Une autoroute spectaculaire pour relier le port de Bar, au Monténégro, à la Serbie : c’est un projet au budget pharaonique qui est en voie de réalisation dans ce pays des Balkans candidats à l’entrée dans l’Union européenne où l’euro est déjà la monnaie de fait. Mais pour ce qui est des contrats de construction de ces infrastructures formidables, ils ont été passés avec la Chine, moyennant des emprunts réalisés également auprès de la Chine. Alors que le Monténégro racle aujourd’hui les fonds de tiroir pour payer ce qu’il doit, la Chine gagne sur tous les tableaux à travers son « impérialisme par la dette », ce que les Anglosaxons qualifient de debt imperialism.
En effet, cette route qui coupe à travers la montagne du Monténégro fait partie de la fameuse « Route de la soie » qui doit faciliter les échanges entre la Chine et le reste du monde, aussi bien par terre que par mer. En facilitant l’accès à ses marchés potentiels à travers des routes et des voies maritimes, mais aussi des réseaux ferroviaires sur lesquels elle aura finalement la hautement main, la Chine s’assure une domination bien calculée, et ce à moindre prix, puisque les pays concernés sont priés de payer la facture.
La dette du Monténégro atteint aujourd’hui près de 80 % de son PIB. A l’aune de la France ou des Etats-Unis, cela peut paraître raisonnable, à ceci près que le pays n’a pas les reins assez solides, les capacités de développement suffisantes pour espérer s’en sortir un jour. Breitbart rappelle le propos d’un responsable de l’UE qui a qualifié le projet chinois de route depuis Bar jusqu’à la Serbie, qui a largement contribué à cet endettement, de « route vers nulle part », puisque le Monténégro ne peut espérer lever suffisamment de fonds pour payer la fin des travaux.
L’autoroute du Montenegro : fonds chinois, contrats chinois, dette monténégrine
C’est en effet la première phase du projet qui, selon Reuters, a projeté la dette du Monténégro vers des horizons astronomiques : aujourd’hui, pour tenter d’assainir ses finances, le petit Etat s’est vu contraint d’» augmenter les impôts, de geler partiellement les salaires du secteur public et de mettre fin à une subvention au profit des jeunes mamans ».
Des mesurettes perverses : elles empoisonnent la vie des Monténégrins mais qui effleurent à peine la surface du problème de l’endettement.
Cette stratégie impérialiste chinoise repose sur des ressorts psychologiques bien étudiés. Ainsi, pour l’universitaire Mladen Grgic, l’affaire de la voie rapide construite à grands frais au Monténégro rappelle à la population le temps de Tito et des « grands projets socialistes dans la région ». Une sorte de grandeur passée, en quelque sorte… « Mais c’est un piège. Une fois la construction commencée, les politiques ne peuvent pas y mettre fin, quel que soit son pouvoir de nuisance. Et très franchement, ils n’en ont pas envie », assure le chercheur.
L’impérialisme de la dette, ou comment la Chine asservit le Montenegro
Acculé, le Monténégro va sans doute devoir mettre en place un partenariat public-privé (PPP) au détriment de sa souveraineté et bien sûr, toujours au profit des intérêts chinois. La CRBC (China Road and Bridge Corporation), gigantesque société d’Etat chinoise qui se charge de la première tranche des travaux, a déjà signé un protocole d’accord en vue d’une poursuite de l’entreprise sur la base d’un PPP. Mais cela passera, selon des prêteurs européens inquiets, par une obligation imposée au Monténégro de garantir un volume de revenus une fois les travaux achevés, au risque de creuser encore un peu plus le trou dans ses finances. Selon un responsable de la Banque européenne d’investissements, le modèle retenu n’est pas viable : « Ils assument des risques qu’ils ne savent pas gérer. » Le FMI a ajouté ses propres mises en garde.
Des études indépendantes ont permis d’établir que l’autoroute en voie de construction ne sera pas rentable : on pense même que le projet peinera à faire entrer le quart des fonds nécessaires pour que l’exploitation de la future autoroute dégage un profit. On devine des tours de passe-passe en apprenant que la Banque d’export-import de Chine a commandé une nouvelle étude de « faisabilité » qu’elle entoure, tout comme le gouvernement du Monténégro » du plus grand secret, refusant même de la communiquer à l’organisme de veille anticorruption MANS de l’Union européenne. Organisme qui aujourd’hui affirme : « Il ne fait aucun doute à nos yeux que les données utilisées par le ministère des transports pour justifier la construction de l’autoroute ont été fabriquées à cette fin. »
La Chine construit une autoroute au Montenegro : la « route vers nulle part »
De fait, l’emprunt de près d’un milliard de dollars de la Chine, pour un projet qui sera réalisé à 70 % par des entreprises chinoises, paraît difficilement défendable pour un pays qui compte à peine 620.000 âmes – un gouffre qui se creuse en outre à mesure que les prévisions budgétaires sont revues à la hausse, 20 % aux dernières nouvelles. A lui seul, le projet engloutit 25 % du PIB monténégrin.
Dans les Balkans, la Chine ne fait pas mystère de sa volonté d’implantation solide. Au total, on parle de 6 milliards d’euros investis par l’Empire du milieu sur les infrastructures correspondant à la Nouvelle route de la soie, en Serbie pour l’essentiel, puisque ce pays est un allié de longue date de Pékin.
Tout ce petit monde défend l’autoroute vers Bar en le présentant comme un investissement stratégique au service de la croissance future. Reuters reconnaît qu’il s’agit bien d’un investissement stratégique – mais c’est au service de la Chine, souligne son journaliste. Celle-ci y gagnera « un porte d’entrée vers l’Europe par l’Adriatique, et des liens économiques et politiques forts avec le gouvernement de Podgorica », excellente opération si le Monténégro rejoint finalement l’Union européenne. Le génie de la Chine est de faire porter le coût de tout cela par les Monténégrins.