Les chrétiens d’Irak au bord de la disparition ?

Les chrétiens d’Irak au bord de la disparition

 
 Eglises pillées, monastères envahis, familles en fuite, morts, disparus, les chrétiens d’Irak, qui ont résisté à tant de siècles de persécutions islamiques, désormais abandonnés de tous, sont-ils au bord la disparition dans un pays dont ils sont les habitants d’origine ?

 

Depuis la destruction du régime nationaliste arabe de Saddam Hussein (1979-2003), qui tenait à peu près le pays, et protégeait les chrétiens, nos coreligionnaires d’Irak tendent à disparaître de leur pays. Or ils en sont en fait les plus anciens habitants. Les dernières persécutions menées par les islamistes sunnites du califat islamique de Mossoul (ex-EIIL, Etat Islamique en Irak et au Levant) tendent à précipiter depuis un mois cette évolution dramatique, avec des massacres, des vols (« taxation coranique »), des incendies des bâtiments de culte, en particulier la cathédrale et l’évêché de Mossoul.

 

Chrétiens d’Irak, les autochtones de Mésopotamie

L’Irak, dont le nom date de la conquête arabe au VIIème siècle, se superpose à peu près à l’antique Mésopotamie, le pays entre les deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate, l’une des régions les plus anciennement civilisées, avec les Sumériens, dès -4000, puis les Akkadiens, déjà sémites, dès -2500. Après -1500, environ, les Akkadiens se subdivisent entre Assyriens en amont, et Babyloniens en aval, au Centre et en Basse-Mésopotamie. Sous les empires assyriens, puis néo-babyloniens (VII-VIème siècle), la Mésopotamie est unifiée linguistiquement autour de l’araméen, venu probablement, c’est curieux, d’Aram, la région de Damas. De nombreux judéens sont déportés en Mésopotamie entre 600 et 580, lors de l’annexion finale du royaume de Juda à l’empire néobabylonien. Cette Mésopotamie est brusquement soumise aux Perses après 10 ans de guerre dure (549-539). Malgré cette soumission durable aux Perses, la culture araméenne subsiste parfaitement, et tend même à se répandre dans tout le vaste empire des Achéménides, comme langue commerciale et d’administration – devant même le vieux-perse. L’araméen se maintient en Mésopotamie et au Levant lors de l’occupation grecque, à la suite de l’expédition d’Alexandre de Macédoine (après -330).
 
Une séparation s’opère à nouveau au IIème siècle av JC entre Levantins et Mésopotamiens, les premiers demeurant un temps au pouvoir des Séleucides (les descendant de Séleucos, général d’Alexandre), puis dès le siècle suivant tombent sous celui de Rome, tandis que les seconds sont occupés par les Parthes, qui seront remplacés au IIIème siècle après Jésus-Christ par les Perses sassanides. Cette rupture de cadre politique essentielle, durable, conduit à la séparation entre l’araméen occidental, couramment pratiqué par le Christ et ses disciples en Galilée, et l’oriental, langue commune de la Mésopotamie.
 
Du VIème av JC au VIIème siècle après JC, les Mésopotamiens ne sont donc jamais indépendants, mais forment quand même une entité spécifique, distincte et perçue comme telle par ses maîtres successifs.
 
Afin de mieux contrôler ce pays peuplé et riche, économiquement et stratégiquement essentiel à l’Empire, les Sassanides fixent leur capitale en son cœur, à Ctésiphon, au Sud de l’actuelle Bagdad. Surtout, évangélisée dès les temps apostoliques, elle se convertit massivement au christianisme, autour de 350.
 
insi au IVème siècle, la Mésopotamie araméenne et chrétienne résiste aux autorités perses, qui entendent, avec certes plus ou moins de conviction selon les souverains, imposer le zoroastrisme, religion perse spécifique au dualisme complexe, comme culte officiel de l’Empire. Remarquons que l’empereur Julien l’apostat (361-363) commet une faute politique lourde lors de sa campagne, en soi aventurée, d’invasion de la Mésopotamie en 363, en cultivant plus que jamais son paganisme ostentatoire, qui répugne évidemment aux Mésopotamiens chrétiens et lui enlève tout soutien de leur part, alors qu’il aurait été décisif peut-être contre l’empire perse sassanide. Il mourra symboliquement à Ctésiphon.
 

