas avoir trouvé de solution. Même détresse pour « Sophia », qui, faute de logement sain, a choisi le suicide assisté. Selon Rohini Peris, président de l’association de santé environnementale du Québec, « cette personne demandait de l’aide depuis des années, pendant deux ans, elle a écrit partout, appelé partout, pour avoir un logement sain ». Un appartement hors des fumées d’usine. Les cas varient (ici, ce sont les aides-soignantes qui ne peuvent plus venir, là, ce sont les indemnités de handicap qui baissent à soixante-cinq ans et ne couvrent plus le coût total des dépenses) mais forment une longue litanie de la misère qui mène à choisir la mort dans une société riche, laissant de nombreux médecins impuissants et amers.

 

« Pas d’autre recommandation » que le suicide assisté

Ce sentiment de faillite d’un système a été exprimé par Jennifer Catch, qui avait été filmée par le « documentaire » de propagande pour l’euthanasie « Tout est beauté » (All is Beauty). Le réalisateur avait simplement oublié au montage un passage-clef : « Je me sens comme si je tombais dans les oubliettes du système, si j’étais à l’écart des autres, alors, si je ne suis plus capable d’avoir accès au système de soins, suis-je capable d’avoir accès au système de mort ? Et c’est ce qui m’a conduit à regarder vers le suicide assisté, et je me suis inscrite. (…) Etant coincée financièrement et géographiquement, il est bien plus facile de laisser aller que de continuer à me battre. » Plus honnête que le documentariste, le document d’admission du centre Fraser de suicide assisté mentionne : « Il n’y avait pas d’autre recommandations de traitement ou d’interventions correspondant aux besoins de la patiente ou à ses contraintes financières. »

 

Le terrible déni des militants du suicide assisté

Face à cette détresse, les attitudes varient. Le cas d’Amir Farsoud, dans l’Ontario, souffrant du dos et SDF après que son propriétaire eut vendu le logement qu’il louait, a été médiatisé sous le nom « d’agonie sans fin ». Il disait : « Je n’ai pas envie de mourir mais je n’ai pas plus envie d’être SDF. » De généreux mécènes étrangers lui ont envoyé 60.000 dollars, il a trouvé un toit. Denise, 31 ans, a été sauvée par une cagnotte. Mais la réaction la plus courante est le déni pur et simple. Ainsi Helen Long, directrice de l’association pro-euthanasie Mourir dans la dignité affirme : « Tout ça n’est simplement pas vrai et il n’y a aucune preuve à ma connaissance pour étayer toutes ces revendications. » Tel quel ! Il n’y a décidément pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

 

Sous la dignité, l’amour de l’argent et la haine des pauvres

Cette surdité est orientée par l’argent. Juste avant que ne passe la loi sur le suicide assisté, l’association médicale du Canada a publié un rapport sur les économies que le texte permettrait. « Le suicide assisté par un médecin pourrait réduire les dépenses du système de santé dans le pays d’en somme comprise entre 34,7 millions et 136,8 millions de dollars. » Et Aaron Trachtenberg, l’un des auteurs du rapport, expliquait sur CBC : « Dans un système de santé aux ressources limitées, chaque fois que nous faisons une prévision d’ensemble le coût doit faire partie de la discussion… C’est simplement la réalité du travail dans un système dont les ressources ne sont pas inépuisables. » Voilà qui rappelle le vocabulaire de Jacques Attali, mais les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté mentionnent rarement ce type de raisonnement dans leur propagande. Ils préfèrent parler de dignité et de mettre un terme aux souffrances humaines.

 

Pauline Mille