Une liturgie pauvre pour une « Eglise des pauvres » dépouillée de ses splendeurs… qui pourtant sont à tous ! C’est, en somme, ce que veut le cardinal Blase Cupich de Chicago qui s’est emparé de la tribune de Vatican News pour établir un lien entre la première Exhortation apostolique de Léon XIV, Dilexi te (largement héritée du pape François qui en avait rédigé l’essentiel avant de mourir) et la réforme liturgique qui a conduit à la « messe de Paul VI » en 1969, plus « simple » et plus « sobre » que la messe traditionnelle qu’il accuse d’avoir au fil des temps « incorporé des éléments des cours impériales et royales ». On le voit venir. Cupich, qui mène la guerre contre la messe dite « tridentine », mais qui est très loin d’être née au XVIe siècle, allume une sorte de contre-feu après la célébration par le cardinal Burke d’une messe traditionnelle à Saint-Pierre de Rome, au cœur de la chrétienté, le 25 octobre dernier (sans comptes les vêpres traditionnelles présidées, la veille, par le cardinal Zuppi), à l’occasion du pèlerinage Summorum Pontificum.
Est-ce une manière de rappeler à Léon XIV qu’il n’a qu’à bien se tenir face à une importante coterie – pour ne pas dire une « mafia » comme le faisaient en parlant d’eux-mêmes les évêques et cardinaux rassemblés dans le « groupe de Saint-Gall » pour faire élire un pape de leur eau – de prélats puissants et progressistes qui n’ont rien caché de leur volonté de démanteler et la doctrine, et la liturgie traditionnelles de l’Eglise ?
Le cardinal Cupich critique de nouveau la liturgie traditionnelle
Cupich, qui par ailleurs n’a pas craint en 2023 de célébrer une « messe LGBTQ+ » en présence de lesbiennes et de gays, drapés de couleurs arc-en-ciel, se tenant la main et célébrant leur « inclusion », s’est attardé sur Vatican II en citant abondamment Léon XIV dans Dilexi Te qu’il a réécrit (mais jusqu’à quel point ?) : mais le pape régnant n’y parle pas de liturgie. C’est le cardinal Cupich (on prononce « Soupitche ») qui a fait l’extrapolation.
Parce que Vatican II « représente une étape fondamentale dans le discernement ecclésial sur les pauvres à la lumière de la Révélation », selon Dilexi te, et parce que l’Exhortation affirme : « S’annonçait ainsi la nécessité d’une nouvelle forme ecclésiale, plus simple et plus sobre, impliquant tout le peuple de Dieu et sa figure historique. Une Eglise plus semblable à son Seigneur qu’aux puissances mondaines, déterminée à stimuler dans toute l’humanité un engagement concret pour la résolution du grand problème de la pauvreté dans le monde », il faudrait chercher là, selon Cupich, les raisons et la logique de la réforme liturgique.
Elle correspondrait « au sentiment croissant de la nécessité d’une nouvelle image de l’Eglise, plus simple et plus sobre », comme le dit encore Dilexi te. Cupich renvoie alors à la « noble simplicité que recherchait Sacrosanctum Concilium en appelant à la restauration de la liturgie » : « La réforme liturgique visait à permettre à l’action de Dieu pour nous dans la liturgie, en particulier l’Eucharistie, de resplendir plus clairement » pour faire voire une Eglise « qui ne se définisse pas par les attributs du pouvoir du monde ».
En décembre dernier, le même cardinal dénonçait la communion à genoux qu’il jugeait en substance ostentatoire et égocentrique.
L’air connu de l’« Eglise pauvre »
L’air est somme toute connu ; c’est celui qui a accompagné « l’enfouissement » voulu à la suite du Concile, le fameux « printemps de l’Eglise » dont on ne parle plus que par antiphrase, l’effondrement de la pratique religieuse et la dilution, et plus souvent encore la destruction de la foi en la Présence réelle eucharistique.