La peste nestorienne a précédé le choléra islamique

Hélas les autorités persanes réussissent à imposer en 484 aux Chrétiens la profession d’une doctrine hérétique, ce qui se double évidemment d’un schisme, le nestorianisme. Cette erreur de Nestorius, ancien patriarche de Constantinople du début du Vème siècle, chassé de son siège pour hérésie après le Concile d’Ephèse de 431, soutient l’existence de deux personnes dans le Christ – ou plus exactement une personne dédoublée avec non-communication entre les deux natures, soit quasiment bien deux personnes. Elle appelle Marie, « Mère du Christ », et refuse « Mère de Dieu » (Theotokos), absolument, au nom de sa théorie de la non-communication (Curieusement, Jean-Paul II approuvera en novembre 1994 la formule restrictive des Nestoriens sur la Vierge-Marie, rigoureusement condamnée jusque-là). Cette doctrine nestorienne est imposée à une église unique présidée par le catholicos de Ctésiphon, nommé, ou imposé par les autorités sassanides.
 
Ce christianisme particulier, s’il se maintient identique à lui-même en Mésopotamie, évolue pour aboutir à des formes de plus en plus bizarres dans ses missions éloignées aux siècles suivants. Ce nestorianisme s’étendra jusqu’en Chine, en passant par l’Asie Centrale, mais il altère toujours plus le message chrétien, et tend au syncrétisme : dès le au XIVème siècle il aura disparu hors de Mésopotamie, absorbé par l’Islam, le bouddhisme, ou, un temps, le chamanisme mongol traditionnel. Les promoteurs d’un christianisme dissous, aimable, qui ne voit en Jésus qu’un maître en sagesse parmi d’autres, dont parlent des textes retrouvés en Turkestan, Chine, Mongolie, du VIIIème au XIIIème siècle, devraient y voir un avertissement.
 

l’Islam organise la disparition de la chrétienté de Mésopotamie

Lorsque les envahisseurs musulmans, venus d’Arabie, détruisent l’Empire perse voisin, entre 636 et 650, la Mésopotamie est systématiquement occupée en deux ans par les Arabes. Ils fondent un réseau de camps militaires, dont Koufa et Bassora, base de leur immédiate et massive colonisation. S’ils combattent en Iran même, sur les plateaux, le zoroastrisme (aujourd’hui réduit à des effectifs infimes et tolérés officiellement au nom du folklore national par les mollahs de Téhéran), les envahisseurs musulmans entendent détruire la chrétienté de Mésopotamie. Ils réussissent, par immigration, conversions doublées d’adoption dans des tribus arabes, à transformer complètement un pays araméen et chrétien en arabe et musulman, la Mésopotamie en Irak, plus vite que dans la Syrie voisine, en un peu plus d’un siècle.
 
En 762, Bagdad, au cœur de l’Irak, est reconstruite par le calife, à l’échelle d’une capitale pour l’Empire musulman, à son apogée vers 800. Les chrétiens souffrent de persécutions récurrentes. Ceux qui le peuvent se réfugient dans l’empire byzantin, qui se maintient encore en Anatolie. Ne subsiste de cette chrétienté abattue que l’Assyrie au nord, qui demeurera chrétienne et araméenne, en majorité jusqu’au XIème siècle, bien que soumise à Bagdad. Aussi l’araméen oriental, par ailleurs évoluant, est qualifié de langue assyrienne, bien que sans filiation avec son homonyme antique, quoique parlée dans les mêmes lieux. Au XIème siècle, pénètrent massivement en Assyrie, tout comme en Arménie voisine arrachée à l’Empire byzantin, des Turcs et des Kurdes, envahisseurs nomades musulmans. Contrairement à ce qui se passe en Anatolie, les Kurdes, iraniens et non turcs (ce sont les descendants des Mèdes), demeurent plus nombreux que les Turcomans, nom que l’on donne aux Turcs d’Assyrie. Par contre les chrétiens locaux, qualifiés dès lors d’Assyriens, sont tout juste tolérés comme minorité non-musulmane, opprimée et devant l’être suivant le Coran.
 
Au XVIème siècle, l’Irak passe sous la domination ottomane de l’Empire des Turcs musulmans de Constantinople, devenue Istanbul après 1453. Les chrétiens sont divisés en deux groupes géographiques : ceux des campagnes d’Assyrie, ceux qui sont dispersés dans les villes, Mossoul et Bagdad principalement. Suivant des modalités complexes, en plusieurs ralliements, alternant avec des ruptures, entre le XVIème et le XIXème siècle, une moitié des chrétiens d’Irak, encore tous nestoriens vers 1500, se convertit au catholicisme, en conservant un rite spécifique.
 

