Pour alléger la pression sur Pékin, la mégapole chinoise aux quelque 22 millions d’habitants, le gouvernement communiste a fait pousser de terre une nouvelle ville destinée à être une « non capitale » où doivent s’implanter des centres financiers, des universités, des centres de recherche, des institutions médicales et des institutions publiques en mesure de s’éloigner de la capitale administrative de la Chine. Avec ses tours inhumaines, à 100 kilomètres de Pékin dans la province de Hebei, la ville nouvelle se veut un modèle de planification (communiste, forcément) et, cerise sur le gâteau, elle a été conçue comme « ville du quart d’heure ». Tant il est vrai que le discours actuel sur l’habitat doit répondre partout aux mêmes impératifs, sous prétexte de répondre au « réchauffement climatique »… Paris et Xiong’an, même combat ?
La presse chinoise sous contrôle du Parti multiplie dernièrement les articles élogieux sur Xiong’an, ville modèle s’il faut en croire où il fait si bon vivre qu’on y afflue par libre choix. China Daily interroge un célibataire géographique ravi (sa femme, son enfant et ses beaux-parents qui s’occupent du dernier sont restés à Pékin) qui vante la tranquillité et l’absence de bouchons : Chen Hongsheng, chercheur de 42 ans, « jouit d’un style de vie confortable et travaille dur pour pouvoir d’offrir l’appartement de rêve du couple » provisoirement éclaté.
La Chine vante sa nouvelle ville du quart d’heure, Xiong’an
Tout est neuf, évidemment : Xiong’an n’a vu le jour qu’il y a huit ans, et depuis lors cherche à accueillir le trop-plein de Pékin en tant que projet pilote.
L’enthousiasme affiché par la presse devrait pourtant interroger. Et on se pose en effet des questions à la vue de documentaires comme celui-ci. Il s’agit d’un documentaire qui en une douzaine de minutes expose la « faillite » de Xiong’an, ville entièrement alimentée à l’énergie « verte » et fonctionnant à l’intelligence artificielle. La facture de construction des routes et des infrastructures IA s’est élevée à 100 milliards de dollars, selon la chaîne Youtube « Billion Dollar Builds » ; mais la ville reste désespérément vide. Ou à peu près. La demande fait défaut.
Si des entreprises et structures publiques et privées s’y sont bien installées, avec l’idée de contraindre en douceur des habitants de Pékin à venir habiter près de leur lieu de travail, les planificateurs n’ont pas tenu compte du fait qu’avec des liaisons ferroviaires qui mettent Xiong’an à une demi-heure du centre de la capitale chinoise, beaucoup préfèrent faire le trajet quotidiennement plutôt que d’aller goûter aux joies d’une ville nouvelle où tout est si parfait, de la production d’énergie éolienne au recyclage en passant par la maîtrise des émissions de CO2 et la gestion du trafic par l’IA (la presse chinoise n’évoque pas les nouvelles possibilités de surveillance offertes par l’omniprésence de l’intelligence artificielle).
Quoi qu’il en soit, la mayonnaise refuse de prendre, faute de développement organique.
Xiong’an, chef d’œuvre de planification communiste (ça ne fonctionne pas)
Et comme la population fait défaut, l’attractivité économique manque elle aussi ; les gros groupes sont plus sûrs de trouver des gisements de talent ailleurs et sur place, l’absence d’offre culturelle, de restaurants, de magasins fait que les habitants potentiels ne sont pas séduits. Acheter un appartement s’avère difficile parce que les investisseurs privés ont été tenus à l’écart pour éviter les « bulles » immobilières, et les subventions publiques ne sont pas non plus suffisantes. Tous les défauts d’un marché trop régulé se conjuguent. La plaisante abondance d’espace verts ne suffit pas…
Si Xiong’an partage avec Pékin les cartes d’accès aux traitements médicaux et aux médicaments ainsi qu’aux transports, bien d’autres subventions publiques ne sont pas accessibles : c’est du moins ce que l’on comprend à travers l’article du China Daily qui avoue que « les politiques relatives à l’éducation des enfants, aux soins de santé, au logement, à la rémunération, à la sécurité sociale, à l’assurance maladie et au fonds de prévoyance logement pour le personnel réinstallé devraient être affinées et mises en œuvre, afin de garantir que les unités de travail et le personnel réinstallés bénéficient d’avantages tangibles ». Encore un symptôme de l’incapacité du socialisme à améliorer la vie des gens !
La presse communiste de Chine veut attirer des habitants à Xiong’an
Bien sûr, la presse chinoise se tait sur le manque de succès de la ville nouvelle, se contentant de parler de son attractivité supposée et de « l’optimisme » de ceux qui y affluent (ou pas). Car comment espérer remplir Xiong’an dans un contexte de dénatalité dramatique ?
Le Global Times publie quant à lui des photos intimistes sur cette nouvelle « ville du quart d’heure » – un pont à l’architecture traditionnelle, une clinique vouée à la médecine traditionnelle, un billard dans un centre de soins, trois enfants jouant, entourés de leurs parents, dans un centre de services communautaires.
C’est le principe : trouver à côté de chez soi, à distance de marche, tout ce qu’il faut pour les soins, la scolarisation des enfants, les loisirs et le shopping. Tant pis si cela ne correspond pas à vos besoins ou à vos goûts : qui a dit qu’une ville comme Xiong’an devait répondre aux impératifs de la liberté ?