Voici donc Cupich qui dépeint la messe traditionnelle comme théâtrale, en quelque sorte, dénonçant son « spectacle » là où bien souvent, la messe moderne dégénère en « show » du célébrant (ne disons pas en « one-man show », vu que la messe Paul VI est concélébrée dès qu’un deuxième, troisième ou dixième prêtre pointe le bout de son aube). Le cardinal ose dire :
« La réforme liturgique a bénéficié de recherches savantes sur les ressources liturgiques, identifiant les adaptations introduites au fil du temps qui incorporaient des éléments provenant des cours impériales et royales. Ces recherches ont clairement montré que bon nombre de ces adaptations avaient transformé l’esthétique et la signification de la liturgie, la rendant plus spectaculaire plutôt que de favoriser la participation active de tous les baptisés afin qu’ils soient formés à s’unir à l’action salvifique du Christ crucifié. »
Action salvifique qui est un sacrifice, comme le dit si clairement l’ancien Ordo, et comme l’escamote si savamment le nouveau : il n’est que de suivre l’ancien Offertoire dans son missel pour le comprendre, et pour comprendre le besoin de s’y unir !
La liturgie traditionnelle offre la richesse de Dieu aux pauvres
Que ce soit dans le dépouillement et la simplicité d’une messe basse pieusement suivie par des fidèles en silence dans quelque abbaye bénédictine, ou dans la splendeur et la magnificence d’une messe pontificale qui célèbre visuellement la toute-puissance et la générosité infinie de notre Dieu, la messe traditionnelle tourne les regards, les cœurs et les âmes vers la Sainte Trinité vers laquelle se tournent se prosternent aussi bien – sans cléricalisme aucun – les évêques, les prêtres et les laïcs, en se repaissant du silence et de la sobriété aussi bien que des beautés matérielles qui ne donnent qu’un pâle reflet de l’éclat divin. Et toute cette richesse est pour tous : à commencer par les plus pauvres qui dans la plus somptueuse des églises sont aussi chez eux !
Cupich aurait-il omis de remarquer que Dilexi te ouvre sur un premier exemple de charité qui est celui de Marie-Madeleine déversant les parfums les plus précieux sur les pieds de son Seigneur, qui réprimande Judas et des calculs de ventes et de recettes et d’aumônes qui auraient pu être partagées pour le prix de leur achat ?
Non, sans doute, car Cupich a une idée en tête et donc une idéologie qui se moque des faits.
Le cardinal Cupich oublie les grands saints amis des pauvres
C’est bien avec cela à l’esprit qu’il faut lire sa conclusion : « Avec le retour à l’ancienne sobriété du rite romain, l’Eucharistie est à nouveau le lieu d’une paix authentique et d’une solidarité avec les pauvres dans un monde fracturé. »
L’expression est doublement malheureuse.
D’une part, elle met en mots un mépris mal dissimulé de l’histoire charitable de l’Eglise, dont les saints nourris par les splendeurs du rite latin y ont trouvé les ressources pour créer des hôtels Dieu, des œuvres pour les miséreux, les orphelins, les malades, les mourants, tous ceux qui avaient faim et soif. Le curé d’Ars, qui vivait de rien et qui avait le souci des pauvres, célébrait la messe de saint Pie V et achetait les chasubles les plus somptueuses…
D’autre part, elle méprise les pauvres eux-mêmes, comme si ceux-ci devaient se contenter d’ornements sans éclat, de cubes et de colonnes tronquées en guise d’églises, de polyester et de béton selon les codes de notre culture anti-décorative, qui est le versant contre-artistique de notre culture de mort. D’une liturgie pauvre, c’est bien cela : celle qui se concentre sur l’ordinaire, le quotidien, le banal dans ses chants comme dans ses prières. La liturgie vraiment sacrée, elle, met la plus grande des richesses à la portée du dernier des hommes.