Rome, la France et le BAAS au secours des chrétiens d’Irak

Les ralliés à Rome sont surtout ceux des villes. Ils prennent le nom de Chaldéens, pour les distinguer des Assyriens, et vivant au milieu des Arabes, adoptent leur langue, tandis que les Assyriens conservent l’araméen au moins jusqu’aux années 1970. Tous sont placés sous la protection de la France. Leur clergé et leurs écoles dispensent l’enseignement de la langue française et de l’influence française. Cela n’incitera nullement la France socialiste d’après 1981 à intervenir en leur faveur. François Mitterrand participera même à la guerre du Golfe qui leur sera gravement préjudiciable.
 
Les Assyriens sont aussi touché par le génocide des Arméniens de 1915. Les Kurdes, qui massacrent en plein accord avec Istanbul leurs voisins assyriens, s’emparent de leurs terres.
 
Contrairement à ce qui était prévu par les accords Sykes-Picot, l’Angleterre met au début des années vingt la main sur le nord de l’Assyrie qui devait faire partie de la zone d’influence française, afin de s’accaparer les champs pétroliers. Sa présence ne sera pas favorable aux Assyriens, qu’elle abandonnera aux massacres par les Kurdes. La monarchie irakienne, nominalement indépendante mais sous domination britannique, continuera sa politique antichrétienne, menant un tiers des Chrétiens d’Irak à se réfugier dans le nord-est de la Syrie, alors sous mandat français.
 
A partir de 1958, la république irakienne, sous l’influence du Baas, parti progressiste et nationaliste arabe, Saddam Hussein inclus, ne persécute pas les chrétiens. Leur population atteindra donc le million en 2000, contre le cinquième ou le dixième aujourd’hui.
 

Vers une disparition totale des chrétiens d’Irak

Le Califat sunnite n’est pas né, comme le clament les médias désinformateurs, de la seule surexcitation causée par l’invasion américaine de 2003. Le traumatisme causé par l’absurdité de Georges W Bush, et les ruptures profondes qu’elle a engendrées en Irak, n’ont fait que ranimer et rendre viable un modèle très ancien expérimenté au Maghreb, aujourd’hui vide de chrétiens indigènes. En Afrique du Nord, au XIème siècle, les pouvoirs musulmans ont voulu la disparition totale des chrétiens en quelques années. Ils l’ont obtenue très vite, par les pires méthodes, même si certaines communautés isolées de l’Atlas ont peut-être subsisté jusqu’au XIIème.
 
L’aggravation massive de la situation des chrétiens d’Irak fait suite à plus de dix ans de persécutions continues, cause d’une émigration massive vers la Suède, ou dans une moindre mesure l’Allemagne et la France. L’accueil des autorités a été tiède en France, où même les associations d’aide aux immigrés, si promptes à s’enthousiasmer pour toute la misère du monde, sont restées discrètes. Des chrétiens fuyant la persécution musulmane ne sont pas les bienvenus en France athée, républicaine et philo-musulmane. Quelques-uns sont quand même parvenus à s’installer chez nous, surtout en région parisienne. A Sarcelles, pour les chaldéens, plusieurs milliers. Le pape François qui accueille toute immigration au nom de la charité chrétienne n’est pas très disert sur les chrétiens d’Irak, ou de Syrie, qui sont persécutés de façon sanglante dans leur pays en haine de leur foi. Les quelques timides mots de soutien sont noyés au milieu des multiples vœux de joyeux ramadan aux communautés musulmanes.
 
Aujourd’hui, subsistent de rares villages assyriens, en territoire kurde, ce qui au vu de l’Histoire n’inspire aucune confiance, et certains sont en outre à proximité de la ligne de front avec les djihadistes sunnites au nord-est de Mossoul. Les maigres milices assyriennes d’autodéfenses, fortes de quelques centaines d’hommes, armés légèrement, tout juste tolérées par les Kurdes, ne forment qu’une bien faible protection. Les Chaldéens survivent dans un quartier restreint de Bagdad, situation aussi très précaire. Il faut plus que jamais prier pour les chrétiens d’Irak, menacés de disparition à court terme. Puisque ni les Anglo-Saxons, dont la politique les a mis dans la situation où ils se trouvent en liquidant le pouvoir baasiste et en libérant l’autonomisme kurde, l’extrémisme chiite puis le fondamentalisme sunnite, ni les Français qui ont renoncé depuis trente-cinq ans à leurs devoirs et responsabilités, ne les soutiendront plus, seul le Ciel peut pourvoir à leur survie.