La détresse affective et sexuelle est flagrante dans notre Occident dopé à la pornographie, à l’hédonisme et au narcissisme. Voici qu’elle se répand aussi en Chine, immense pays déchiré entre le dirigisme malthusien du communisme totalitaire et la pression du consumérisme matérialiste. Exemple étonnant rapporté par le média officiel chinois Global Times : l’envol de l’usage des poupées en silicone par des personnes noyées dans leur solitude, dans un pays confronté aux suites du génocide des fillettes par l’avortement sélectif.
Chine : surpopulation et solitude
« En raison d’une évolution de la conception du mariage et de la parenté dans la jeune génération chinoise, et à cause du grave déséquilibre entre les sexes, un nombre de plus en plus important de jeunes hommes cherchent la compagnie de poupées imitant la vie ordinaire, en lieu et place de véritables relations humaines », explique l’organe chinois. La Chine communiste compte une moyenne de 105,02 hommes pour 100 femmes.
Une poupée de 1,45 m de haut
Le journal cite Bob, pseudonyme d’un désigner âgé de 32 ans habitant Pékin, qui a acquis Xiao Ying, poupée de 1,45 mètre de haut. Cette fiction de compagne, qu’il a acquise deux mois après avoir rompu avec sa (vraie) fiancée, « a réveillé son existence ». Il la considère comme « sa fille ». Pour recevoir le journaliste, Bob avait habillé Xiao Ying comme une écolière : uniforme rouge, lunettes sur un visage encadré de cheveux blonds. « Il est impossible de trouver une telle beauté dans la réalité », murmure-t-il.
Bob est loin d’être un cas isolé. Une quantité de forums internet rassemblent chacun des dizaines d’afficionados de « poupées-partenaires ». Wu Xingliang, directeur marketing du fabricant de poupées silicones Exdoll constate une hausse significative de la demande. Il l’explique par l’influence de la pratique japonaise de l’otaku, cette tradition d’isolement dans la sphère intime, mais aussi par la crainte du mariage et de la fertilité.
Partenaire pour désirs sexuels
Un autre homme amateur de poupées, Li Chen, 58 ans, explique sa passion : « De nombreux hommes ne parviennent pas à trouver une partenaire adéquate. On peut comprendre qu’ils achètent ces poupées pour satisfaire leurs désirs sexuels. Cela vaut mieux que d’aller payer une prostituée ».
D’autant que le sexe n’est pas la seule activité, loin s’en faut. Bob de son côté a acheté une autre poupée, Xiao Yue, qu’il considère comme « une amie d’enfance ». De même taille que Xiao Ying, elle pèse 10 kg. « La porter est un véritable exercice physique », sourit-il. Deux fois par mois, il la baigne et lui applique de la poudre pour la peau. Comme les poupées ne peuvent évidemment pas rester debout toutes seules, elles demeurent assises sur la fenêtre près du lit de leur propriétaire.
Il veut qu’elle soit « sa fille »
Reste que ce type de pratique, apparemment anodine, semble cacher bien des problèmes. Bob explique au Global Times qu’après sa rupture, il avait essayé une « blind date », ce type de rendez-vous surprise pratiqué de nos jours, mais que la rencontre avait tourné court parce que la dame refusait de jouer « sa fille ». Xiao Ying, elle, ne peut bien sûr pas refuser ce type de proposition à son propriétaire. Elle se tait.
Li Chen, quant à lui, a préféré la compagnie des poupées après sa rupture avec une épouse de 18 ans sa cadette, « dépendante des jeux d’argent », parce qu’il trouve les femmes « trop intrigantes » et qu’il refuse de « faire souffrir » son fils avec une autre relation. « Contrairement aux êtres humains, les poupées sont plus fiables et ne peuvent en aucun cas vous trahir », dit-il. En un mot, elles sont la pure projection de son désir.
Cette solitude, fruit d’un égotisme exacerbé
Cet enfermement sur soi gangrène le monde consumériste contemporain, qui se gargarise pourtant de rencontres numériques sans limites. La pratique compulsive des réseaux sociaux, où la personne « choisit » le partenaire non dans l’interaction vivante d’une rencontre mais suivant des critères purement égotiques, en est une semblable et tragique illustration.
L’autre est nié dans sa singularité irréductible à soi. Son mystère l’est aussi. Ainsi voit-on ces foules modernes hésiter entre l’hystérie – désir hypertrophié qui refuse à jamais de s’incarner – et la dépression. L’illusion ferme la porte à l’espérance.