Jean-Claude Hollerich partage au moins une chose avec le pape François, il est jésuite, et comme tel habitué à une rhétorique enveloppante et à une démarche un peu semblable à celle du crabe : le point d’arrivée de sa dialectique a toujours quelque chose d’incertain. Cardinal archevêque de Luxembourg, patron du processus synodal, il a donné le 17 mai une interview pour le site suisse alémanique Kath.Ch, à sa nouvelle rédactrice en chef, Jacqueline Straub, « journaliste et théologienne » féministe, sur la place des femmes dans l’Eglise et notamment sur leur ordination éventuelle. A son opinion, sans trancher complètement sur ce que proposera le pape, elle n’est pas à l’ordre du jour. Aujourd’hui. Mais cela peut changer, « cela demande du temps et des arguments ». Une façon d’avancer petit pas après petit pas, sans jamais d’affirmation trop brusque, mais sans jamais cesser de mettre ce qu’on veut faire passer sur la table.
Le cardinal Hollerich met sur le tapis une question tranchée
Fait assez notable, on trouve facilement l’interview du cardinal Hollerich en ligne en espagnol ou en allemand, pas en français. Cependant le site Aciafrique en donne des extraits et une analyse ainsi intitulée : « Un membre du Conseil des cardinaux appelle à la prudence et au dialogue sur l’ordination des femmes ». Ce titre surprenant est significatif : pour l’Eglise il n’y a pas de question sur l’ordination des femmes. Elle l’a toujours refusée parce que le prêtre lorsqu’il officie est le Christ lui-même, Dieu fait homme, et non femme. La tradition et la théologie catholique n’ont à ce sujet jamais varié et Jean Paul II l’avait rappelé voilà trente ans dans sa lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis (1994) avant de conclure : « C’est pourquoi, afin de dissiper tout doute sur une question de grande importance, qui touche à la constitution divine de l’Eglise elle-même, en vertu de mon ministère de confirmation des frères (cf. Lc 22, 32), je déclare que l’Eglise n’a aucune autorité pour conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que ce jugement doit être définitivement tenu par tous les fidèles de l’Eglise. »
François imprévisible sur l’ordination des femmes
On fait difficilement plus clair, et pourtant c’est un cardinal, proche de François et maître à Rome du processus assez manipulateur du synode, qui accepte de relancer le sujet. En commençant par noyer le poisson sous un flot de bienveillantes banalités : « De mon point de vue, la plupart des évêques sont favorables à un rôle plus important des femmes dans l’Eglise. Je suis favorable à ce que les femmes se sentent pleinement égales dans l’Eglise. (…) Je ne sais pas si cela doit nécessairement inclure l’ordination sacerdotale. On ne peut pas tout lier à la seule prêtrise. » Et d’ajouter, pour faire écho à l’un des slogans de François : « Ce serait une cléricalisation. » Impatientée, Jacqueline Straub demande : « Pensez-vous que le pape François va lancer l’ordination des femmes ? » Le premier mouvement du cardinal Hollerich, soigneusement calculé est : « C’est très difficile à dire. Le pape est parfois bon pour les surprises. » Voilà, en quelques phrases, le doute plane sur la possibilité qu’un pape puisse entreprendre une réforme contraire aux Evangiles et à toute l’histoire de l’Eglise, contre l’enseignement confirmé d’un de ses récents prédécesseurs proclamé saint ! Extraordinaire !
Procession dansante et marche en crabe : la révolution jésuite
Mais bien sûr, le cardinal Hollerich est jésuite. Et il appelle à la « prudence ». Et au « dialogue ». « En fait, je dirais non. Peu avant le synode, quelques cardinaux ont émis un dubia. Ils demandaient si le rejet du sacerdoce des femmes par Jean-Paul II était contraignant pour l’Eglise. François a répondu avec beaucoup de sagesse : Il est contraignant, mais pas pour toujours. Et il a ajouté que la théologie devrait en discuter plus avant. » A nouveau la « théologienne » Jacqueline Straub s’impatiente : « Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? » A quoi Hollerich répond : « Ça veut dire qu’il n’y a pas d’enseignement définitif infaillible. Cela peut être changé. Cela demande des arguments et du temps. » Il craint en effet un gigantesque « retour de bâton » si les partisans de l’ordination des femmes veulent aller trop vite. Voilà comment, tout en rondeur, avec prudence et dialogue, on arrive à préparer les esprits à rejeter l’enseignement constant de l’Eglise. Cela demande juste un peu de temps. Il existe au Luxembourg, à Echternach, une procession dansante où les fidèles avancent en faisant trois pas en avant et deux en arrière : le cardinal Hollerich a dû la présider souvent.