La CIA, la torture, le terrorisme et le carburant de la haine

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Il n’y a pas de raison a priori de douter de l’exactitude du rapport du Sénat américain sur les tortures – souvent des tortures sadiques – infligées à des prisonniers, toujours musulmans, dans le cadre de la guerre d’Irak et de la lutte contre le terrorisme. Ces méthodes « fortes », appelées « techniques d’interrogation améliorées » par la CIA, avaient été largement approuvées aussi bien par les Républicains que par les Démocrates dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001. La publication du rapport est d’abord un puissant moyen pour alimenter la haine à l’égard des Etats-Unis. Elle a été suivie des regrets exprimés par Barack Obama : « Aucune nation n’est parfaite. Mais une des forces qui font que l’Amérique est exceptionnelle est notre volonté de nous confronter ouvertement à notre passé, de faire face à nos imperfections, d’opérer des changements et de faire mieux. »
 
C’est court, comme mea culpa. Car si d’aucuns voient dans le rapport réalisé sous la responsabilité de la sénatrice démocrate Dianne Feinstein une attaque et même une vengeance du camp d’Obama après la défaite du parti aux dernières élections, il ne faut pas oublier que l’idée d’une riposte à n’importe quel prix avait reçu l’approbation du plus grand nombre, « unis contre le grand mal » après le 11 septembre. Dianne Feinstein elle-même annonçait quelques mois plus tard : « Nous devons faire certaines choses qu’historiquement nous n’avons pas voulu faire pour nous protéger. »
 

La morale utilitariste de la CIA

 
Dresde, Hiroshima… Il y a eu de la part des Etats-Unis bien d’autres instances de cette morale utilitariste, de cette morale de situation qui fait que la guerre moderne brouille encore bien davantage les cartes que la guerre plus ou moins chevaleresque de jadis. Alors que les images des tours jumelles du World Trade Center étaient encore fraîches dans les esprits, il y avait aux Etats-Unis une sorte d’unanimité sur le droit des « bons » d’employer des moyens intrinsèquement mauvais pour traquer et anéantir l’ennemi. Les images d’Américains décapités continuent de justifier les actions américaines : au fond, le discours change de temps en temps, la pratique suit sont propre chemin.
 
Le rapport affirme cependant que la torture n’a pas permis d’attraper un seul terroriste. Le directeur de la CIA, John Brennan, assure que les « informations » obtenues ont amélioré la connaissance qu’elle a d’Al Qaïda qui « informe » les menées antiterroristes des Etats-Unis « jusqu’à ce jour ». Comme si les aveux et autres informations obtenues sous la torture – et quelle torture, allant de l’« alimentation forcée » par voie rectale » à la privation de sommeil 180 heures d’affilée ! – étaient fiables et sérieuses.
 

Le « terrorisme » et la haine prospèrent

 
Efficacité des méthodes de Guantanamo ou Abou Ghraib ? Voyons. La montée de l’islamisme dans de nombreuses régions du monde dit l’exact contraire. Le chaos en Afrique du Nord, la poussée croissante du terrorisme islamique dans de nombreux pays du monde, l’installation solide de l’Etat islamique non seulement en Syrie, mais dans la zone prétendument « pacifiée » grâce à la politique étrangère américaine : l’Irak.
 
Une chose est sûre, la publication du rapport du Sénat sur la torture ne pourra qu’alimenter la haine islamique à l’égard des Etats-Unis. Cela ne justifie pas cette haine islamique, mais enfin elle est une réalité et ce n’est d’ailleurs pas tant le rapport qui l’alimente, que les faits dont celui-ci atteste. A croire, presque, que les méthodes utilisées comme la publicité qui leur est donnée sont avant tout un carburant pour entretenir un état d’esprit. Une mauvaise effervescence.
 

Les néocons justifient la torture

 
Aujourd’hui l’Amérique découvre (ou pas, car il n’est pas vrai que personne ne savait…) les pratiques indéfendables utilisées contre des « suspects » dont bon nombre ont été innocentés au fil des ans : de Guantanamo à Abou Ghraib, on n’a pas tant pratiqué l’interrogatoire musclé devant l’imminence d’un nouvel attentat que l’humiliation dans la durée, la torture sexuelle, la menace sadique. Le néoconservateur Dick Cheney, vice-président de l’administration Bush au moment des faits, a lui-même a fait savoir que la CIA n’avait jamais mis en œuvre qu’un « programme autorisé ».
 
Voilà qui alimentera aussi la colère islamiste, et pourquoi pas de nouvelles vagues d’attaques et d’attentats qui… permettront aux Etats-Unis d’intervenir de nouveau, de se défendre davantage, de se justifier encore. Guantanamo, après tout, n’a jamais été fermé, malgré les promesses d’Obama en 2009.
 
Voilà surtout qui n’augure rien de bon pour les Chrétiens d’Orient. Perçus comme les protégés de l’Occident toujours (et faussement) perçu comme chrétien, avec l’Amérique à la tête d’une « croisade » qui fait d’eux les traîtres, les « chiens d’infidèles » à abattre, ils pourraient bien payer le prix de ces comportements dégradants et inhumains. Les sites djihadistes ont aujourd’hui beau jeu de rappeler qu’un égorgement, c’est après tout plus propre et plus rapide que la négation de l’humanité de leurs « frères » torturés.
 
C’est un langage qui peut séduire l’islamiste de base. N’allons pas croire que les Etats-Unis ne l’avaient pas imaginé.