C’est en sa qualité de président du Conseil pontifical pour la culture que le cardinal Gianfranco Ravasi a publié sur son compte Twitter un hommage à David Bowie, mort le 10 janvier. Dans un éloge – sans précédent au Vatican – à l’égard d’une pop star, le cardinal a cité la célèbre chanson « culte » de 1969, Space Oddity qui mettait en scène le lancement dans l’espace et les déconvenues de l’astronaute « Major Tom ». Le cardinal a-t-il exprimé une prière pour l’artiste androgyne avec ses paroles : « Ground Control to Major Tom / Commencing countdown, engines on / Check ignition and may God’s love be with you (David Bowie) » ?
« Que l’amour de Dieu soit avec vous, David Bowie. » Dans la chanson, les mots ont une saveur ironique…
Nombre de célébrités ont rendu hommage à « l’idole » britannique, de Marc Almond à Madonna, mais aussi le maire de Londres ainsi que le Premier ministre David Cameron qui a salué en lui un « maître de la réinvention, qui a su continuer à bien faire les choses », soulignant une « immense perte ». Plus convenus que le cardinal qui lui, est apparu comme un fan…
David Bowie, l’artiste androgyne aux cent visages
Né à Brixton au sud de Londres en 1947, Bowie cultivait l’ambiguïté sexuelle. Il s’est éteint au terme d’une lutte de 18 mois contre un cancer du foie et juste après la sortie de son dernier album, le 8 janvier dernier, jour de son 69e anniversaire.
David Bowie a formé son premier groupe à l’âge de 15 ans, passant de groupes en groupes avant de prendre le pseudonyme de Bowie pour la sortie de son premier album solo en 1967. Deux ans plus tard, c’est le succès du single Space Oddity alors que l’homme fait ses premiers pas sur la Lune. En 1971, après son album Hunky Dory porté par Changes et Life on Mars, il opérera une transformation totale en devenant Ziggy Stardust, un alien descendu sur terre. Entre théâtre Kabuki, mime et glam rock, le rockeur rencontre le succès avec son groupe, The Spiders from Mars. Une tournée gigantesque suit la sortie du disque, en Europe comme aux Etats-Unis. Lors du dernier show, Bowie tue sa créature avant de revenir sous les traits du jumeau mélancolique de Ziggy, Aladdin Sane (en anglais, on entend « un gars insane ») au célèbre visage barré d’un éclair.
Sexe, drogue et Rock ‘n Roll, le régime Bowie n’a pas rebuté le cardinal du Vatican
Paranoïaque à cause de la cocaïne qu’il consomme quotidiennement, David Bowie devient alors le « Thin White Duke » (le maigre duc blanc). En 1980, il publie Scary Monsters, et fait renaître Major Tom de Space Oddity. Le reste des années 1980 le voit au creux de la vague, les critiques ne le suivant plus. A la fin des années 1990, Bowie est l’un des premiers artistes à investir Internet. La tournée mondiale du Reality Tour en 2003 et 2004 tourne court, le chanteur souffrant de problèmes cardiaques suivis d’une lourde opération chirurgicale et d’une interminable convalescence, qui provoqua son éclipse médiatique à compter de 2006.
Le jour de son anniversaire, le 8 janvier 2013, il annonce la sortie de l’album The Next Day pour lequel le clip éponyme, fantastique, montre le chanteur en prophète tandis que Marion Cotillard en fille de joie porte soudain les stigmates du Christ ; un blasphème délibéré.
La vie privée de l’artiste n’est pas étrangère au scandale non plus : son androgynie, son homosexualité, puis sa bisexualité avouées ainsi que la multiplication des relations amoureuses avec les célébrités du show-biz – Elizabeth Taylor, Marianne Faithful ou encore Bianca Jagger – auront marqué le passage sur terre du chanteur à succès. En 2003, il affirmait ne pas être un athée complet, son questionnement spirituel se rapportant toujours à ce qu’il composait. Son dernier album, Blackstar ne comprend-il pas un titre – Lazarus – aux paroles où d’aucuns veulent voir l’annonce de la maladie et de la mort imminentes de la star : « Regarde là-haut, je suis au paradis. »
Le cardinal Ravasi a-t-il rendu hommage à une idole de sa jeunesse ?
Le cardinal Ravasi est un ardent défenseur d’un dialogue encore plus ouvert entre la foi et la culture moderne, encourageant ainsi les rencontres avec des agnostiques et des artistes de toutes sortes. Il a lancé en 2010 une fondation baptisée « Le Parvis des Gentils », sorte de forum visant à promouvoir rencontres et dialogue entre ceux qui ne croient pas ou qui se posent des questions sur l’existence de Dieu, et les hommes de foi – un souci souvent exprimé par le pape Benoît XVI. Pour le Cardinal Ravasi, c’est un lieu où « les questions fondamentales — des questions d’anthropologie, sur le bien et le mal, la vie d’ici-bas et celle de l’au-delà, sur l’amour, la souffrance, la signification du mal— bref des questions fondamentales de l’existence humaine, doivent être posées. » Mais comment ?
David Bowie, comme chaque homme, avait besoin de la vérité, et peut-être y aspirait-il. Mais l’« idole » fragile et décalée, devenue aux yeux du monde un symbole des revendications LGBT, méritait mieux qu’un hommage convenu de la part d’un cardinal de l’Eglise catholique : une imploration pour le repos de son âme.